Il fut un temps où la guerre intertribale, qui continue pourtant de faire rage à Sanaa, où les entorses aux droits de l’homme à Manama méritaient une part plus large dans le flot de reportages et d’analyses qui accompagnent l’actualité. Aujourd’hui, on préfère donner la priorité à la crise entre Le Caire et Tel-Aviv – variante : la tension croissante Turquie-Israël –, quand ce n’est pas au cruel dilemme auquel se trouve confrontée la communauté internationale, à l’approche de la date fatidique du 20 septembre : faudra-t-il ou non reconnaître un État palestinien, lui octroyer un statut d’observateur sur le modèle du Vatican ou tout simplement faire capoter l’ensemble de la démarche entreprise par Mahmoud Abbas ?
Dans la capitale de l’Arabie jadis heureuse, la guerre oppose des fractions dont la rivalité n’a rien à voir avec une quelconque idéologie ; le régime ne veut se reconnaître qu’un seul ennemi, el-Qaëda ; enfin, dans la province de Sa’ada, la rébellion houthite fait rage depuis bientôt cinq ans sans qu’il soit possible d’amener ses chefs à résipiscence. Ces trois éléments, ajoutés à la présence au sommet de l’État d’un homme agrippé à son fauteuil, forment un mélange dangereusement détonnant. Le mois dernier, al-Charq al-Awsat relayait avec force détails les inquiétudes de l’Arabie saoudite face à une instabilité dont elle rend l’Iran responsable. Tout comme Washington, Riyad appréhende un affaiblissement de son protégé, sous les coups de boutoir des chiites de Abdel Malek el-Houthi, ce qui ne manquerait pas, craignent-ils à juste titre, de donner des idées (en fait, c’est déjà le cas) à leurs coreligionnaires de l’autre côté de la frontière. Ces derniers, vivant principalement dans les régions d’al-Charqiyah et de Najrane, représentent entre 17 et 20 pour cent de la population – 10 pour cent selon les statistiques officielles, soit 1 750 000 personnes.
On comprend dès lors que les Saoudiens préfèrent ne pas lâcher Saleh, quand se profilent à l’horizon proche les deux ombres, aussi menaçantes l’une que l’autre, représentées par l’organisation d’Ayman al-Zawahiri et les bassidjis de la République islamique. Le chef de l’État, qui suit toujours des soins dans les hôpitaux du royaume après l’attentat dont il avait été victime le 3 juin dernier, attend toujours de rentrer chez lui. Dans la pratique, les Saoudiens n’ont jamais été avares de leur soutien à leur voisin et on n’est pas près d’oublier le long duel qui les avait opposés à Nasser dans les années soixante à travers l’imam Badr et le mouchir Abdallah Sallal.
Le week-end dernier, l’agence de presse yéménite, citant le gouverneur de la province d’Abyan, dans le sud du pays, annonçait la « libération » par l’armée de la ville côtière de Zinjibar, investie depuis le mois de mai par des éléments armés entretenant des liens avec el-Qaëda dans la péninsule Arabique (AQPA). Bilan des pertes, selon le ministère de la Défense : 230 soldats tués ainsi qu’une cinquantaine de membres de tribus ralliées au pouvoir central. Message reçu cinq sur cinq, dit-on, par la famille royale.
Il en va tout autrement dans le minuscule royaume de Bahreïn. Là, pas de tribus, encore moins de conflits armés : les chiites (plus de 70 pour cent de la population) ont opté pour des manifestations certes pacifiques mais qui, devenant de moins en moins contrôlables, ont porté le roi Hamad ben Issa al-Khalifa à faire appel au puissant voisin wahhabite, lequel s’est dépêché d’envoyer un contingent de 1 500 militaires chargés d’éviter tout débordement susceptible de mettre en danger un équilibre ô combien précaire. Rien n’y fait : depuis lors, l’instabilité prévaut dans ce minuscule archipel formé de 33 îles, où l’on préfère oublier qu’en 1957, le Majlis iranien avait proclamé l’annexion de cet État situé à l’entrée du Golfe, devenu alors quatorzième province de l’empire. Une telle décision ne pouvait que rester sans lendemain, mais la menace est toujours présente, au point que les ministres des Affaires étrangères des pays du Conseil de coopération du Golfe ont éprouvé le besoin, il y a quelques jours, de réitérer leur soutien inconditionnel au benjamin. Une façon, comme une autre, de se rassurer eux-mêmes.
Avec toutes ces guerres tribales arabes non seulement les révolutions seront oubliées mais aussi le sort de la Palestine . Et la tension croissante Turquie-Israël ne fera qu ’augmenter le risque croissant du fanatisme religieux régional qui pourra comme en Egypte faire sauter touts les accords de paix conclus à jour . Antoine Sabbagha
03 h 36, le 13 septembre 2011