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Moyen Orient et Monde - Reportage

Les « mochileros », invisibles fourmis du narcotrafic dans le Pérou de la coca

Ils sont des dizaines, des centaines, colonnes de fourmis au pas rapide, extrayant sac au dos à travers la jungle la cocaïne produite dans le sud-est du pays.

Ils sont invisibles à plus d'un titre. Invisibles dans leur progression nocturne à travers la dense forêt vierge de montagne, sur d'étroits sentiers. Invisibles pour les paysans qui les croisent et feignent ne pas les avoir vus. Invisibles pour l'État, qui, dans sa lutte contre le narcotrafic, sa priorité militaire dans le Sud-Est, oublie un volet social qui offrirait une alternative à ces enfants. Les « mochileros » (« randonneurs », littéralement les porteurs de « mochila » ou sac à dos) sont les vecteurs privilégiés pour sortir la cocaïne de la zone dite du « VRAE » (Vallée des fleuves Apurimac et Ene), à 600 km de Lima, qui produit plus d'un tiers de la coca du Pérou. À travers la montagne, vers des points de livraison proches de villes, et retour par une route « classique ». « Il faut voyager de nuit par les chemins grimpant dans la montagne. Parfois jusqu'a 30 ou 40 mochileros à la fois. Jamais moins de 10 pour des raisons de sécurité, avec au minimum un guide armé devant et un derrière », raconte à l'AFP un « ancien », à 24 ans, du circuit mochilero, qui réclame l'anonymat.
Souvent l'escorte est fournie par le Sentier lumineux, la guérilla maoïste qui fit trembler le Pérou dans les années 1980-2000. Ses restes, estimés entre 300 et 600, se sont reconvertis en auxiliaires sécuritaires des narcotrafiquants, dans cette poche « cocalière » du Sud-Est - que le Sentier contrôle de fait.
Plus de 150 dollars le voyage, ce n'est rien au regard du demi-million (en prix au consommateur) que peuvent porter sur le dos ces « randonneurs ». Mais c'est énorme - à peu près le salaire minimum péruvien - pour une zone isolée, ingrate, où le seuil de pauvreté a avalé 90 % de la population. « On trouve chez eux beaucoup d'enfants, signe de l'absence d'alternatives pour la jeunesse du VRAE (...) à laquelle les "narcos" offrent un "travail" de mochilas », comme ils offrent une narco-économie à l'ensemble de la zone, analyse l'économiste péruvien du narcotrafic, Hugo Cabienses. « Dans le groupe que je connaissais, chaque mochilero pouvait charger 10 kilos au plus pour de longs périples de deux ou trois jours, poursuit l'ancien. Certains voulaient porter plus, pour gagner plus, mais on leur refusait. Il faut pouvoir avancer vite. » Avancer, à ce pas rapide, pour progresser et éviter les patrouilles militaires, voire celles des comités civils « d'autodéfense », sorte de substitut dans les villages sans police ni armée, sur lesquels l'État s'appuie, sans enthousiasme ni confiance, pour occuper un peu le terrain. « Repérer des mochileros est une chance », convient le commandant en chef de l'armée Otto Guibovich. « Cela veut dire qu'au moins on peut combattre des membres du Sentier, qui sont durs à localiser » dans une zone qu'ils maîtrisent depuis plus de 20 ans. « L'an passé, on est tombé sur une colonne de mochileros, il y avait une escorte de quelque 15 hommes armés. » Sept terroristes ont été tués dans l'affrontement, affirme l'officier. Aussi, la « chasse aux mochileros » est une sortie régulière des patrouilles des camps retranchés de la zone. Non que les risques semblent dissuader les candidats ni les perspectives ouvertes par un marché de la cocaïne en expansion. Selon l'hebdomadaire Carretas, une conversation radio récemment interceptée entre des cadres du Sentier dans le VRAE faisait état d'un recrutement de « 1 000 mochileros » et de neuf nouveaux centres d'approvisionnement.

 

Hugo NED (AFP)

Ils sont invisibles à plus d'un titre. Invisibles dans leur progression nocturne à travers la dense forêt vierge de montagne, sur d'étroits sentiers. Invisibles pour les paysans qui les croisent et feignent ne pas les avoir vus. Invisibles pour l'État, qui, dans sa lutte contre le narcotrafic, sa priorité militaire dans le Sud-Est, oublie un...

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