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À La Une - Le billet

Le travail, c’est la santé...

... ne rien faire, c'est la conserver (Henri Salvador)

 

Le réveil sonne. Un vieux réveil, comme dans les films, rond, avec de vraies aiguilles et une espèce de chapeau en métal tremblant dans un enfer de décibels sous le coup d’un marteau sadique. Elle jette sa main, écrase le chapeau, le vacarme cesse. Puis reprend cinq minutes plus tard. Elle jette à nouveau sa main, attrape le réveil, le jette contre le mur. L’agression sonore continue. L’engin a probablement été construit avant que la Chine ne devienne la grande usine du monde.


Elle ouvre un œil, s’extirpe des draps. Dans la salle de bains, son œil mi-ouvert tombe sur la couverture d’un magazine féminin dont le dossier du mois est consacré, dans un élan hégélien, aux vertus libératrices du travail. Naturellement, elle aurait tendance à penser que la grasse matinée est plus propice à son épanouissement personnel que l’analyse de rapports abscons sur écran LCD. Elle jette le magazine à la poubelle.


Après une douche rapide et le rêve d’un petit déjeuner, elle file au boulot. En poussant la porte de verre et de métal de la tour en béton, elle prend une grande inspiration.


Elle entre dans son bureau, un espace beigeâtre, ouvert et collectif. Jean est déjà là. Cinq ans qu’elle a un penchant pour Jean. Jean penche aussi, mais moins. En le regardant se préparer un café, elle rêve de rejoindre ces 30 % de couples qui se forment au boulot (Étude Monster.fr, 2007).


Elle sort de sa rêverie quand Ralph débarque. Son dada dans la vie, à Ralph, c’est de nuire à ses collègues, de leur marcher dessus, de leur faire des crasses. Son estomac se noue (étude menée sur 20 ans par l’Université de Tel-Aviv sur l’impact du lieu de travail : les employés ne pouvant pas, ou peu, compter sur leurs collègues, avaient 2,4 fois plus de chances de mourir pendant l’étude, surtout s’ils avaient entre 38 et 43 ans au début de l’étude).


Ralph, dans un élan lèche-cul, bondit de son siège. Le patron vient d’arriver. Un être sinistre et fermé comme une huître (étude de l’Université de Tel-Aviv : le fait que le patron soit ou non sympathique n’a pas d’impact sur la mortalité de l’employé).


Le patron la convoque dans son bureau. Il lui annonce qu’elle va avoir une augmentation. L’homme a beau être antipathique, il reste professionnel. Son estomac se dénoue (enquête Samotrace sur la santé mentale au travail, réalisée en France entre 2006 et 2008 : ne pas voir ses efforts récompensés est une importante source de mal-être).
Dans la foulée, le patron lui propose une promotion. Elle est tentée (étude Whitehall menée, pendant 25 ans, en Grande-Bretagne : plus on descend dans la hiérarchie sociale et professionnelle, plus le risque cardiaque augmente. Entre 40 et 64 ans, les employés en bas de l’échelle ont un taux de mortalité quatre fois plus élevé que ceux qui sont en haut). Elle a 39 ans. Elle accepte la promotion.


Elle revient à son bureau, plonge dans une pile de dossiers. Quand elle relève la tête, il est 20h. Elle se dit que pour un vendredi, ça suffit.

 

Elle attrape son sac, éteint son ordinateur et file. Quand elle franchit la porte principale de la tour grise, elle calcule mentalement qu’elle a travaillé 49 heures cette semaine. Elle sourit (étude de l’Université d’Otago,
Nouvelle-Zélande : les individus qui travaillent 50 heures ou plus par semaine sont de 1,8 à 3,3 fois plus nombreux à connaître des difficultés liées à la consommation d’alcool, comparé à ceux qui ne travaillent pas).


Elle arrive chez elle, se vautre sur le canapé, allume la télé. Son smartphone bipe. Un message de son boss. Le rapport qu’elle devait rendre mercredi devra être rendu lundi. À la première heure. Elle en aura au moins pour 8 heures de boulot ce week-end. Elle s’ouvre une bière.

... ne rien faire, c'est la conserver (Henri Salvador)
 
Le réveil sonne. Un vieux réveil, comme dans les films, rond, avec de vraies aiguilles et une espèce de chapeau en métal tremblant dans un enfer de décibels sous le coup d’un marteau sadique. Elle jette sa main, écrase le chapeau, le vacarme cesse. Puis reprend cinq minutes plus tard. Elle jette à nouveau sa main, attrape le...
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