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À La Une - Initiative

"Dessine-moi une poubelle"

"Ana Ma Bkebb", une campagne qui en appelle au civisme des Libanais.

Le slogan de la campagne.

Son Liban idéal est un paradis qui nous a été offert. Le Liban devient une poubelle publique que nous offrons à nos enfants. Un seul geste peut-il sauver notre pays ? Laila Zahed y croit fermement. Les yeux brillants de détermination, cette généticienne de formation assure qu'il suffit qu'on arrête de jeter des ordures partout... sauf dans une poubelle.

"Ana Ma Bkebb ! (Moi je ne jette pas)", s'était-elle indignée un jour d'octobre.

 

"Je suis enseignante à l'université de Balamand (au Liban-Nord). En 2010, mes cours avaient exceptionnellement débuté en septembre", explique-t-elle à lorientlejour.com. "Ne conduisant pas moi-même, je regardais chaque fois la route menant de Beyrouth à Tripoli. J'essayais de profiter du trajet pour me relaxer, méditer... mais ce que je découvrais n'était pas du tout encourageant", confie-t-elle avec le sourire déçu d'un enfant qui vient de découvrir que le père Noël n'existait pas.

Au bout d'un mois et demi, ce trajet sur un chemin parsemé d'ordures, devint un calvaire pour Laila Zahed.

"J'étais victime d'une overdose de rage", s'emporte la jeune femme, les joues légèrement empourprées. "Je ne pouvais plus respirer, je devenais allergique à ce qui défilait sous mes yeux. Toutes ces ordures jetées sur la voie publique me filaient de l'urticaire", ajoute-t-elle. "Mais moi je ne jette pas et je refuse d’être complice de ce crime !".

Laila Zahed décide de passer à l'action.

 


 

L'autoroute Beyrouth-Tripoli : le déclic. Photo Laila Zahed.




La jeune enseignante n'était pas fière de voir la nature libanaise, pourtant belle à envier, ainsi défigurée. Il n'y avait effectivement pas de quoi l'être. Mais ne voulant pas sombrer dans le découragement, à l'image de bon nombre de ses concitoyens adeptes de l'adage typiquement libanais "il ne tient pas qu'à moi", elle était décidée à faire quelque chose. Ou du moins à essayer.

Encouragée par son époux, Paul Saleh, elle voulait au départ trouver un moyen de se faire entendre et expliquer qu'à la différence des autres, elle ne jette pas les ordures n'importe où, n'importe comment. Elle créa d'abord des stickers pour voitures. "Outre mon désir d'afficher mon refus d'un tel comportement, j'espérais surtout contaminer les autres, m'adresser indirectement à eux pour leur demander de sauver la nature libanaise qu'ils assassinent jour après jour", explique-t-elle, les yeux rivés sur son portable où sont stockées des photos choc qu'elle a prises un peu partout et qu'elle tient à partager.


 


Laila Zahed et son mari, Paul Saleh, des amoureux de la nature.




Consciente de la nécessité de donner plus de visibilité à son projet, Mme Zahed créa ensuite une page "Ana Ma Bkebb" sur Facebook. Elle compte aujourd'hui près de 7.000 membres. "Mes collègues et étudiants ont participé à faire parler de la campagne et, de bouche à oreille, mon initiative a pris de l'ampleur", raconte, très fière, Mme Zahed. "Je n'avais pas prévu une infrastructure pour une campagne à grande échelle. Mais quand j'ai vu les réactions positives et encourageantes de mon entourage, j'ai décidé d'élargir mon champ d'action", poursuit-elle. Un petit comité composé surtout d'amis et de consultants a été alors formé. Ses membres ont unifié leurs efforts pour soutenir cette initiative écologique, chacun dans son domaine. 




 
Même quand la poubelle est juste à côté...Photo Laila Zahed.



En quête de contact plus direct avec les gens, Laila Zahed a participé à un grand nombre d'activités, dans des écoles et des colonies. Elle a distribué des sacs à ordures biodégradables pour les voitures dans des stations service. Elle a offert des éventails "Ana Ma Bkebb" lors de la fête de la Musique, en juin, à Beyrouth. Elle a même préparé un petit questionnaire qu'elle a distribué au festival de Hammana. "Je cherchais surtout à comprendre cette attitude et les raisons qui poussent certains à l'adopter", dit-elle. "Les réponses ont varié entre : Je ne suis pas le seul à le faire ; Ce n'est pas mon problème ; l'Etat est absent ; Il y a des problèmes plus importants... ", raconte-t-elle.

"Les gens justifient souvent leurs actes par rapport à ce qu’ils voient et utilisent le comportement des autres comme excuse", déplore Mme Zahed. "Oui, les routes publiques ne sont pas entretenues. Oui, il y a des rues où on ne trouve pas une poubelle pour y jeter nos ordures, admet-elle. Mais l'essence du problème n'est pas là." 

S'inspirant de la célèbre sentence de l'ancien président américain John F. Kennedy, "Ask not what your country can do for you. Ask what you can do for your country",  Mme Zahed estime que beaucoup de choses nous sont imposées. "Nous avons passé des années à subir. Ces petites choses que nous pouvons changer, autant les changer nous-mêmes", dit-elle. Laila Zahed fustige le manque de respect qu'ont certains Libanais d'abord envers eux-mêmes, puis envers les autres et leur pays. "Malheureusement, nous avons perdu le sens de civisme. Mais moi, je garde espoir...", conclut-elle.

 

Laila Zahed reste toutefois consciente de l'ampleur du défi. "C'est toute une culture qui doit changer !, s'exclame-t-elle. Et pourtant, c'est l'un des rares sujets à n'avoir aucun rapport avec la politique et qui ne suppose pas un budget".

 

 

Aujourd'hui, Laila Zahed prévoit de lancer une plus large campagne publicitaire. Elle compte avant tout sur sa tenace volonté, mais aussi sur son entourage qui lui propose de vendre ses stickers à prix réduit pour contribuer au financement de nouveaux stickers. Elle ne cherche ni la célébrité, ni le profit. "Mon but, c'est de viser les 90% des gens pour qui jeter est un geste naturel et inconscient", dit-elle. Pour Laila Zahed, le simple sentiment de dignité que l’on gagne à ne pas contribuer à la détérioration de l’espace commun n’a pas de prix.


Son Liban idéal est un paradis qui nous a été offert. Le Liban devient une poubelle publique que nous offrons à nos enfants. Un seul geste peut-il sauver notre pays ? Laila Zahed y croit fermement. Les yeux brillants de détermination, cette généticienne de formation assure qu'il suffit qu'on arrête de jeter des ordures partout... sauf dans une poubelle.
"Ana Ma Bkebb ! (Moi je ne jette...
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