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Benoît XVI et la curie entre le marteau séculariste et l’enclume intégriste - Vatican

Benoît XVI et la curie entre le marteau séculariste et l’enclume intégriste

Éminemment politiques, les VatiLeaks cacheraient-ils le lancement, déjà, de la guerre de succession ?

Depuis que le monde est monde, depuis que saint Pierre a été intronisé premier évêque de Rome, depuis que le titre de pape a été utilisé pour la première fois avec Calixte Ier, puis officialisé par Grégoire VII à la fin du XIe siècle, en passant par le Grand Schisme entre 1378 et 1417, et jusqu’à sa création le 11 février 1929 comme représentation temporelle du Saint-Siège, le Vatican, centre du christianisme depuis Constantin au IVe siècle et siège d’abord occasionnel, puis permanent, de la papauté, a été secoué, avec une régularité toute métronomique, par cent et un scandales.


Landernau éminemment politique où se jouaient et se déjouaient, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les écheveaux des relations européennes, mais aussi, dans une moindre mesure, internationales, et faisant s’interpénétrer, avec des dérives aux terribles conséquences, centuplées par des appétits en tout genre gargantuesques, l’État et l’Église, le Saint-Siège a connu d’abord, tout naturellement donc, d’interminables scandales politiques. Ne serait-ce qu’au niveau des élections papales : les successeurs de saint Pierre, pendant des siècles, ont pris le pouvoir grâce à telle ou telle faction (ou carrément, tribu : les Byzantins, les Goths) ; acclamés par quelque foule, élus sur ordre, par la noblesse et contrairement à la volonté des cardinaux, ou adoubés (ou pas) par des couples impériaux aux intérêts souvent divergents ; arrêtés, condamnés à mort ou à perpétuité, capturés par la populace romaine, déposés et/ou exilés, même s’ils étaient fils légitimes de leur prédécesseur Serge III ou Hormisdas ; devenus papes sans être cardinaux, etc. – sans oublier, bien sûr, l’escapade avignonnaise et la série, parfois rocambolesque, d’antipapes.

République bananière
Une véritable république bananière que cette papauté du Moyen Âge et de la Renaissance, à laquelle n’ont évidemment pas fait défaut d’infinis scandales sexuels tous azimuts, à côté desquels les accusations de pédophilie lancées à échelle planétaire contre l’Église catholique feraient sourire, n’était-ce l’indicible douleur des victimes : les péripéties des Borgia restent dans la mémoire collective de centaines de générations, pas seulement parce qu’en chaque être humain, croyant et/ou pratiquant ou pas, sommeille doucement un Peeping Tom qui ne demande qu’à regarder par le trou des serrures, qu’elles soient vaticanes ou pas. La vastitude de l’immoralité et de la décadence du règne d’Alexandre VI (lire par ailleurs) est telle que les élucubrations sadiennes, en comparant hâtivement, ressemblent plutôt aux vagabondages pastel de la revue Nous Deux.


Aujourd’hui, le scandale au Vatican est protéiforme. Le pape Benoît XVI, qui a maintes fois demandé pardon avec insistance aux victimes d’actes pédophiles perpétrés par les serviteurs de l’Église, se débat sur deux autres fronts : le financier, avec les turpitudes au sein de l’Instituto per le Opere di religione (OIR), la Banque du Vatican (lire ci-dessous), et l’ultragossip politique, exacerbé par la correspondance privée du pape et la trahison de son majordome, Paolo Gabriele, fidèle parmi les fidèles, arrêté et inculpé pour vol. Les fameux et fumeux VatiLeaks. Contre les répercussions desquelles se bat aujourd’hui la gendarmerie d’État du Vatican, chargée pourtant de protéger le pape des menaces exogènes.
Pour de nombreux spécialistes, le buttler indélicat n’est qu’un bouc émissaire dans une offensive qui vise à placer le cardinal Tarcisio Bertone dans une impasse telle qu’il ne pourra plus que démissionner de son poste de secrétaire d’État, Premier ministre de facto de la cité du Vatican. Les dossiers publiés par la presse italienne pullulent de détails particulièrement embarrassants sur les hommes que le cardinal Bertone a nommés ou écartés et sur les projets qu’il a soutenus ou combattus. Le pape avait créé la surprise et suscité de nombreuses critiques en choisissant en 2006 ce théologien spécialiste du droit canon pour diriger l’épicentre de l’administration vaticane, la curie, et non un diplomate aguerri comme le voulait la tradition. D’ailleurs, pour bon nombre d’experts, les coups viennent probablement de la cellule diplomatique du Saint-Siège, où restent encore très influents beaucoup de cardinaux, dont le prédécesseur de Mgr Bertone, le cardinal Angelo Sodano.

Choc frontal
« Je veux plus être le secrétaire de l’Église que le secrétaire de l’État », avait asséné le Saint-Père lors de sa prise de fonctions.
Ce choc frontal entre temporel et spirituel, comment le pape doit-il le gérer au mieux afin d’éviter de nouveaux scandales de cet acabit ? Un ancien ministre libanais, très versé dans les affaires vaticanes, répond.
« Le Saint-Siège est constamment soumis, de l’intérieur surtout, à la pression des novateurs, dont les séparatistes (entre religion et État), à défaut d’être sécularistes, et d’un autre côté à celle des adeptes, quelque peu nostalgiques, d’un christianisme intégral. Ses structures de gouvernance ne sont pas suffisamment adaptées pour tenir compte de la première pression. Elles sont, de facto, plus perméables à la deuxième. Mais de nombreuses personnalités ecclésiastiques ont essayé d’assouplir et de moderniser les structures, pour mieux les ecclésialiser d’une part, et pour les moderniser, en les rendant plus démocratiques et plus transparentes. Cela est pour dire qu’il existe de “bonnes pratiques”, et elles ne sont pas minoritaires », précise-t-il, relevant que l’imbrication du rôle politique du Saint-Siège et l’exercice de son autorité spirituelle « brouille les regards, y compris ceux des observateurs et autres journalistes, ce qui rend le sensationnalisme et le voyeurisme plus prononcés ».


Quant à Gilles Routhier, vice-doyen de l’Université de Laval au Canada, directeur des programmes de deuxième cycle et de doctorat en théologie et responsable facultaire de la recherche, il juge qu’il n’existe pas « une fatalité qui ferait qu’il y a un choc frontal entre temporel et spirituel. Il est bien possible, et on en a des exemples, au Vatican ou ailleurs, qui conduisent à une gestion du temporel non seulement dans le respect du spirituel, mais animé par le spirituel. Du reste, le scandale actuel n’est pas la conséquence d’un choc entre le temporel et le spirituel, mais le fait d’une équipe dont les contradictions internes sont si importantes qu’elle donne l’impression d’un gouvernement qui a perdu la maîtrise ».

 « Pas le même flair »
Pourquoi les scandales du Vatican fascinent-ils autant, sinon plus, que des scandales étatiques bien plus graves ? « Ce n’est que depuis le XIXe siècle que le Vatican figure parmi les plus petits États de la planète. Donc, on ne peut pas traiter de la chose de manière générale comme si toutes les époques représentaient un même cas de figure. Je crois que l’analyse gagne à distinguer les diverses époques. On verrait alors que le XXe siècle, et le dernier tiers du XXe siècle (encore que les choses ne sont pas identiques au cours de tous les pontificats de ce dernier tiers du siècle), constitue un cas de figure particulier dans l’histoire du catholicisme et de la papauté », relève Gilles Routhier.


Contrairement à celle de Jean-Paul II, la politique (?) de Benoît XVI ne semble pas servir au mieux les intérêts du catholicisme. Oui ? Non ? Peut-être ? Les « boutiques » fleurissent... « Lorsque Benoît XVI a accédé au pontificat, il n’avait pas la même énergie que Jean-Paul II dans la même situation. De plus, il n’a pas son charisme et, s’il est un brillant intellectuel, il n’a pas le même sens du gouvernement (ou sens politique) ni le même flair. Son prédécesseur a pu s’imposer rapidement et faire consensus. S’il y avait de l’opposition, elle n’était pas largement partagé et elle était tue, tellement il s’imposait comme l’homme de la situation, après la fin du pontificat de Paul VI, relève l’universitaire canadien. Ce n’est pas le cas de Benoît XVI qui n’a pas réussi à s’imposer, pour une part parce que ses orientations (ou certaines d’entre elles) ne sont pas largement partagées par l’épiscopat ou une partie de celui-ci, mais également parce qu’il n’a pas la même capacité à rassembler, étant moins bien servi par la situation (qui ne dépend pas que de lui), son peu de charisme et également son aptitude “politique” moins grande. Aussi, il n’arrive pas à souder l’ensemble des catholiques derrière des orientations claires, et cela donne prise à la constitution de factions ou de clans. Enfin, les rivalités deviennent encore plus importantes lorsque le gouvernement n’est pas fort et que l’on entre dans une période de “guerre de succession” », assure-t-il.


L’ancien ministre libanais partage plus ou moins cette analyse. Il estime ainsi que les récents remous « illustrent l’antagonisme entre ceux qui ont fait de la rigueur morale une priorité dans la gestion de toutes les affaires, et ceux qui pensent pouvoir ou veulent protéger l’institution par le secret et les accommodements. Il se peut que cet antagonisme cache une guerre de succession. Je n’en suis pas sûr. L’histoire récente de la papauté nous apprend que l’élection d’un nouveau pape n’arrive pas au bout d’une lutte ouverte avant l’heure, dit-il. Benoît XVI est d’abord un théologien conservateur. Sa préoccupation majeure est de faire la théologie et d’œuvrer pour la rechristianisation de l’Europe. Ce n’est pas un homme de pouvoir ni de gestion. Il n’a ni le charisme de Jean-Paul II ni son souci de rendre l’Église catholique plus présente aux problèmes du monde, ni encore son intérêt pour les chrétiens du monde arabe et musulman », ajoute-t-il.


D’ailleurs, derrière le dernier scandale en date, c’est une lutte de pouvoir qui se trame pour la succession de Benoît XVI, âgé de 85 ans, qui s’est contenté de dénoncer la couverture médiatique du VatiLeaks, avant de parler de ses souffrances personnelles et des conflits au sein de sa propre famille et d’afficher une solidarité sans faille avec son bras droit qui, malgré ses minces chances de devenir pape un jour (Angelo Scola, cardinal de Milan, est aujourd’hui favori), entend peser lourdement lors du prochain conclave....

Depuis que le monde est monde, depuis que saint Pierre a été intronisé premier évêque de Rome, depuis que le titre de pape a été utilisé pour la première fois avec Calixte Ier, puis officialisé par Grégoire VII à la fin du XIe siècle, en passant par le Grand Schisme entre 1378 et 1417, et jusqu’à sa création le 11 février 1929 comme représentation temporelle du...