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Moyen Orient et Monde - Le billet

Gloutonne humanité

Pour reprendre la métaphore d'un ami cher et inspiré, cet article, c'était le coup de la bouteille de lait périmé. La bouteille de lait qui traîne depuis des semaines dans la porte du frigo. La bouteille de lait dont nous savons, dont nous avons l'intime conviction qu'elle est périmée. Serait-elle encore buvable qu'elle rendrait caduques les lois de la physique, de la chimie et de la nature. Cette bouteille, pas besoin d'en dévisser le capuchon pour savoir qu'elle contient désormais, en lieu et place du liquide doux et blanc, une espèce de jus de bactérie infâme. Pourtant, mus par une curiosité aussi malsaine qu'irrépressible, nous dévissons le capuchon et, le nez au-dessus de l'orifice, inspirons le plus que suspect contenu. Ce n'est qu'une fois ce processus superflu achevé, une fois le caractère infect de l'odeur confirmé, que nous pouvons, enfin, rendre cette bouteille de lait à son légitime propriétaire : la poubelle.
Cet article appartenait donc à la même famille que la bouteille de lait périmé. Il suffisait d'en lire le titre, « Que mangent les poissons que l'on mange ? », pour savoir que sa lecture ne pouvait entraîner qu'une nausée générée par un reflux de mauvaises nouvelles qui nous confirmeraient l'aberration du monde dans lequel nous pataugeons. Pourtant, cet article publié par Le Monde magazine, nous le lûmes. Qu'on ne s'y méprenne pas, l'article est brillant, limpide. C'est le fond du problème rapporté qui sent la vase.
Dans cet article, nous apprenons qu'il existe deux types de poissons : les carnivores, genre saumon, et les herbivores, genre carpe chinoise. L'on nous explique aussi qu'à mesure que la consommation mondiale de poisson croît, le nombre de poissons dans les océans décroît. Et ce dangereusement. Situation qui a engendré une évolution rappelant vaguement celle qui marqua le néolithique : 8 000 ans après le passage de la chasse et de la cueillette à l'agriculture et à l'élevage, nous voilà témoins de la transition de la pêche à l'aquaculture. En clair : la ferme à poissons. Business florissant puisque cette année, dixit l'article, la plupart des poissons que nous mangeons ont été les pensionnaires de ces fermes à poissons.
Problème, car il y en a toujours un, il faut les nourrir ces poissons d'élevage. Et que mangent-ils, du moins pour les carnivores parmi eux ? Des farines de poissons. Que l'on produit comment ? À partir de poissons pêchés en mer.
Résumons : pour éviter de vider les océans déjà passablement dépeuplés, on développe l'élevage de poissons ; pour nourrir cette population croissante de poissons d'élevage, il faut de plus en plus de farine de poissons ; pour produire ces quantités accrues de farine de poissons, il faut pêcher davantage... En gros, le sauvage nourrit l'élevage. Comme un air de quelque chose qui se mordrait violemment la queue.
D'où la mission échue aux scientifiques : trouver une alternative aux farines de poissons pour nourrir les poissons d'élevage. Et la tentative de ces mêmes scientifiques de transformer les poissons carnivores en herbivores, en leur refilant des farines végétales, notamment à base de soja.
Là, double problème en perspective : qui dit demande accrue de soja laisse entrevoir une production accrue de soja génétiquement modifié. Ne nous leurrons pas : on ne va pas la nourrir bio la poiscaille. Autre problème : en régime végétarien, les poissons carnivores non seulement font la tronche et présentent une légère tendance à vouloir se laisser mourir, mais ils perdent aussi en qualités nutritionnelles.
Voilà le moment précis où le consommateur se rebiffe. Car le consommateur, s'il s'insurge avec fougue contre le dépeuplement des océans et serait presque prêt, pourvu qu'il n'y ait pas de formule 1 à la télé, à manifester un dimanche pour la protection des thons, refuse aussi fort de voir ses choix gastronomiques limités ou de béqueter un poisson d'élevage qui n'aurait pas les mêmes qualités que son alter égo sauvage.
Consommateur qui, cela dit en passant, n'a pas l'air de réaliser que globalement, il bâfre à crédit. Si pour la plupart d'entre nous, le 21 août dernier n'était qu'un samedi comme les autres, pour l'ONG Global Footprint, le 21 août était le « jour du dépassement ». À savoir le jour où la consommation de l'humanité en ressources naturelles a épuisé ce que la planète est capable de fournir en une année. En 2009, la limite avait été atteinte le 25 septembre. Pour inverser la tendance, il faudrait, selon le président de cette sympathique ONG, « arriver à ce que la population mondiale commence à décroître ». Et le consommateur glouton d'entrevoir la perspective cauchemardesque de se sentir, lui aussi, comme un poisson dans l'eau.
Pour reprendre la métaphore d'un ami cher et inspiré, cet article, c'était le coup de la bouteille de lait périmé. La bouteille de lait qui traîne depuis des semaines dans la porte du frigo. La bouteille de lait dont nous savons, dont nous avons l'intime conviction qu'elle est périmée. Serait-elle encore buvable qu'elle rendrait caduques les lois de la physique, de la chimie et de la nature. Cette bouteille, pas besoin d'en dévisser le capuchon pour savoir qu'elle contient désormais, en lieu et place du liquide doux et blanc, une espèce de jus de bactérie infâme. Pourtant, mus par une curiosité aussi malsaine qu'irrépressible, nous dévissons le capuchon et, le nez au-dessus de l'orifice, inspirons le plus que suspect contenu. Ce...
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