Le vent est froid en ce début de matinée de mars. Les animaux du zoo de Qalqilya, ville de Cisjordanie occupée située sur la ligne verte, sortent de leur torpeur. Un paon se pavane librement entre les cages vétustes et semble narguer les singes qui s'époumonent en le voyant. Zèbres, hippopotames, lions et crocodiles s'éveillent. Quelques femmes accompagnées de leurs enfants déambulent dans les allées parfois sombres de ce parc animalier de 3,6 hectares. Après la classe et pendant les vacances scolaires, les aires de jeux aux peintures défraîchies sont assaillies par les bambins de la région.
Ouvert depuis 1986, ce zoo - le seul de Cisjordanie - fait le bonheur des petits et des grands, apportant une part de normalité dans cette ville située à 13 kilomètres de Tel-Aviv et 30 kilomètres de Naplouse et encerclée par le mur. Pas de check-point à l'entrée de la cité, seulement d'anciens postes de l'armée israélienne toujours présents en bordure du mur.
« Ce zoo fait parti de notre vie. Nous montrons au monde entier que nous (les Palestiniens) sommes là. Il n'y a pas qu'Israël qui fait attention à la vie sauvage », explique le Dr Sami Khader, vétérinaire du lieu depuis 11 ans. En 2009, quelque 600 000 visiteurs sont venus admirer les serpents, ours et autres 150 résidents du parc. De plus en plus « d'Arabes israéliens » font le déplacement, souligne ce Palestinien né en Arabie saoudite. « Ils ont peut-être 17 zoos en Israël, mais les gens viennent chez nous, car le prix d'entrée est plus abordable (presque dix fois moins cher, NDLR) », précise cet homme, passionné des animaux depuis son plus jeune âge. Une famille venue de Jaffa, à côté de Tel-Aviv, contemple les zèbres en train de gambader dans leur enclos. L'animal préféré de leur fils est la girafe. Or le zoo n'en possède pas.
Pas encore du moins, car deux girafes, en provenance d'Afrique du Sud, devraient prochainement arriver dans ce parc animalier. Une exception, car 99 % des animaux du zoo sont acquis en Israël. « Ils ne nous vendent que des mâles, considérant notre zoo trop petit pour la reproduction. Mais notre objectif est de l'agrandir. J'espère pouvoir acheter un jour les terrains alentours », assure Sami Khader qui espère que ces belles à la robe tachetée lui apporteront des petits.
Impossible d'avoir une date précise de livraison. Et ce d'autant plus que la somme nécessaire n'a pas encore été réunie. Après un long séjour en bateau, les girafes seront, en outre, mises en quarantaine en Israël. « Chacune d'elles coûte 50 000 dollars, et chaque jour de retard ajoute à cette somme », confie le manager, Saïd Daoud, une main gantée après avoir été mordue par un chameau. Selon lui, un particulier français a fait un don conséquent au zoo, permettant l'acquisition d'une de ces gracieuses au long cou. Les fonds, essentiellement privés, sont récoltés par la municipalité de Qalqilya, en charge du zoo.
Une histoire peu commune
Un zoo à l'histoire peu commune. Plus d'une fois, Sami le vétérinaire a prouvé son dévouement pour les animaux. En 2004, au cœur de la seconde intifada, il se rend à Naplouse, alors assiégée, pour récupérer deux singes. Pour pouvoir entrer dans la ville en ambulance, le vétérinaire feint d'être malade. Le chemin du retour, ponctué de check-points, sera laborieux. Il faudra huit heures pour rejoindre Qalqilya. Mais pour Sami, la survie des animaux est une priorité. En 2002, alors que des tanks israéliens bloquaient le portail vert canard surplombé d'un drapeau palestinien, obligeant la fermeture du zoo pendant 5 mois, Sami Khader et Saïd Daoud n'ont pas hésité à braver grenades et couvre-feu pour s'occuper de leurs bêtes. Malgré leurs efforts, les pertes ont été lourdes. Le zoo a été gazé. Trois zèbres sont morts asphyxiés. Paniquée, une des girafes a heurté le mur de son enclos et s'est effondrée sur le sol. « Lorsqu'une girafe tombe, en raison de la pression de son sang qui est trop forte, elle meurt. La femelle de l'enclos a pleuré pendant des jours et fait une fausse couche », raconte le Dr Khader, également taxidermiste.
Sensibiliser à la nature
Sa seconde passion trouve sa place dans le musée du zoo, créé en 2006. Sami Khader y présente ses œuvres, dont la girafe en question, qui y fait figure de vedette. Les nombreux animaux du zoo trouvent ici une seconde vie. Mais, dans un décor de vie sauvage un peu lugubre, ils tiennent difficilement debout. À l'entrée, des bocaux de fœtus ou d'animaux malformés sont posés sur des étagères, à la manière d'un film d'épouvante. Un peu plus loin, deux minimusées sur l'agriculture et la géologie ont été mis en place avec les moyens du bord. Des containers ont par exemple servi à la construction d'un vaisseau spatial. Une lampe de bureau est devenue un satellite. « Bientôt, toutes les informations seront traduites en anglais pour nos visiteurs étrangers. Il y en a de plus en plus », assure ce père de deux filles qui « souhaite sensibiliser les jeunes à la nature et à sa protection ». Un défi de plus dans un pays où la protection de l'environnement n'est pas une priorité.