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Santé

L’éradication de la polio est-elle une bonne idée ?

Par Arthur CAPLAN

Arthur Caplan est professeur en bioéthique et directeur du Centre pour la bioéthique de l’Université de Pennsylvanie aux États-Unis.

En 2010, la polio s'est déclarée en Asie centrale avec 560 cas signalés au Tadjikistan. Des cas ont aussi été diagnostiqués en Russie et en Ouzbékistan, apparemment transmis par des voyageurs infectés mais asymptomatiques en provenance du Tadjikistan.
Le cas du Tadjikistan est particulièrement troublant, car le pays avait été certifié exempt de poliomyélite par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). La volonté d'éradiquer la polio pourrait mettre l'ensemble du monde à risque, comme le démontre la tragédie du Tadjikistan. Il ne fait aucun sens de parler de l'éradication de maladies comme la polio si une petite épidémie déclarée dans une partie reculée du globe peut rapidement se répandre et mettre en danger des milliards de personnes.
Ce scénario n'est pas une simple hypothèse. L'hémisphère occidental a été déclaré exempt de polio il y a vingt ans, mais des cas ont été signalés en Haïti et en République dominicaine aussi récemment qu'en 2000. Quatre cas ont été signalés dans une communauté amish du Minnesota en 2005, et de nombreux autres ces dernières années en Angola, au Nigeria, en Ouganda, au Kenya, au Bénin, en Inde, au Nigéria, en Somalie, au Pakistan, au Soudan et dans d'autres pays aussi.
De nombreux professionnels de santé publique estiment que le plus grand triomphe de la médecine de ce siècle a été l'éradication de la variole. Cet extraordinaire accomplissement a été déterminant dans le fait que plusieurs gouvernements nationaux et internationaux et des associations, dont l'OMS, le Rotary International et la Fondation Gates, œuvrent pour éradiquer d'autres maladies infectieuses comme la rougeole, le paludisme et la polio.
L'éradication de maladies responsables de la mort ou du handicap d'un nombre incalculable de personnes est un objectif facile à comprendre et à soutenir. Comme l'a déclaré la directrice de l'OMS, Margaret Chan, devant un public de Rotariens à l'occasion de la Convention internationale du club l'année dernière, « la communauté internationale a si peu d'opportunités d'améliorer ce monde de manière réelle et pérenne ». « L'éradication de la polio est l'une d'elles », a-t-elle ajouté. En outre, parler de « l'éradication » d'une maladie est sans équivalent comme moyen pour obtenir des financements, canaliser l'attention des politiques et accrocher une couverture médiatique positive.
Mais on peut se demander si maintenir les efforts pour une éradication de la polio - par opposition à un contrôle et à une gestion énergique et efficace de la maladie - est le bon cap à poursuivre.
Si l'éradication de la polio est le but des campagnes de santé publique actuelles, il est important de déterminer précisément les objectifs recherchés. Parler d'éradication signifie que l'on se débarrasse définitivement de cette maladie et que l'on s'autorise donc à baisser la garde. Mais il serait beaucoup trop risqué de passer de la vigilance à l'indifférence en ce qui concerne la polio dans le monde d'aujourd'hui.
Pour commencer, la surveillance requise pour parvenir à l'éradication est un défi énorme. Les instabilités politiques, les guerres, les conflits civils et les hésitations des gouvernements rendent parfois impossible l'accès à certaines parties du monde. De plus, il n'est pas certain que tous les cas de polio puissent être détectés parce que certaines personnes infectées ne montrent aucun symptôme. Et le défi que constitue une vigilance adéquate semble insurmontable lorsque l'on considère que la polio peut réapparaître soudainement de nulle part sous une forme que l'on pourrait qualifier de sauvage.
Localiser les derniers cas de polio est un processus très coûteux. Les efforts produits pour l'éradication fragilisent les infrastructures de santé et le soutien de la communauté, dans la mesure où les budgets et les ressources publiques des pays pauvres sont détournés de problèmes locaux plus pressants.
Dans certaines parties du monde, l'émergence de la notion du respect du droit du malade à refuser la vaccination constitue une difficulté supplémentaire pour ceux qui cherchent à éradiquer les maladies comme la polio. Le taux de vaccination contre la polio dans de nombreuses régions des États-Unis a chuté bien en dessous des 90 %, ce qui veut dire que si un cas devait se déclarer, le risque d'une propagation de la maladie serait très élevé. Et dans une ère de déplacements aériens de masse, un cas au Tadjikistan peut se retrouver dans l'Utah en un jour.
Enfin, le risque de bioterrorisme est toujours plus présent. Cette raison seule fait que l'on ne peut prétendre éradiquer des maladies comme la polio.
Bien sûr, l'éradication de la polio est un objectif noble. Mais ce n'est pas le bon. Il faudrait peut-être mieux chercher à contrôler la polio et espérer que la politique, l'économie et l'éthique nous permettront d'y parvenir. Ceux impliqués dans les efforts destinés à une complète éradication devraient repenser leur but, si l'on ne veut pas que la foi en un objectif inaccessible ne mène au désastre.

© Project Syndicate. Traduit de l'anglais par Frédérique Destribats.
En 2010, la polio s'est déclarée en Asie centrale avec 560 cas signalés au Tadjikistan. Des cas ont aussi été diagnostiqués en Russie et en Ouzbékistan, apparemment transmis par des voyageurs infectés mais asymptomatiques en provenance du Tadjikistan.Le cas du Tadjikistan est particulièrement troublant, car le pays avait été certifié exempt de poliomyélite par...

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