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Moyen Orient et Monde - Le billet

L’ours et le réchauffement climatique

Le débat sur le réchauffement climatique est trop souvent réduit à une litanie de chiffres. Degrés en plus, pourcentage d'émission de carbone en moins, millions de dollars exigés par les pays en développement de la part des États riches... Des chiffres, grands ou petits, qui peinent à interpeller vraiment au niveau du vécu.
Pour que le réchauffement climatique et son évolution soient parlants, choquants, il faudrait un indice. Un indice simple, rapidement compréhensible. Un indice à l'image de l'indice Big Mac inventé en 1986 par le très sérieux The Economist pour mesurer, de manière certes frustre mais néanmoins marquante, la parité du pouvoir d'achat.
En matière de climat, il est un indice qui, dans le même ordre d'idées, semble prometteur en termes d'impact : l'indice ours polaire.
Pourquoi l'ours ? Polaire de surcroît ?
Le plantigrade est intéressant, d'abord, pour son côté madeleine de Proust. L'ours, c'est l'ours en peluche, le teddy bear. L'ours est le confident de notre enfance, le veilleur fidèle des longues nuits passées sous la menace de monstres planqués sous le lit.
Outre le côté nostalgie, l'ours dispose d'un capital « émotion » largement supérieur à la moyenne pour peu qu'on veuille bien s'en donner la peine. L'on se souvient de la longévité médiatique de Knut, ourson polaire né en captivité, rejeté par sa mère et déposé en tant que marque par le zoo de Berlin. Combien de soupirs attendris et émus Knut a-t-il suscités dans les chaumières du village mondial ? Beaucoup (trop).
L'ours émeut, l'ours touche, l'ours est donc un animal apte à sensibiliser des foules pourtant déjà gavées à l'émotion prémâchée.
Côté scientifique, il se trouve que l'ours est, par ailleurs, particulièrement sensible au réchauffement climatique. Avec la hausse de la température, c'est l'habitat même des comparses sauvages de Knut qui fond comme neige au soleil. Avec le réchauffement climatique, c'est également le garde-manger des ours qui est directement menacé. Ici, nous passerons rapidement sur le fait que l'ours, en temps normalement froid, gloutonne des bébés phoques, pour nous insurger contre le fait qu'avec le réchauffement, l'ours se voit contraint de tourner cannibale. Question de survie. Nous renverrons les sceptiques à une photo publiée il y a quelques jours dans nos colonnes. Photo d'un ours blanc, ses yeux noirs plantés dans l'objectif et sa gueule maculée refermée sur la tête détachée et sanguinolente d'un bébé ours.
Les activistes britanniques de « Plane stupid », un groupe contre l'expansion du transport aérien surfant sur la vague environnementaliste, ont bien saisi le potentiel de l'ours. Et l'ont exploité dans un clip. Une ville, qui pourrait être New York. Dans l'air, le ronflement des réacteurs d'un avion de ligne. Dans le ciel, une ombre, massive, se détache. Puis une autre, et encore une autre. Des nuages de cette ville survolée par un invisible mais sonore avion, il pleut des ours qui, dans leur chute, rebondissent sur les parois des buildings pour venir s'écraser sur un trottoir gris ou sur une Buick bleue dans une flaque de sang épais. Vient alors le message : « Un vol moyen européen produit 400 kilos de gaz à effet de serre par passager. C'est le poids d'un ours polaire. » Si le clip fait montre d'un goût pour le moins douteux, il n'en confirme pas moins le potentiel de l'indice ours en matière d'émission de gaz à effet de serre.
L'on pourrait imaginer l'utilisation de cet indice ours dans le cadre de la conférence de Copenhague. Selon The Telegraph, 1 200 limousines ont été louées par les délégations et circuleront dans une Copenhague plus habituée, en temps normal, au bruissement de dérailleurs de bicyclettes qu'à la rumeur de moteurs six cylindres. Le Danemark ne disposant pas, en outre, d'une telle flotte de véhicules de ce type, des centaines de limousines ont dû être convoyées d'Allemagne ou de Suède. En indice ours tué/émission de gaz à effet de serre, combien de descentes de lit produirait cette armada de luxe ?
Les esprits chagrins s'insurgeront contre la nécessité d'un recours à l'ours pour faire vibrer un tant soit peu la corde sensible des foules, alors que des hommes, femmes et enfants, surtout quand ils vivent sur les îles Tuvalu, risquent eux aussi, pour cause de réchauffement climatique et donc de montée des eaux, de perdre leur habitat. Certes. Mais jusqu'à preuve du contraire, on n'a jamais vu de Tuvaluan en peluche.
Le débat sur le réchauffement climatique est trop souvent réduit à une litanie de chiffres. Degrés en plus, pourcentage d'émission de carbone en moins, millions de dollars exigés par les pays en développement de la part des États riches... Des chiffres, grands ou petits, qui peinent à interpeller vraiment au niveau...

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