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Sang placentaire : entre arnaque et abus commercial - Médecine

Sang placentaire : entre arnaque et abus commercial

Faut-il conserver le sang ombilical de son enfant ? Les parents sont de plus en plus sollicités pour le faire, question dit-on de lui sauver la vie, au cas où il en aurait besoin. Mais entre les utilisations scientifiquement validées de ce sang et les rêves qu'on fait miroiter, la frontière est mince et la malhonnêteté peut parfois s'y glisser.

Le sang de cordon a permis de trouver des greffons à des milliers de patients, mais a également ouvert la voie au « charlatanisme », déplorent des spécialistes.  Photo tirée du site clubdesappalaches.skynetblogs.be

De plus en plus de femmes enceintes se voient proposer de conserver le sang de cordon ombilical de leur futur enfant dans des banques privées, question de lui « sauver la vie » si, par malheur, « il en aurait besoin ». Une procédure dénoncée par de nombreux spécialistes qui affirment qu'il s'agit d'une « arnaque » et d'un « charlatanisme », ainsi que par le Conseil consultatif national libanais d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

Mère d'une fille de 9 ans et d'un garçon de 6 ans, R., 40 ans, attend son troisième enfant. Sur conseil d'une amie et encouragée par son gynécologue, R., professeur d'université, a décidé de stocker le sang de cordon ombilical de son futur enfant, « au cas où il en aurait besoin ».
« Je ne perds rien à le faire, confie-t-elle. La somme requise n'est pas moindre, environ 3 000 dollars, mais je considère qu'il s'agit d'une assurance que j'offre à mon enfant et qui pourrait le sauver si, par malheur, il souffrirait d'une maladie sanguine. Je ne me fais toutefois pas trop d'illusions. Je sais qu'il ne s'agit pas d'une fonction miracle et que l'enfant pourrait guérir par d'autres moyens. »
R. fait partie de nombreuses mères libanaises - et dans le monde aussi - « prises au piège », de l'aveu de plusieurs spécialistes, de ces banques privées de sang placentaire qui foisonnent en Europe et aux États-Unis, proposant aux femmes enceintes de prélever le sang de cordon à l'accouchement et de le congeler pendant deux décennies pour un « probable usage personnel ou intrafamilial ». Cette période révolue, l'enfant choisira de renouveler ou non le contrat. Mais à défaut de stocker ce sang de cordon ombilical au Liban, les sociétés qui proposent ces services aux futures mères les transportent en Angleterre ou à Chypre pour une somme variant entre 3 000 et 4 000 dollars selon la durée de conservation (20 ou 25 ans) et la matière conservée (le sang uniquement ou le sang et le tissu de cordon). En présentant leur produit - assez nouveau à Beyrouth -, certaines de ces sociétés insinuent que cette technique a déjà fait ses preuves au Liban et que « certains parents ont regretté de ne pas avoir conservé le sang de cordon de leur enfant », de l'aveu de mamans qui désirent conserver le sang placentaire.
« Culpabiliser les parents, c'est pousser loin les stratégies de marketing », déplore un gynécologue, sous le couvert de l'anonymat, soulignant toutefois qu'il encourage les patientes à le faire, « mais d'une manière sélective qui repose sur une histoire familiale de maladies sanguines, mais aussi sur le niveau économique ».
« Les études scientifiques ont prouvé l'utilité dans certains domaines tant du sang que du tissu de cordon, poursuit-il. On ne peut pas donc exclure la possibilité selon laquelle la médecine, qui est en complète évolution, ne rendra pas l'utilisation des cellules souches de cordon plus routinière avec une application médicale plus vaste. »
« C'est un domaine prometteur, ajoute le spécialiste. Pourquoi prendre alors le risque de perdre cette opportunité, d'autant que d'un point de vue financier, la procédure n'est pas très chère. Toutefois, il faudrait limiter les degrés d'espérance et d'ambitions et savoir trouver le juste milieu. Personnellement, j'encourage le couple à congeler le sang de cordon si cette procédure ne représente pas pour lui une aspiration supérieure ni un handicap profond. Il faut savoir exactement à quoi s'en tenir. Par ailleurs, on ne veut pas crucifier une technologie et la mettre au banc des accusés parce que certaines personnes abusent du système. Il faut savoir donner à chaque progrès de la science sa valeur exacte, anticiper les progrès qui peuvent avoir lieu et prendre les dispositions nécessaires pour rester à la pointe des avancées majeures. »

Une question de franchise
Rana-Skaff Sfeir, gynécologue obstétricienne, récemment rentrée des États-Unis, affirme ignorer les mesures adoptées au Liban pour conserver le sang de cordon. Elle explique par ailleurs qu'elle est favorable à cette procédure, soulignant que mis à part « l'aspect financier du processus, il n'y a aucun mal à conserver le sang placentaire ». Se référant aux recommandations du Collège américain d'obstétrique et de gynécologie (American College of Obstetrics and Gynecology - ACOG), elle insiste sur la nécessité « d'être franc avec les parents et de ne pas leur donner de faux espoirs ». « Ainsi, les parents doivent savoir que dans un cas sur 2 700, l'enfant pourrait avoir besoin de son propre sang congelé, affirme-t-elle. De plus celui-ci ne peut pas servir au donneur en cas de maladies génétiques puisqu'il pourrait porter les mêmes mutations. Jusqu'à présent, ce sang congelé est utilisé pour quelqu'un d'autre dans la famille. Toutefois, l'ACOG souligne que dans l'avenir, il y a un important potentiel d'usage de ce sang, raison pour laquelle on conseille de le conserver, sans toutefois exercer une pression quelconque sur les parents. »

Assurance contre une météorite
Une mission quasi impossible vu l'impact a priori convaincant des arguments véhiculés sur Internet par les sociétés privées de stockage du sang de cordon, qui n'hésitent pas à afficher sur leur site le nom des célébrités figurant au nombre de leurs clients et qui conseillent aux parents de faire « le meilleur pour leur enfant », parce qu'un jour, « ses propres cellules souches permettront peut-être de le guérir d'une grave maladie ».
« Les banques privées de sang placentaire sont une arnaque internationale, affirme le Dr Albert Haddad, hématologue. Malheureusement au Liban, il n'y a aucun contrôle. Les gens agissent, en l'absence de toute régulation. »
« Ce qui est attristant, c'est que certains gynécologues sont rémunérés pour prélever ce sang, ce qui constitue un vrai conflit d'intérêt, puisqu'ils n'en expliquent pas objectivement les raisons aux couples et si cette procédure servira vraiment à quelque chose », déplore ce médecin, récemment rentré au Liban après avoir longtemps exercé à l'hôpital Saint-Louis en France, où la première greffe des cellules souches de sang de cordon a été réalisée en 1988.
« Depuis, plus de 10 000 greffes de sang de cordon ont été effectuées dans le monde, ajoute le Dr Haddad. Le taux de succès de cette procédure a ouvert la voie à la mise en place de banques publiques et privées de sang placentaire. Les banques publiques toutefois font partie d'un réseau national de collecte de sang de cordon et sont en relation étroite avec un registre international, le Netcord, qui facilite la recherche des donneurs pour les patients. Les banques privées, par contre, qui fleurissent en Europe (l'Italie, la France, l'Espagne et la Belgique ont promulgué des lois interdisant la mise en place de telles banques) et aux États-Unis, collectent ce sang un peu partout dans le monde et le stockent pour un hypothétique usage autologue ou intrafamilial. Et c'est là où réside tout le problème. En effet, sur un plan socio-économique et médical, il n'existe pas jusqu'à présent une justification scientifique pour la présence de telles banques, d'autant que la probabilité d'utiliser ce sang varie entre 1/20 000e et 1/100 000e. C'est un risque nettement inférieur à celui de se faire frapper par la foudre ! Et dire que stocker le sang placentaire est une forme d'assurance pour l'avenir est comparable à se procurer une assurance contre une météorite. Aux États-Unis où près d'un million d'échantillons sont stockés dans des banques privées, le sang a été utilisé dans 40 ou 50 cas connus, c'est-à-dire dans des familles où il y avait déjà un problème génétique connu. »

Science-fiction
Le Dr Haddad explique par ailleurs que le risque pour un enfant de souffrir d'une leucémie est de 3 à 4 sur 100 000 enfants. « Or dans plus de 80 % des cas, la leucémie guérit d'une chimiothérapie, fait-il remarquer. S'il y a besoin d'une greffe, le meilleur traitement reste la greffe de la moelle osseuse en général ou le sang de cordon du frère ou de la sœur, mais pas celui stocké et provenant de l'enfant lui-même. En outre, ces sociétés privées sont en train d'avancer que ce sang pourrait être utilisé pour des maladies dégénératives, comme l'Alzheimer. Or cette forme de démence se développe en général après l'âge de 70 ans, et, à ce jour, aucune étude ne prouve que ces cellules souches prélevées à la naissance seront viables après toute ces années, sachant que les contrats envisagés par ces banques sont pour une durée de vingt à vingt-cinq ans. Ce qui pose un autre problème, puisque c'est une manière de prendre les gens en otages. Au terme de cette période, qu'adviendra-t-il de ce sang si l'adulte concerné refuse de renouveler le contrat pour une raison surtout financière ? »
Dénonçant en outre « la discrimination à coups de publicité envers les personnes démunies qui n'ont pas les moyens de stocker le sang de cordon de leur enfant », le Dr Haddad conclut en affirmant que jusqu'à présent, l'utilisation du sang de cordon est limité à quelques maladies sanguines dans des cas précis et non pas pour des maladies dégénératives ou autres. « La recherche dans ce domaine est encore à ses débuts et on ne peut rien avancer avant plusieurs années encore. Malheureusement, on est en train de vendre aux gens de la science-fiction enrobée de mots techniques médicaux. »
De plus en plus de femmes enceintes se voient proposer de conserver le sang de cordon ombilical de leur futur enfant dans des banques privées, question de lui « sauver la vie » si, par malheur, « il en aurait besoin ». Une procédure dénoncée par de nombreux spécialistes qui affirment qu'il s'agit d'une...