Les dernières troupes de combat américaines se sont retirées d'Irak. Bien qu'elle ait employé tous les moyens à sa disposition, la plus grande puissance militaire de la planète n'a réussi qu'à établir une stabilité précaire dans le pays. Aujourd'hui personne ne clame « mission accomplie ». Aucun des problèmes politiques urgents engendrés par l'intervention américaine - la répartition du pouvoir entre chiites et sunnites, entre Kurdes et Arabes et entre Bagdad et le reste du pays - n'est vraiment résolu.
L'Irak reste un État sans véritable nation. Par ailleurs, il pourrait devenir un champ de bataille pour les intérêts opposés de ses voisins. Le combat entre le principal pouvoir sunnite, l'Arabie saoudite, et les chiites d'Iran pour le contrôle du golfe Persique menace de transformer à nouveau l'Irak en champ de bataille, avec en prime une nouvelle guerre civile. La Syrie et la Turquie voisines seraient probablement aspirées instantanément dans un tel conflit. Espérons que le vide laissé par le retrait américain ne produise pas une implosion de violence.
La situation en Afghanistan est encore plus compliquée. Ce pays représente un cas symétrique à celui de l'Irak : une nation sans État. Le séparatisme n'y a jamais constitué une menace, mais depuis l'invasion soviétique de 1979, il a été le théâtre d'une guerre dont les enjeux se situent au double niveau régional et mondial. Ce que nous voyons en Afghanistan n'est pas seulement une guerre civile. Par l'intermédiaire de ses alliés afghans, le Pakistan en particulier, mais aussi l'Arabie saoudite, l'Iran, l'Inde et les pays d'Asie centrale sont engagés dans une lutte à qui dominera la région.
Au début, la guerre en Afghanistan était une guerre de libération contre l'Armée rouge. Elle s'est ensuite transformée en guerre civile, et à partir du milieu des années 1990 elle est devenue un élément stratégique dans le conflit indo-pakistanais, alors que le Pakistan cherchait à asseoir son influence régionale par l'intermédiaire des talibans - une création de l'ISI, le service secret pakistanais.
Le 11 septembre a fait de l'Afghanistan le théâtre d'une guerre qui revêt un enjeu mondial. Mais que va-t-il maintenant se passer ? Le retour à une guerre régionale et à la terreur islamiste, ou bien les événements prendront-ils un tour imprévisible ?
Les USA et l'OTAN sont face à un dilemme. Ils ne peuvent ni rester indéfiniment en Afghanistan ni simplement se retirer. On oublie trop souvent que les USA se sont déjà de facto retirés de ce pays après le départ des Soviétiques en février 1989. Douze ans plus tard, après le 11 septembre, les USA et leurs alliés occidentaux ont dû revenir pour combattre el-Qaëda et les talibans, faisant de l'Afghanistan un ferment du terrorisme islamiste. Les leçons des années 1990 ne sont pas difficiles à comprendre et sont trop importantes pour être ignorées. Pourtant c'est ce que certains hauts responsables occidentaux sont en train de faire. Les Européens voudraient se retirer au plus tôt, et les Américains suivront probablement le mouvement.
Il est maintenant évident que les USA ont commis une grande erreur en comptant presque exclusivement sur les moyens militaires pour réussir en Afghanistan, mais sans stratégie politique spécifique. La stratégie « d'afghanisation » du conflit par la formation des forces de sécurité locales - ce qui a été convenu au début de cette année à la conférence de Londres - est basée essentiellement sur le calendrier de retrait des Européens et des Américains, et non sur la situation à l'intérieur du pays et dans la région. Si les USA et l'OTAN abandonnent l'Afghanistan à lui-même sans avoir au préalable établi un minimum de stabilité régionale, il est pratiquement certain que le danger islamiste renaîtra rapidement et sera plus menaçant qu'il ne l'était dans les années 1990. Or stabiliser la région suppose avant tout de clarifier le rôle du Pakistan en Afghanistan. On retrouve le même problème derrière la formule consistant à « inclure les talibans » dans un accord sur l'Afghanistan. Car sans le soutien du Pakistan, ces derniers seraient en position de faiblesse en cas de négociation, comme les événements récents l'ont montré.
La clé de la situation en Afghanistan ne se trouve pas à Kaboul mais à Islamabad. Autrement dit, le rôle de l'envoyé spécial du président Obama pour l'Afghanistan et le Pakistan, Richard Holbrooke, est maintenant plus important que celui du commandant des forces militaires en Afghanistan, le général Petraeus. C'est dans la capitale pakistanaise qu'une solution régionale devra être négociée. Les chances de réussite sont loin d'être nulles, même s'il faut prendre en compte la question bien plus complexe - et rarement mentionnée - des relations indo-pakistanaises.
L'Occident veut se retirer d'Afghanistan et il va sans doute le faire. Le paradoxe est cependant que ce retrait pourrait l'entraîner dans une autre guerre régionale, autrement plus dangereuse, alors que l'Iran se rapproche du moment où il pourra produire l'arme nucléaire. Si cela se passait ainsi, les projets de retrait seraient abandonnés, probablement pour longtemps.
©Project Syndicate/Institute for Human Sciences, 2010.
Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz.