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Liban - 24 heures avec... Louisa, la mendiante de la place Sassine

Emportée par la foule…

Les familiers de la place Sassine, à Beyrouth, la connaissent bien : elle se promène tous les jours sur les trottoirs avec une petite pancarte pour demander à qui voudra bien l'aider de lui donner un peu d'argent pour manger ou acheter ses médicaments. En bonne habitante d'Achrafieh, Louisa parle couramment français... Et elle a accepté de raconter son histoire à « 24 heures avec... ».

« Je n'aime pas mendier, j'ai honte, mais je ne peux pas travailler », raconte Louisa Mercier, assise sur un banc devant le bureau de poste de la place Sassine. Elle sort de son sac les prescriptions de médicaments qu'un médecin lui a données pour soigner son diabète et ses maladies nerveuses. Ces médicaments sont chers, et Louisa ne peut pas tous les acheter. Pour pouvoir en avoir un ou deux au moins, elle économise petit à petit l'argent qu'elle récolte dans la rue.
Tous les matins, elle se lève vers 8 heures et quitte à pied le quartier de Karm el-Zeitoun, où elle vit, pour se diriger vers l'une ou l'autre des rues commerçantes de Beyrouth. Bourj Hammoud, Sin-el-Fil, Furn el-Chebbak : quand elle est en forme, elle choisit au hasard, la foule et le soleil guidant ses pas. « Je n'aime pas trop Hamra, dit-elle, c'est trop loin de chez moi. Mon quartier préféré reste Achrafieh, avec la place Sassine : il y a beaucoup de monde et ils sont tous généreux. »
Vers midi, elle achète un plat du jour chez un traiteur arménien et rentre chez elle pour déjeuner et dormir. Les heures trop ensoleillées de l'après-midi sont difficiles pour elle : il y a moins de monde dans les rues et la chaleur la fatigue. Elle préfère donc dormir jusqu'à 18 heures et recommencer à mendier dans la soirée. Vers 21 heures, elle rentre à nouveau chez elle pour la nuit.
« Quand je ne mendie pas, je ne peux rien faire d'autre que dormir, raconte-t-elle. Mes yeux sont trop malades pour lire, mes mains trop faibles pour faire un travail manuel. Et quand je dors, je fais des cauchemars, j'ai peur. » Louisa entend mal et parle à voix très basse, mais elle reste lucide et peut raconter son parcours.
Elle est née à Beyrouth en 1943 d'une grossesse non désirée. Sa mère la confie à un couvent, à Achrafieh, où elle vit jusqu'à ses sept ans. L'enfant est ensuite envoyée dans une école religieuse, à Jounieh, où elle vit pendant quatre ans, avant d'être engagée comme femme de chambre par une riche famille de Beyrouth. Ses souvenirs de l'époque sont vagues. Les religieuses, puis ses employeurs, et les autres domestiques, la méchante Yvonne et la gentille Renée : elle se souvient surtout des moments où elle était battue pour n'avoir pas bien travaillé, ou pour avoir protesté contre sa condition. « J'ai été frappée régulièrement pendant toute mon enfance et pendant une partie de ma vie adulte. À cause de ça, aujourd'hui, mon système nerveux est complètement abîmé. »
Arrivée à l'âge adulte, en proie à une dépression nerveuse, elle retourne vivre dans un couvent, où elle dit avoir été plus heureuse que pendant son enfance, même si la nourriture venait souvent à manquer. C'est alors qu'elle est victime d'un cancer, qui porte un coup de plus à son corps déjà fragile. Après avoir souffert pendant un an, elle guérit de façon inespérée. « C'est ma foi qui m'a sorti de là », dit-elle. Affaiblie mais encore jeune et capable de travailler, elle trouve un emploi de femme de ménage dans une famille française installée à Beyrouth.
« À partir de là, j'ai connu les plus belles années de ma vie », se souvient-elle. Ses employeurs sont compréhensifs, ils lui permettent d'aller à son rythme, et elle fait bien son travail. Après le début de la guerre, lorsque la famille quitte le Liban, elle est engagée par une école qui la charge d'entretenir les appartements des professeurs. « Pendant toutes ces années, dit Louisa, je travaillais, j'étais payée, j'avais ma place. J'ai aussi perfectionné mon français, j'étais vraiment heureuse d'apprendre. »
Et puis la maladie et la fatigue l'ont rattrapée. Elle fut bientôt incapable d'accomplir les tâches quotidiennes dont elle était chargée, et dut démissionner. Pour pouvoir se soigner, manger à sa faim, et payer le loyer de la petite chambre qu'elle occupe à Beyrouth, elle a dû se résoudre à interpeler les passants, dans la rue, et à leur demander de l'aide.
Elle se fait parfois insulter ou sermonner par des Beyrouthins pressés qui la traitent de paresseuse, d'assistée, de poids lourd pour la société. « Si vous ne voulez pas m'aider, répond-t-elle, ce n'est pas grave, mais ne me jugez pas. Je n'ai pas choisi d'en arriver là. »
Après avoir vérifié qu'elle était dans le besoin, plusieurs associations caritatives ont décidé de venir à son secours en lui remettant chaque mois une petite somme qui doit l'aider à payer son loyer et acheter sa nourriture. Éprouvée par de mauvaises rencontres et par des expériences qu'elle peine à raconter, Louisa n'ose pas toujours faire confiance aux médecins qui la reçoivent gratuitement. Ses seuls amis sont les commerçants qu'elle rencontre régulièrement sur son parcours, et ce sont surtout les passants qui lui donnent une pièce ou un billet, et la reconnaissent tous les jours. Elle récolte parfois 20 ou 30 dollars en une journée, mais il lui arrive aussi de rentrer les mains vides. Plongée dans le torrent de la rue, elle ne pense plus beaucoup à l'avenir et essaie surtout de rester là, au milieu de la foule, sans se laisser emporter.
« Je n'aime pas mendier, j'ai honte, mais je ne peux pas travailler », raconte Louisa Mercier, assise sur un banc devant le bureau de poste de la place Sassine. Elle sort de son sac les prescriptions de médicaments qu'un médecin lui a données pour soigner son diabète et ses maladies nerveuses. Ces médicaments sont chers, et Louisa ne peut...

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