Près de 80 ans plus tard, au Soudan, Lubna, journaliste à tendance féministe, fait sa Marlène. À la différence près qu'au Soudan, les hommes, surtout ceux de la police des mœurs, regardent les femmes qui portent des pantalons, les jugent et accessoirement veulent les condamner au fouet. Quarante coups pour avoir porté un pantalon plutôt ample sous une longue chemise. Cette année encore, Khartoum ne sera pas en tête de liste des destinations préférées des midinettes qui se dandinent en jean taille basse et string taille haute.
Si l'Occident dénonce haut et fort et à raison les malheurs de Lubna, les Européennes et Américaines n'ont pu faire entrer le pantalon dans leur garde robe que relativement récemment. Signe qui ne trompe pas, il a fallu attendre les années 60 (1960), pour qu'un grand couturier, André Courrèges, fasse défiler un pantalon sur les podiums.
Il semblerait que les premières femmes à avoir porté le pantalon étaient plus proches, géographiquement du moins, de Lubna que de Marlène, puisque au IVe siècle, en Perse, le beau sexe portait la culotte.
En Europe, il fallut attendre un certain nombre de siècles pour que les jeunes filles puissent enfin sortir des jupes de leur mère. Ainsi, en Angleterre, les premières femmes à déroger à la règle étaient employées dans les mines de charbon de Wigan. Pour sauver les apparences dans la Grande-Bretagne victorienne, ces femmes portaient le pantalon sous l'immuable jupe, qu'elles retroussaient jusqu'à la taille pour pouvoir s'acquitter de leur dur et dangereux labeur plus librement.
En France, la loi du 26 Brumaire de l'an IX (1800-1801) de la République stipulait que « toute femme désirant s'habiller en homme » devait se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l'autorisation. Autorisation qui ne pouvait être délivrée que sur présentation d'un certificat établi par un officier de santé. En 1909, une circulaire autorise les femmes à adopter « l'accoutrement masculin » si elles « tiennent par la main le guidon d'une bicyclette ou les rênes d'un cheval ».
George Sand, féministe avant l'heure, fut l'une de celles à se rendre à la préfecture pour décrocher son droit à l'égalité vestimentaire. Nul doute que l'écrivaine, qui « travaillait la nuit, montait à cheval le jour, jouait au billard le soir et dormait le matin », lèverait un sourcil amusé en découvrant, comme le fit un député français en 2003, que personne n'a jamais pris la peine d'abolir la loi du 26 Brumaire en France.
Mais alors que cette loi est donc théoriquement toujours en vigueur en France, l'histoire, par un de ces mouvements de balancier dont elle a le secret, a dégagé le débat sur... la jupe.
En 2009, alors que Lubna se dévêt de l'immunité onusienne dont elle pouvait pourtant se prévaloir en tant qu'employée de l'ONU afin de contraindre les juges à se prononcer publiquement sur son droit, ou non, à garder son pantalon, en France, les jeunes filles des banlieues chaudes rêvent de porter la jupe. De la porter sans se faire traiter de délurée dans le meilleur des cas, de prostituée sinon, et plus probablement, par des frères ou des pères ayant fait la détestable synthèse de la pudibonderie, du puritanisme, de la phallocratie et du machisme.
De cet état de fait est née - sur le petit écran du moins - l'exigence, lancée arme au poing par une Isabelle Adjani transformée en prof au bord de la crise de nerf, de l'établissement d'une « journée de la jupe ».
Symbole de sa libération ou de sa sujétion, le vêtement de la femme, d'hier à aujourd'hui, n'a cessé de faire l'objet de règles écrites ou tacites. Ce qui est plutôt effrayant. Ce qui est rassurant, c'est qu'il s'est toujours trouvé des âmes de suffragettes pour transgresser les interdits.
Comme le disait le poète turc Nazim Hikmet : « Être captif, là n'est pas la question. Il s'agit de ne pas se rendre : voilà. »
* Anecdote tirée de « Dietrich, Garbo et Hepburn : trois stars travesties dans l'Amérique de la Dépression », par Isabelle Dhommee, pour la revue « CLIO ».