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Économie

La muse italienne de l’Europe ?

Par Emma BONINO et Marco DE ANDREIS*
La contagion de l’euro déclenchée par la crise de la dette souveraine de la Grèce a aujourd’hui gagné l’Italie. Le gouvernement de Silvio Berlusconi, et une opposition préoccupée par le budget, est parvenu à réunir – en seulement quelques jours – un accord parlementaire autour d’un ensemble de mesures pour un montant de plus de 50 milliards d’euros visant à restaurer la confiance des marchés dans la solidité des fondamentaux économiques de l’Italie.
En l’absence d’engagement réel et crédible de l’ensemble de l’UE pour arrêter la contagion, d’autres pays de la zone euro frappés par la crise de la dette souveraine ont suivi le même chemin. Mais le financier George Soros a raison : « L’Europe a besoin d’un “plan B”. » La crise majeure qui frappe la zone euro et l’Union européenne ne doit pas être gâchée. Elle doit servir à faire progresser l’Europe sur la voie de l’intégration, à moins de se voir régresser.
À sa création, les architectes de l’euro étaient parfaitement conscients qu’aucune union monétaire dans l’histoire n’avait jamais abouti sans le soutien d’une union politique. Les espoirs s’étaient néanmoins raccrochés à l’existence d’un large marché européen et à l’engagement des États membres de la zone euro de garder sous contrôle les déficits budgétaires, la dette publique et l’inflation. Mais plusieurs États membres de la zone euro n’ont pas tenu parole et la crise qui s’est engouffrée dans leur dette souveraine met aujourd’hui en danger la survie de l’ensemble de la zone euro.
Dans la mesure où la coopération entre les États souverains n’a tout simplement pas fonctionné, seules demeurent deux possibilités. L’une d’elles est que les membres de la zone euro restent souverains et récupèrent leurs pouvoirs monétaires, ce qui implique non seulement la mort de l’euro, mais constitue aussi une menace pour le marché intérieur et pour l’existence même de l’UE. L’autre option est de céder un peu plus de souveraineté à l’UE, ce qui entraîne non seulement la survie de l’euro, mais aussi, et c’est peut-être le plus important, la naissance de l’union politique de l’Europe.
Ce choix s’impose clairement à nous. Jean-Claude Trichet, président de la BCE, et Jacques Attali, président fondateur de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, se sont tous deux déclarés ouvertement pour l’établissement d’un ministre européen des Finances. Le très technocratique, glacial et apolitique Fonds monétaire international, dans son dernier rapport sur la zone euro, va jusqu’à noter « l’union politique et un partage ex ante du risque budgétaire » comme conditions préalables au bon fonctionnement de toute union monétaire.
Mais peu de personnes se sont réellement penchées sur ce à quoi pourrait ressembler une Europe politiquement unie. La majorité d’entre elles assume en effet implicitement que ce serait un transfert massif de presque toutes les fonctions du gouvernement des États membres vers le centre fédéral, et donc la création d’un « super-État européen ».
Nous pensons plutôt qu’une « fédération lite », avec un budget limité à environ 5 % du PIB européen (comparé à près de la moitié du PIB pour la plupart des membres de l’UE,) permettrait une union politique réaliste. Ces ressources, 600 à 700 milliards d’euros, remplaceraient plutôt qu’elles ne s’additionneraient aux budgets nationaux, dans la mesure où elles accompagneraient le transfert de certaines fonctions gouvernementales. Dans certains cas, cela permettrait aussi des économies d’échelle.
En matière de défense, par exemple, une armée unique de l’UE, plutôt que différentes forces armées nationales de l’Europe, profondément hors de propos et inefficaces, avec un budget annuel d’environ 1 % du PIB européen – soit quelque 130 milliards d’euros – deviendrait d’emblée la seconde force militaire au monde après celle des États-Unis en termes de ressources et, du moins peut-on l’espérer, de capacités. Si l’on part du principe que les contributions nationales au budget fédéral seraient d’un montant forfaitaire, la Grèce pourrait ainsi effacer 2 à 3 précieux points de pourcentage de son déficit public.
Au-delà de la défense et de la sécurité, il serait logique de transférer d’autres compétences au niveau fédéral. Les premiers candidats sont la diplomatie et la politique étrangère (y compris l’aide au développement et humanitaire,) l’immigration, le contrôle des frontières, certains projets d’infrastructure d’envergure européenne, la recherche et le développement à grande échelle, et la redistribution régionale.
Ces fonctions gouvernementales, et un budget fédéral de cette taille, exigeraient, bien sûr, l’équivalent d’un ministre des Finances. Et cela vaudrait la peine : un montant critique de 600 à 700 milliards d’euros rendrait possibles une stabilisation macroéconomique et une redistribution lorsque nécessaire, sans avoir à mettre en place des mécanismes ad hoc, ou pire, la médiatisation et l’attention qui entourent les sommets qui, les uns derrière les autres, se réunissent pour décider du prochain plan d’aide à apporter aux pays aux prises à des difficultés financières.
Le terme « union de transfert » est désormais utilisé, surtout en Allemagne, comme synonyme péjoratif pour une fédération. Nous sommes d’accord pour dire que déplacer des ressources d’un point à un autre ne peut être la raison d’être d’une entité politique. Seules certaines fonctions gouvernementales spécifiques le peuvent. Mais lorsque certaines de ces fonctions sont déplacées vers le niveau fédéral, on a à sa disposition un outil supplémentaire pour transférer des ressources pour financer ces tâches. Lorsque cela est nécessaire, les États qui traversent un boom devraient être taxés plus que ceux qui traversent un creux.
Cette redistribution n’est qu’une routine dans n’importe quelle fédération, comme aux États-Unis, et les citoyens n’y prêtent pas ou peu d’attention. Le gouvernement de l’État de New York et sa population ne protestent pas sous prétexte que le Mississippi reçoit bien plus que les New-Yorkais de la part du budget fédéral que ce qu’il y contribue.
Malgré les problèmes actuels, la zone euro est non seulement plus riche, mais aussi économiquement plus solide que la plupart des autres pays et régions. La principale menace pour l’euro est précisément le manque d’un minimum d’union politique de la zone euro – une fédération lite qui rende la solidarité possible, et même automatique lorsque nécessaire.
En ce sens, la perspective imminente d’une crise généralisée de la dette italienne pourrait s’avérer bénéfique en obligeant les Européens à se concentrer. Il n’est pas nécessaire d’inscrire les mots e pluribus unum sur les billets et les pièces de la monnaie européenne pour se convaincre que le principe qu’ils défendent – l’unification politique de l’Europe, pas moins qu’aux États-Unis – est indispensable à la survie de l’euro.

©Project Syndicate, 2011.
Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats.

*Emma Bonino est vice-présidente du Sénat italien et ancienne commissaire européenne. Marco de Andreis dirige le département de la recherche économique à l’Agence italienne des douanes et est ancien responsable de l’UE.
La contagion de l’euro déclenchée par la crise de la dette souveraine de la Grèce a aujourd’hui gagné l’Italie. Le gouvernement de Silvio Berlusconi, et une opposition préoccupée par le budget, est parvenu à réunir – en seulement quelques jours – un accord parlementaire autour d’un ensemble de mesures pour un montant de plus de 50 milliards d’euros visant à restaurer la...

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