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Moyen Orient et Monde

La bataille de l’espoir

De Dominique MOISI*
Le rapprochement entre l'Europe et les États-Unis, depuis l'arrivée du président Barack Obama à la Maison-Blanche, est indéniable. Mais sur le plan essentiel que sont les émotions et les valeurs, serait-il possible que le fossé entre les deux côtés de l'Atlantique se soit élargi ? Suite à la crise économique mondiale, l'Amérique fait davantage preuve d'espoir collectif tandis que ses habitants sont de plus en plus sujets à de terribles craintes. En Europe, c'est l'inverse qui prévaut : moins d'espoir collectif et moins de peurs individuelles. La raison en est simple : les États-Unis ont Obama et l'Europe l'État providence.
Mais comment promouvoir une « américanisation » de l'Europe sur le plan politique et une « européanisation » de l'Amérique sur le plan social ? Réconfortés par un nouveau président qui incarne le retour de l'espoir, inspire et rassure en même temps, les Américains commencent à croire que le pire de la crise économique est derrière eux. Ce qui n'était au début de ce printemps qu'une simple « lueur d'espoir », pour reprendre les mots d'Obama, s'est mué en une sérieuse tendance positive. Collectivement animés par un mélange d'optimisme naturel et de nationalisme bien ancré, les Américains se sont approprié le slogan de la campagne d'Obama : « Yes, we can ».
En revanche, lorsque la situation personnelle de bon nombre d'Américains est envisagée d'un point de vue européen, l'individualisme extrême, composant essentiel de l'optimisme américain, se transforme en inacceptable scandale social. La une d'un grand journal américain titrait il y a un mois : « Les tentes des victimes de la crise économique poussent comme des champignons. » Les journalistes narrent l'histoire tragique de la classe moyenne sans emploi, ni maison, risquant parfois leur vie sans aucune protection sociale. Qui payera votre onéreux traitement contre le cancer si vous perdez la mutuelle qui allait de pair avec votre emploi ? Présumer, à l'instar de certains marchands ultralibéraux, que l'absence de protection sociale vous rend fort, est une erreur. L'ambition d'un pays et d'une société née des principes des Lumières ne peut pas créer un peuple littéralement armé jusqu'aux dents, mais véritablement désarmé face à la maladie. De plus, perdre son emploi dans une société qui « vit pour travailler » et pour laquelle la profession est un composant identitaire essentiel est nettement plus déstabilisant que dans la culture européenne où l'on « travaille pour vivre ». Ce que les Américains pensent de la retraite en dit long : ils craignent de ne pas savoir quoi en faire.
Cette vision n'est pas seulement due à l'économie, même si une vaste proportion d'Américains plus âgés s'empresse de retourner travailler tandis que le ralentissement saccage leur plan de retraite. L'éclatement familial sur le plan géographique, dû à la taille du pays et à la mobilité de ses habitants, y est aussi pour quelque chose. Elle rend le lien entre être retraité et être grand-parent moins évident qu'en Europe.
Il est indéniable que l'Europe, quant à elle, suscite moins d'espoir collectif mais aussi moins de craintes individuelles. De par leur ancienneté et leur cynisme peut-être, les sociétés européennes se complaisent, semble-t-il, dans la « morosité collective », dont ils ont bien du mal à sortir. Le record d'abstention aux dernières élections parlementaires européennes est une nouvelle preuve de leur cynisme croissant et de leur sentiment d'aliénation. Il est évidemment impossible, et non souhaitable, de « cloner » Obama pour le mettre à la tête de chacun des 27 États membres de l'Union européenne. Mais que faire pour réduire le déficit d'espoir qui fait aujourd'hui rage en Europe ?
La réponse est loin d'être évidente. L'Europe souffre d'une pénurie de dirigeants qui parleraient en son nom, d'un manque d'ambition (quelle peut donc être l'ambition collective des Européens maintenant qu'ils perçoivent l'UE comme un problème plutôt qu'une solution ?). Mais, surtout, l'Europe souffre d'un déficit identitaire, car de nos jours plus personne ne semble savoir ce que signifie être européen. En revanche, tout ce qui manque en Europe abonde aux États-Unis.
Formulé ainsi, le défi européen paraît encore plus impressionnant que celui des Américains. Pourtant, pas facile à dire si les États-Unis auront moins de mal à réformer leur système de santé et de sécurité sociale, et par là soulager la peur de chacun de ses citoyens, que l'Europe à inspirer ses citoyens et à lui redonner un sentiment d'espoir collectif. En réalité, l'Europe et les États-Unis devraient s'inspirer l'un l'autre pour réduire les conséquences des inégalités chez l'un et retrouver l'espoir chez l'autre.

© Project Syndicate, 2009. Traduit de l'anglais par Aude Fondard.
Le rapprochement entre l'Europe et les États-Unis, depuis l'arrivée du président Barack Obama à la Maison-Blanche, est indéniable. Mais sur le plan essentiel que sont les émotions et les valeurs, serait-il possible que le fossé entre les deux côtés de l'Atlantique se soit élargi ? Suite à la crise...

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