Mais ce volet externe est secondaire. Dans la situation actuelle, en pleine bataille électorale et politique, ce qui compte le plus, ce qui peut avoir le plus d'effets, c'est la réaction de l'opinion locale. Plus précisément, de la collectivité sunnite que ciblent les flèches de Nasrallah. À un diplomate lui rendant visite, le président Omar Karamé a avoué qu'il s'est senti fortement heurté par la harangue de Nasrallah glorifiant le 7 mai, jour noir. Dans la Békaa, fief du Hezbollah, comme au Akkar, les partisans des candidats prosyriens sunnites en ont retiré les portraits et les calicots des rues pour marquer leur mécontentement, sans toutefois provoquer de clashes avec les chiites.
Michel Aoun lui-même, selon ce que rapporte un diplomate, ne cache plus qu'il diverge sur bien des points avec le Hezbollah. Et que, d'ailleurs, il n'approuve pas toutes les thèses de ses alliés, dont Nasrallah, se trouvant même indisposé par certaines prises de position. Pour indiquer ensuite qu'il a élaboré un projet politique pour une IIIe République tout à fait spécifique et propre à lui. Selon des sources fiables, le général va mettre bientôt les points sur les i, au cours d'une tournée électorale générale en pays chrétien. Il va dire ce qu'il pense des thèses opposantes précitées. Mais, surtout, se défendre contre les critiques lui reprochant de vouloir écourter le mandat du président de la République et changer le système. D'après ces témoins, Michel Aoun veut préciser qu'il se tient toujours aux côtés du chef de l'État, dans le respect des institutions, mais qu'il tient à son projet de réformes.
Toujours est-il que Hassan Nasrallah vient mettre son grain de sel sur une plaie confirmée : le 8 Mars n'a plus la cohésion de naguère. Preuve en est ce conflit Berry-Aoun sur Jezzine qui s'est étendu aux circonscriptions de Jbeil et de Baabda. Autre indice : le retard apporté à la proclamation de la liste opposante à Zahlé. Un notable de Jezzine proche du député Samir Azar, qui dirige la liste parrainée par le président Berry, relève que « le Hezbollah, moteur du 8 Mars, se trouve empêché d'appeler les électeurs à soutenir ce camp dans les circonscriptions où deux listes adverses se réclament de l'opposition. Ainsi à Jbeil, Abbas Hachem, proposé à Aoun par le Hezb, fait face à Moustapha Husseini, frère du président Hussein Husseini, que le président Berry soutient. À Zahlé, le leader d'Amal s'oppose à la présence du député Hassan Yaacoub sur la liste Skaff, en demandant à désigner lui-même le candidat chiite. Aux dépens du Hezbollah ».
Ces alliances électorales chaotiques pourraient entraîner, selon certains, un changement du paysage politique après les élections. Des prosyriens font état, auprès des diplomates, de sondages leur donnant 65 sièges contre 63 aux loyalistes. Ils ne prévoient donc rien pour les indépendants, ou alors ils pensent que ces derniers ne seraient que des loyalistes camouflés. D'autres sondages pronostiquent 64 strapontins aux loyalistes, 59 aux opposants et 5 aux indépendants. Nombre suffisant, vu la différence réduite entre 14 et 8 Mars, pour jouer les forces-tampons ou arbitrer. Du reste, il n'est pas exclu que, venant des rangs de la majorité ou de la minorité, plusieurs députés (on parle de 13 cas) se fassent centristes après les élections, pour se regrouper derrière le président Sleiman.