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Moyen Orient et Monde - Le billet d’humeur

La journée de la jupe

« Cet honneur étranger, parmi nous inconnu
N'est qu'un fantôme vain qu'on prend pour la vertu
C'est l'amour de la gloire et non de la justice
La crainte du reproche, et non celle du vice. » (Voltaire, Alzire)


Depuis quelques années, des entreprises, par souci de réduction des coûts et de flexibilité, sous-traitent certaines de leurs activités, comme le service après-vente, les fonctions nettoyage, informatique ou facturation.
Depuis des siècles, certains hommes sous-traitent la gestion de leur honneur. Par souci de flexibilité essentiellement.
Selon Platon, l'honneur siège, en gros, au niveau du cœur, baptisé « thumos » en langage platonicien. Le « thumos » est l'une des trois puissances qui composent l'âme, avec le « noos », l'élément rationnel, et l'« épithumia », arène du désir et des passions. Pour un fonctionnement harmonieux, la raison (« noos ») doit gouverner le cœur (« thumos ») qui doit lui-même gouverner les passions et désirs (« épithumia »).
Problème, chez certains membres de la gent masculine, cette hiérarchie est inversée. Afin de garantir l'épanouissement optimal d'un « épithumia » surboosté, l'espace alloué à la raison et au cœur se trouve réduit à la portion congrue. En conséquence, la raison est atrophiée et l'honneur, par manque de place, doit être délocalisé. L'homme gouverné par ses passions a donc fait à la femme une proposition qu'elle ne pouvait pas refuser : la gestion de l'honneur conjugal, paternel, familial, clanique, tribal...
La stratégie est futée. Pour l'homme qui sous-traite son honneur, voilà un souci de moins, en outre géré à moindres frais. Pourquoi ? Car la femme, c'est-à-dire la sous-traitante, a été bien informée que la moindre erreur de jugement signifiait une rupture du contrat. Avec tout ce que cela implique de mauvaises nouvelles, de persécutions et de violences. La sous-traitante comprend donc clairement qu'il est dans son intérêt - question de survie - de gérer au mieux cet honneur.
Bien sûr, personne n'étant infaillible, la sous-traitante peut déraper et porter atteinte à l'honneur familial qu'on lui a confié. Une sœur parle à un camarade de classe, une épouse lève les yeux sur le marchand de poireaux, une cousine se permet d'avoir des sentiments... Le big boss se trouve alors contraint de se salir les mains, histoire que la réputation de sa petite entreprise ne soit pas irrémédiablement souillée par la bourde de la sous-traitante. D'où la nécessité de retravailler, à grands jets d'acide, le visage d'une gamine ou de craquer une allumette près d'une jeune femme baignant dans l'essence... Près de 5 000 cas par an.
Certains, plus malins, ont trouvé le moyen de ne pas se salir les mains, et de sous-traiter - encore - le nettoyage de la faute. Un tel exemple d'esprit d'entreprise nous est venu, il y a quelques jours, d'Azerbaïdjan. Décidé à punir sa fille coupable, en portant des minijupes, « d'irrévérence envers les traditions nationales », un Azerbaïdjanais est soupçonné d'avoir engagé deux porte-flingues pour laver son honneur. L'investissement était conséquent, puisque les deux « agents de nettoyage » réclamaient, pour leur peine, 2 300 dollars, soit un peu plus de 18 salaires mensuels moyens azerbaïdjanais. En bon businessman, le papa outragé a visiblement eu le courage d'attaquer le bas de laine. Bien lui en prit, puisque les deux gorilles se sont parfaitement acquittés de leur mission en mettant fin, avec deux balles seulement, à la terrible menace que représentait, pour l'affaire familiale, cette jeune fille, ses 21 printemps, ses rêves d'avenir et ses minijupes.
Fait intéressant, les deux sicaires ont visé la tête. Une tête que la jeune fille s'employait à remplir sur les bancs de la faculté de médecine. Une fille étudiante en médecine ? Il n'y avait là vraiment pas de quoi être fier pour un père.
« Cet honneur étranger, parmi nous inconnuN'est qu'un fantôme vain qu'on prend pour la vertuC'est l'amour de la gloire et non de la justiceLa crainte du reproche, et non celle du vice. » (Voltaire, Alzire)Depuis quelques années, des entreprises, par souci de réduction des coûts et de flexibilité, sous-traitent certaines de leurs...

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