Rechercher
Rechercher

Déchirements au sommet du pouvoir iranien - Éclairage

Déchirements au sommet du pouvoir iranien

Entre les partisans d'Ahmadinejad et les conservateurs proches de Khamenei, rien ne va plus. Deux spécialistes de l'Iran, Azadeh Kian et Thierry Coville, dissèquent la crise.

Entre le guide Ali Khamenei et son poulain, le président Ahmadinejad, rien ne va plus. Raheb Homavandi/Reuters/HO/AFP


Le pouvoir iranien est en crise. Une crise qui oppose les partisans du président Ahmadinejad aux conservateurs proches du guide. Une crise avec en toile de fond les législatives de 2012, pour lesquelles le camp présidentiel a annoncé son intention de présenter ses propres candidats contre l'actuelle majorité conservatrice du Parlement, et la présidentielle de 2013. Un scrutin auquel Ahmadinejad ne peut concourir, mais pour lequel il se ferait bien remplacer par son chef de cabinet, Esfandiar Rahim Machaie, figure honnie des conservateurs. Machaie qui, en juillet 2008, avait provoqué un tollé en déclarant que « l'Iran est l'ami du peuple américain et du peuple israélien ». Machaie contre lequel les conservateurs concentrent aujourd'hui leurs attaques, l'accusant de diriger un « groupe déviationniste » qui, selon eux, viserait à saper les fondements de la République islamique, d'être trop libéral et d'avoir envoûté le président. De fait, Machaie exerce une grande influence sur Ahmadinejad qui, selon Thierry Coville, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), « ne prend aucune décision sans lui ».
La crise s'est cristallisée, ces dernières semaines, autour de deux ministères-clés : le ministère des Renseignements et celui du Pétrole. Contrôle politique et argent : les deux nerfs des scrutins iraniens.
En avril dernier, l'ayatollah Khamenei opposait son veto au limogeage, ordonné par Ahmadinejad, du ministre des Renseignement, Heydar Moslehi, un de ses proches. Dix jours durant, le président s'enferma dans une bouderie, refusant de participer à toute activité publique.
Aujourd'hui, c'est autour du ministère du Pétrole que se joue le dernier acte en date de la crise. Le 15 mai, Ahmadinejad annonçait qu'il allait prendre provisoirement ce portefeuille après avoir démis son titulaire. Une décision que le Parlement, dominé par les conservateurs proches du guide, a jugée contraire à la Constitution. Sous pression, Ahmadinejad a dû se résoudre à nommer un ministre par intérim. Il a néanmoins opté pour un proche. Le pétrole rapporte 80 % des ressources en devises, un trésor dans lequel Ahmadinejad est accusé d'avoir puisé à des fins électorales.
Si la crise s'étale désormais au grand jour, elle frémit en coulisses depuis un moment. « Depuis qu'Ahmadinejad est au pouvoir, et surtout depuis le début de son second mandat, les tensions entre l'exécutif et le Parlement sont quasi quotidiennes », rappelle Thierry Coville, professeur à l'école Negocia. « Pendant longtemps, les conservateurs proches du guide, par peur des réformateurs, se sont tus et ont soutenu Ahmadinejad sous prétexte que le guide le soutenait. Aujourd'hui, ils estiment que ce n'est plus possible. La gestion économique du pays est catastrophique, la politique étrangère désastreuse », note Azadeh Kian, professeur spécialiste de l'Iran à l'Université de Paris VII.
« Les religieux ont en outre peur qu'Ahmadinejad cherche à se débarrasser d'eux », estime M. Colville, qui ajoute que le président « cherche à reconquérir l'électorat en bâtissant sa popularité contre les religieux. Et Khamenei et ses proches ont vu le danger de cette opération ».
D'où la nécessaire intervention d'Ali Khamenei. « Aujourd'hui, le guide estime qu'Ahmadinejad devient trop dangereux et qu'il est temps de montrer qu'il y a des lignes à ne pas franchir. Un scénario assez classique en République islamique », note le chercheur de l'IRIS. « Le guide a longtemps été le plus grand soutien d'Ahmadinejad. Mais quand le président n'a pas voulu écouter le guide sur l'affaire du ministère des Renseignements, les conservateurs ont commencé à dire que ça n'allait plus, qu'un président ne peut pas ne pas faire ce que lui dit le guide. Et à l'approche des législatives, les conservateurs veulent savoir sur quel pied danser », note Azadeh Kian. Au delà des questions électorales, le guide a aussi compris, renchérit la chercheuse, « que s'il voulait rester guide, il avait besoin du soutien de l'institution cléricale, celle-là même qu'Ahmadinejad ne cesse de défier ». C'est après quatre récentes visites à Qom, cœur du chiisme en Iran, « que le guide a commencé à prendre ses distances avec Ahmadinejad », précise-t-elle.
Un guide qui n'est pas épargné par la crise. « Depuis qu'il est au pouvoir, et surtout ces dernières années, Ahmadinejad n'a cessé de provoquer des problèmes qui ont contraint le guide à intervenir, ce qui amoindrit son prestige », souligne la professeure, qui se demande si tout ceci ne relève pas d'un calcul stratégique de la part d'Ahmadinejad. « Au fil des ans, Ahmadinejad est devenu de plus en plus sûr de lui-même. Lui et certains de ses proches, comme Machaie, commencent à vouloir s'autonomiser par rapport au pouvoir du guide », note Kian. Mais selon la spécialiste, Ahmadinejad fait erreur quant à l'ampleur de son pouvoir réel.
Sur le plan institutionnel, le Parlement et le pouvoir judiciaire sont en majorité conservateurs. Ahmadinejad a des soutiens au sein des bassidj et des pasdaran. Mais le chef des gardiens de la révolution est un proche du guide. Au niveau de l'opinion publique, Ahmadinejad bénéficie du soutien des classes très populaires, à savoir de ceux qui ne travaillent pas et dont la survie dépend de l'aide du gouvernement. « Ils soutiennent Ahmadinejad, car c'est lui qui distribue l'argent », souligne Mme Kian. Un soutien donc purement circonstancié. Le soutien le plus solide, Ahmadinejad le trouve « au sein d'une partie des classes moyennes qu'il a créées lui-même » en impliquant les uns dans le secteur de l'importation et plaçant les autres dans l'administration. « Mais ceci ne fait pas la majorité de l'électorat », poursuit-elle.
Pour Thierry Coville, Ahmadinejad est plus ou moins neutralisé. « Les différends ont été portés sur la place publique, les attaques contre le manque de conviction religieuse du groupe d'Ahmadinejad sont des coups très durs. En Iran, si on en arrive à ce stade, c'est qu'on estime qu'on a assez joué. Actuellement, je vois mal Machaie en candidat à la prochaine présidentielle. Ceci dit, en Iran, on ne peut jamais jurer de rien », note le chercheur.
Depuis le 29 mai, le guide tente, tout en intimant à Ahmadinejad de rentrer dans le rang, de calmer le jeu. « Il sait très bien que si les choses s'envenimaient entre les ultras d'Ahmadinejad et les conservateurs, les réformateurs pourraient en tirer profit », note Azadeh Kian.
Mais les réformateurs peuvent-ils aisément tirer profit de cette situation ? Pas sûr, estime Thierry Coville, qui ne croit pas que Khamenei envisage d'enterrer hache de guerre avec réformateurs. « Ceci dit, la situation peut changer. Notamment parce qu'un certain nombre de conservateurs traditionnels soutenant le guide estiment que la répression des manifestations de 2009 était une erreur. Une sortie par le haut de cette crise serait que les conservateurs modérés qui soutiennent le guide mais ne sont pas opposés au mouvement vert (opposition, NDLR) arrivent à faire la jonction. Mais ces conservateurs devront convaincre le guide », souligne M. Coville.
« Actuellement, Khatami et Rafsandjani appellent à la réconciliation. Mais je doute que cette proposition soit acceptée par le guide et même par les verts. Moussavi et sa femme, ainsi que Karoubi ont promis de ne pas trahir le mouvement, note Azadeh Kian. Ce qui est sûr, c'est que la révolte de 2009 a laissé des traces et, selon moi, la crise actuelle au sommet du pouvoir est une conséquence de la révolte dont la répression a créé énormément de mécontentement et de dissensions parmi les conservateurs. »
Pour se sortir de cette crise, Ahmadinejad pourrait aussi être tenté de botter en touche. « On peut aussi s'attendre à des provocations de la part du camp d'Ahmadinejad à l'échelle internationale et régionale. Confronté à des tensions importantes, le camp d'Ahmadinejad a, à chaque fois, pu obtenir sinon le soutien, du moins la neutralité des autres camps en créant des tensions à l'extérieur, car il n'a pas les ressources intérieures - ni soutien populaire ni soutien institutionnel - pour arriver au même résultat », conclut Azadeh Kian.
Le pouvoir iranien est en crise. Une crise qui oppose les partisans du président Ahmadinejad aux conservateurs proches du guide. Une crise avec en toile de fond les législatives de 2012, pour lesquelles le camp présidentiel a annoncé son intention de présenter ses propres candidats contre l'actuelle majorité conservatrice du Parlement, et la présidentielle de 2013. Un scrutin...