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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

D’encre et de sang

Les premiers à en convenir devraient être ceux, précisément, qui font profession d’informer : si certaine presse a soudain mauvaise presse, au point de se voir condamnée à la disparition, c’est qu’elle l’a bien cherché.

Malgré la grande audience populaire qui est hélas la leur, les feuilles à ragots n’ont jamais volé bien haut, donnant en pâture à leurs lecteurs les faits et gestes les plus intimes des célébrités. Il y a loin cependant de la simple indélicatesse au crime qualifié : à savoir ces écoutes téléphoniques illicites impliquant la complicité de hauts fonctionnaires de la police et grâce auxquelles des tabloïds londoniens alimentaient leur réservoir de secrets d’alcôve ou autres. Par un juste retour des choses, voici que le scandale retombe sur les marchands de scandales, que des têtes se mettent à rouler, qu’un tentaculaire empire médiatique vacille en ce moment sur ses bases.

Que cet énorme effet de boule de neige ait pour théâtre l’une des démocraties occidentales les plus admirées et enviées, l’évènement n’en revêt qu’une portée accrue. On a là en effet la salutaire réaffirmation que la sacro-sainte liberté d’informer n’a jamais signifié viol de la vie privée et que le journalisme d’investigation n’a pas pour corollaire licence d’espionner ou, pire, de pratiquer le chantage. À son tour, ce rappel des règles éthiques les plus élémentaires, sanctionné par l’ amputation du membre gangrené, ne peut que conforter le rôle de quatrième pouvoir joué par la presse dans tout système démocratique.

C’est à cette noble mission que demeurent obstinément attachés ici même nombre de médias, dans le cadre d’une démocratie libanaise réduite pourtant à sa plus simple expression, du fait des ingérences étrangères, mais aussi et surtout du monopole de l’armement que s’est arrogé un parti se réclamant ouvertement d’ailleurs de ces mêmes influences. Dans notre pays, ce n’est plus la presse qui fait et défait les gouvernements ; mais ce n’est guère davantage la loi qui tient en respect la presse. Ce sont les journalistes que l’on s’est mis à assassiner il y a quelques années, en même temps que les chefs politiques. Et ce sont les journalistes encore que l’on cherche à intimider ou qu’on harcèle de menaces à peine anonymes.

Quant au voisin syrien, en butte à un vaste soulèvement populaire mais nullement enclin pour autant à décrocher du Liban, l’actualité récente est venue montrer dans quel mépris il tient les médias de notre pays, toutes tendances confondues. C’est le contraire qui eût été surprenant. En Syrie, la presse nationale n’a d’autre fonction que de glorifier le régime, que de coucher sur papier journal ou de répandre aux quatre azimuts la langue de bois officielle. En Syrie, la presse internationale est tout simplement interdite d’entrée, ce qui fait des citoyens en révolte, caméra-téléphone au poing, autant de grands reporters et de correspondants de guerre témoignant, par l’image et le son, de la barbarie de la répression.

En Syrie enfin, les autorités ne tolèrent guère les appels à la raison et autres conseils de modération, quand bien même émaneraient-ils de publications tenues pour amies, et ayant donc à cœur l’intérêt bien compris du régime baassiste. C’est ce que viennent de constater deux influents quotidiens libanais qu’unit pourtant un même soutien à Damas et aussi au Hezbollah, et qui viennent d’être interdits en Syrie. Leur crime ? Avoir fait place dans leurs colonnes, aux côtés de la rhétorique du Baas et par simple souci de professionnalisme, aux communiqués des contestataires. Avoir, de même, invité le président Bachar el-Assad à concrétiser sans plus de délai, car la maison brûle, les promesses de réforme demeurées lettre morte.

C’est tout juste si nos confrères d’as-Safir et d’al-Akhbar ne se sont pas vu accuser d’avoir recouru, eux aussi, à des écoutes illicites...

Issa GORAIEB
Les premiers à en convenir devraient être ceux, précisément, qui font profession d’informer : si certaine presse a soudain mauvaise presse, au point de se voir condamnée à la disparition, c’est qu’elle l’a bien cherché.Malgré la grande audience populaire qui est hélas la leur, les feuilles à ragots n’ont jamais volé bien haut, donnant en pâture à leurs lecteurs...

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