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Après la défaite des Tamouls, le défi de la réconciliation - Sri Lanka

Après la défaite des Tamouls, le défi de la réconciliation

Le Sri Lanka a gagné sa guerre, longue de 37 ans, contre les séparatistes tamouls, mais les racines de ce conflit ethnique plongent bien plus profondément dans l'histoire de l'ex-Ceylan. De l'origine du conflit à aujourd'hui, Éric Meyer, professeur à l'Institut national des langues et des civilisations orientales (Inalco) et spécialiste du Sri Lanka, fait le point pour « L'Orient-le Jour ».
Le conflit complexe, qui a duré 37 ans, entre Colombo et les séparatistes tamouls « s'est nourri de l'affirmation identitaire des groupes linguistiques et religieux à partir de la fin du XIXe siècle, mais il n'a pris toute son ampleur que depuis le milieu du XXe siècle », rappelle Éric Meyer. Jusqu'à la fin de la période coloniale britannique (1796-1948), les deux principales communautés linguistiques - les Cinghalais et les locuteurs de la langue tamoule -, qui représentent respectivement 75% et 25% de la population, ont coexisté de façon pacifique.
Après une indépendance acquise sans heurts, s'est développé un mouvement identitaire cingalais qui estimait que la majorité de la population avait été victime de la préférence accordée aux Tamouls pendant la domination étrangère. À partir de 1956, le cinghalais devient la seule langue officielle à la place de l'anglais. Par ailleurs, le bouddhisme theravada, religion dominante chez les Cinghalais, bénéficie d'une reconnaissance de plus en plus marquée. L'identité cinghalaise-bouddhiste s'affirme au détriment des minorités de langue tamoule, qui comprennent des hindouistes de tradition shivaïte (environ 15%), des chrétiens surtout catholiques (3%) et des musulmans sunnites (7%), poursuit M. Meyer.
Parmi les Tamouls, ceux qui sont issus de la région de Jaffna, à l'extrême nord de l'île, ont un esprit d'entreprise développé. Cette minorité, précocement scolarisée en anglais, en partie christianisée, a trouvé des emplois dans l'administration coloniale et s'est expatriée dès la fin du XIXe siècle en Malaisie et à Singapour. Elle a beaucoup pâti du changement de langue officielle. En revanche, les musulmans tamouls, souvent commerçants, n'en n'ont pas souffert et sont restés à l'écart de tout mouvement de contestation, précise le spécialiste. Quant aux Tamouls installés depuis le XIXe siècle comme coolies sur les plantations de thé du centre de l'île, ils se sont vu longtemps refuser l'accès à la citoyenneté, mais n'avaient pas les moyens de se lancer dans une action revendicative.
Ce sont donc les Tamouls de Jaffna qui ont donné une forme politique au sentiment de discrimination dont ils s'estimaient victimes, en réclamant un statut d'autonomie puis d'indépendance pour les provinces nord et est de l'île, qualifiées de « Tamil Eelam », poursuit M. Meyer.
Dans les années 1970, le mouvement, qui s'exprimait de façon pacifique par la voix des députés tamouls, sans obtenir de résultats, a été dépassé par des organisations militantes créées par des jeunes auxquels l'accès à l'université avait été refusé. Ceux qui le pouvaient sont partis dans les pays de langue anglaise, tandis que ceux qui n'en avaient pas les moyens se sont lancés dans l'action clandestine et ont constitué une dizaine de groupes, explique le spécialiste. « Les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), dirigés par Veluppillaï Prabhakaran, sont devenus les plus puissants, éliminant ou absorbant leurs concurrents », souligne le spécialiste.
La guerre à grande échelle éclate en 1983 après des émeutes contre des Tamouls qui font des centaines de morts. Surfant sur le nationalisme tamoul et sur le ressentiment d'une minorité se sentant victime de discrimination, M. Prabhakaran met sur pied l'insurrection la mieux organisée au monde, avec armée de terre, marine et même aviation.
Ce conflit, l'un des plus important d'Asie, a vu se succéder des phases d'intensification de la violence et de négociations de paix.
En novembre 2005, Mahinda Rajapakse est élu pour mener une guerre à outrance contre la rébellion qui régnait encore en 2006-2007 sur
15 000 km2 de territoires. Le 19 mai dernier, après une offensive de plusieurs mois, Colombo crie victoire.
 
Situation humanitaire précaire

Ce conflit de longue haleine a fait près de 300 000 réfugiés, ayant un accès à l'aide humanitaire limité. Le camp de Manik Farm, à 90 km au sud-ouest de l'ex-zone des combats, est verrouillé par les militaires et entouré de clôtures de fil de fer barbelé. Colombo appelle ce genre de camps des « villages de secours ». Human Rights Watch, de son côté, dénonce des « centres d'internement ». Manik Farm, avec 170 000 personnes réparties dans les trois sections du camp, est « le plus grand camp du monde de personnes déplacées », selon le responsable des affaires humanitaires de l'ONU, John Holmes. En visite dans ce camp, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a exhorté Colombo à donner un accès « total et inconditionnel » aux organisations humanitaires aux camps « surpeuplés » et à mettre en œuvre « rapidement » le retour des Tamouls chez eux.
« La situation humanitaire est très sérieuse, les camps sont surpeuplés, mais je ne pense pas que toute la population tamoule soit arrivée dans ces camps, qui sont bien gardés et fermés », estime Éric Meyer.
 
Réconciliation ethnique?

La question prégnante de l'après-conflit militaire est l'éventualité, ou non, d'une réconciliation ethnique.
Pendant toute la durée du conflit, les Tamouls se disaient victimes de préjudices. « Il y a eu préjudice, c'est vrai, mais de là à parler de « génocide, c'est gonfler les événements, estime M. Meyer. En outre, les Tamouls ont utilisé la méthode violente pour montrer leur mécontentement, ce qui n'a pas contribué à leur donner des droits. »
Pour le spécialiste, la suite des événements « dépend de la façon dont Colombo va traiter les Tamouls, que se soit sous l'angle des droits de l'homme ou celui de la politique ». « L'organisation des Tigres tamouls a disparu en tant que telle, je ne pense pas qu'elle va pouvoir se reformer de sitôt. Mais il pourrait y avoir une forme de guérilla qui pourrait commanditer des attentats, mais qui serait très peu organisée », ajoute-il.
En outre, « s'il n'y a pas de propositions constructives de la part des autorités sri lankaises, le conflit peu reprendre alors sous une autre forme. La diaspora tamoule est très forte et peut mobiliser beaucoup de personnes, en vertu d'un phénomène classique de « nationalisme à distance ». Par ailleurs, cette diaspora a les moyens de financer des actions », poursuit-il. La semaine dernière, à Paris, plusieurs milliers de membres de la communauté tamoule ont, d'ailleurs, manifesté pour signifier qu'ils « ne renonceraient pas » à leur autonomie au Sri Lanka malgré la défaite de la rébellion.
« Il se peut également qu'une organisation politique soit créée, mais dans l'état actuel de la communauté tamoule, c'est très peu probable, dû à son manque de maturité politique », poursuit M. Meyer.
La question est de savoir, à partir de là, si Colombo est prêt à faire un geste pour apaiser les tensions. « Je ne peux pas du tout anticiper quelle va être la position des autorités. À la fin de l'offensive militaire, le président Rajapakse n'a donné aucune indication claire quant à la suite des événements. Il y a cependant un élément qui permet d'espérer. Après la guerre, M. Rajapakse a prononcé une partie de son discours en tamoul, ce qui n'avait jamais eu lieu », conclut M. Meyer.
Le conflit complexe, qui a duré 37 ans, entre Colombo et les séparatistes tamouls « s'est nourri de l'affirmation identitaire des groupes linguistiques et religieux à partir de la fin du XIXe siècle, mais il n'a pris toute son ampleur que depuis le milieu du XXe siècle », rappelle Éric Meyer. Jusqu'à la fin de la...