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Santé

Choisir sa mort

Par Peter SINGER

Peter Singer est professeur de bioéthique à l’Université de Princeton et professeur lauréat à l’Université de Melbourne. On compte parmi ses ouvrages : « Animal Liberation », « Practical Ethics » et « The Life You Can Save ».

Dudley Clendinen, écrivain et journaliste de son état, souffre d’une maladie terminale et dégénérative, la sclérose latérale amyotrophique (SLA). En début d’année, le New York Times a publié un article dans lequel ce dernier confesse – avec force émotion – son amour pour la vie et détaille le plan qu’il a élaboré en vue d’y mettre fin au moment où, comme il le dit, « la musique s’arrêtera – quand je ne serais plus capable de faire mon nœud papillon, de raconter une histoire drôle, de promener mon chien, de discuter avec Whitney, d’embrasser les personnes qui comptent pour moi, ou d’écrire comme je le fais en ce moment ».
Aux États-Unis, n’importe qui peut se procurer une arme et se tirer une balle dans la tête sans enfreindre aucune loi, c’est pourquoi un de ses amis lui avait conseillé de s’en procurer une. Mais que faire si vous êtes déjà trop malade pour le faire – ou pour l’utiliser –, ou encore si vous respectez la loi, ou jugez que cette manière de partir n’est ni pacifique ni digne, ou simplement si vous ne souhaitez pas partir en sachant que vos proches seront en état de choc à votre vue ? Il est difficile de demander à une tierce personne de le faire pour vous, et – dans la plupart des pays –, si vous expliquez à votre médecin que vous voulez en finir et que vous avez besoin de son aide, vous lui demandez en réalité de commettre un crime.
Le mois dernier, un groupe d’experts de la Société royale du Canada, présidé par Udo Schüklenk, professeur de bioéthique à l’Université du Queens, a publié un rapport sur la prise de décision en fin de vie – qui constitue un argument de poids en faveur de l’euthanasie pratiquée par un médecin, à condition que les patients soient en mesure de demander ce genre d’aide de leur plein gré.
Le fondement éthique de l’argumentation du panel ne vise pas tant à éviter les souffrances inutiles chez les patients en phase terminale, mais porte plutôt sur les valeurs fondamentales propres à l’autonomie individuelle ou à l’autodétermination. « La manière dont nous mourrons, conclut le panel, reflète nos valeurs au même titre que d’autres décisions fondamentales. » Par conséquent, dans un État qui protège les droits individuels, le fait de choisir sa mort devrait être un droit.
Le rapport propose également une analyse inédite de l’euthanasie pratiquée par les médecins dans les « laboratoires vivants » – les juridictions dans lesquelles cette pratique est légale. En Suisse, ainsi que dans des États américains comme l’Oregon, Washington et le Montana, la loi permet maintenant aux médecins de prescrire sur simple demande un médicament qui procurera une mort paisible à un patient en phase terminale. Aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg, les médecins sont également autorisés à répondre à la demande du patient en lui administrant une injection létale.
Le panel a examiné les rapports de chacune de ces juridictions, à l’exception du Montana (où la légalisation de la mort assistée date seulement de 2009, ce qui fait qu’aucune donnée fiable n’est encore disponible). Aux Pays-Bas, l’euthanasie volontaire représentait 1,7 % des décès en 2005 – exactement comme en 1990. Par ailleurs, la fréquence d’interruption de vie de patients n’en ayant pas explicitement fait la demande a diminué de moitié durant la même période, passant de 0,8 % à 0,4 %.
En réalité, plusieurs enquêtes suggèrent que ce genre de scénario est beaucoup plus fréquent dans les pays où les patients ne peuvent pas légalement demander à un médecin de mettre fin à leurs jours. En Belgique, bien que l’euthanasie volontaire soit passée de 1,1 % des décès en 1998 à 1,9 % en 2007, la fréquence d’interruption de vie d’un patient n’en ayant pas fait la demande expresse a chuté de 3,2 % à 1,8 %. Dans l’Oregon, où le Death with Dignity Act est en vigueur pendant 13 ans, il y a moins de cent cas de mort médicalement assistée par an, et ce chiffre est encore plus faible à Washington.
Le comité canadien a donc conclu qu’il existait de solides preuves permettant de réfuter l’une des plus grandes craintes exprimées par les adversaires de l’euthanasie volontaire ou de l’euthanasie dans un cadre médicalisé – pour eux, cela constitue clairement un risque de dérive vers une généralisation de la mort assistée dans un cadre médicalisé. Le panel a également jugé inadéquates plusieurs autres objections à la légalisation de l’euthanasie et a recommandé que la loi canadienne soit modifiée de manière à autoriser à la fois le suicide assisté et l’euthanasie volontaire.
Plusieurs enquêtes démontrent que plus des deux tiers des Canadiens sont favorables à la légalisation de l’euthanasie volontaire – et ce pourcentage reste stable depuis plusieurs décennies, il n’est donc guère surprenant de constater que ce rapport est largement soutenu par les médias de masse canadiens. Mais le plus surprenant dans tout cela, c’est la réponse incroyablement positive des partis politiques – personne ne s’attendait à ce qu’ils soutiennent une réforme de la loi dans ce domaine.
Il existe d’ailleurs un contraste similaire entre l’opinion publique et l’(in)action politique, que ce soit au Royaume-Uni, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou dans plusieurs pays d’Europe continentale. Reste donc à savoir pourquoi, face à la question de la mort, les institutions démocratiques ne parviennent pas – la plupart du temps – à traduire la volonté d’un peuple par une législation adaptée ?
Je dirais que les politiciens traditionnels craignent par-dessus tout les institutions religieuses qui s’opposent à l’euthanasie volontaire, même si la plupart des croyants pris individuellement ne suivent pas les préceptes de leurs leaders spirituels. Des sondages réalisés dans différents pays ont démontré qu’une majorité de catholiques romains, par exemple, soutenaient la légalisation de l’euthanasie volontaire. Même en Pologne, pays très catholique s’il en est, les détracteurs de l’euthanasie sont moins nombreux que ses partisans.
Dans tous les cas, les croyances d’une minorité ne devraient en aucune manière priver des personnes comme Dudley Clendinen du droit de mettre fin à leur vie comme elles le souhaitent.

© Project Syndicate. Traduit de l’anglais par Élodie Chatelais.
Dudley Clendinen, écrivain et journaliste de son état, souffre d’une maladie terminale et dégénérative, la sclérose latérale amyotrophique (SLA). En début d’année, le New York Times a publié un article dans lequel ce dernier confesse – avec force émotion – son amour pour la vie et détaille le plan qu’il a élaboré en vue d’y mettre fin au moment où, comme il...

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