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Moyen Orient et Monde - Analyse

Entre État et indigènes, un lent et fatal pourrissement au Pérou

Le week-end dernier a eu lieu le plus sanglant épisode de violence interpéruvienne depuis 17 ans.
Les violences entre indigènes et forces de l'ordre dans le Nord amazonien, qui ont choqué le Pérou ce week-end par leur soudaineté et leur ampleur (35 morts au moins), ont sanctionné un pourrissement des relations entre l'État et les minorités amérindiennes.
Depuis les premiers blocus en avril de fleuves, routes ou oléoducs du Nord-Est par des groupuscules amérindiens, une succession de rigidités ou de maladresses ont abouti entre vendredi et samedi au plus sanglant épisode de violence interpéruvienne depuis 17 ans. Le précédent datait de 1992 (43 morts) lors de l'assaut d'une prison mutinée de détenus de la guérilla du Sentier lumineux, en pleine « guerre contre le terrorisme ». Une autre ère, une violence, que le Pérou, politiquement stabilisé et à la croissance (9,8 % en 2008) tant vantée, croyait révolues. S'agit-il d'une marche arrière ? « Barbarie ! » a tranché ce week-end la presse populaire de Lima, sous les photos de policiers tués à Bagua à la lance et à la machette par des émeutiers de l'ethnie Aguaruna.
Les signaux de tension croissante n'ont pas manqué depuis deux mois. Cela fait en réalité près d'un an que les indigènes du Nord-Est protestent contre des décrets-lois adoptés en 2007-2008, trop coulants selon eux envers l'exploitation hydrique, minière, forestière de terres qu'ils considèrent ancestrales. Pour ces communautés, notamment pour l'Association interethnique de la jungle péruvienne (Aidesep) qui revendique 65 ethnies émiettées en 1 300 communautés représentant 600 000 personnes pour 28 millions de Péruviens, ces décrets bafouent la notion de consultation préalable, posée par une convention (1989) de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur les peuples indigènes et tribaux. Des levées de blocus s'étant soldées par des blessés et coups de feu en l'air fin avril dans l'Est ont incité le gouvernement à décréter l'état d'urgence dans certains districts.
À la mi-mai, Alberto Pizango, leader de l'Aidesep, déclarait un « état d'insurrection » des communautés amazoniennes, avant de se raviser 24 heures plus tard après intervention du médiateur des droits de l'homme. Mais l'État en profita pour renforcer la présence policière par un déploiement de l'armée. M. Pizango était reçu, en mai, par le Premier ministre Yehude Simon dans le cadre d'un « dialogue » État-indigènes que chaque camp s'accuse d'avoir fait capoter. Ces derniers jours, le leader amérindien, éloigné du terrain à Lima, était apparu débordé par sa base.
Le gouvernement, dans un nouveau raidissement, parle à présent de « complot contre le pays », venu de l'extérieur. Reste que le journal El Comercio, habituellement clément avec le gouvernement, évoquait une « responsabilité politique grave » et « des erreurs monumentales dans la gestion de la crise ». « L'indifférence (de l'État) a condamné le mouvement » à la radicalisation, a tranché le quotidien, réclamant la tête de Yehude Simon, ce qui augure d'une onde de choc politique à venir, avant même de songer à renouer le contact avec les indigènes dont le leader est à présent en fuite.
L'ironie, c'est que le Pérou accueillait il y a 15 jours le IVe Sommet indigène des Amériques, 5 000 délégués amérindiens réunis tranquillement près du lac Titicaca, pour discuter avenir et stratégie. Avec, entre autres thèmes de débat : faut-il négocier avec États et multinationales ou les affronter ?

Philippe BERNES-LASSERRE (AFP)

Les violences entre indigènes et forces de l'ordre dans le Nord amazonien, qui ont choqué le Pérou ce week-end par leur soudaineté et leur ampleur (35 morts au moins), ont sanctionné un pourrissement des relations entre l'État et les minorités amérindiennes.Depuis les premiers blocus en avril de fleuves, routes ou oléoducs...

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