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Moyen Orient et Monde - Le point

La huitième plaie

Il avait fallu un auteur comique pour le dire. Au troisième siècle de notre ère, un certain Titus Maccius Plautus, entré dans l'histoire sous le nom de Plautus, décrétait dans « Asinaria » ou « La comédie des ânes », que l'homme est un loup pour l'homme (homo homini lupus), une idée reprise plus tard par des philosophes tels Bacon et surtout Hobbes. On peut constater que, depuis, les choses se sont grandement détériorées car si le frère aîné du chien est en passe de disparaître de la surface de la terre, pour cause d'extermination, certains de nos frères en l'humanité deviennent, eux, d'une inquiétante agressivité.
Dans un monde aujourd'hui suspendu aux cotations de Wall Street et aux prophéties de l'oracle d'Omaha, ce qui vient de se passer mérite réflexion, car énorme. En l'espace de quelques heures, et à des milliers de kilomètres de distance, deux massacres se sont produits, dans lesquels sont tombées 27 personnes, réveillant du coup le démon, jamais assoupi, de la violence. Un phénomène qui, avaient calculé il y a peu les organismes qualifiés, fait annuellement dans le monde quelque deux millions de tués ; qui constitue la principale cause de mortalité chez les 15-44 ans, et qui représente en proportion 14 pour cent des décès chez les hommes et 7 pour cent chez les femmes. Comme si les guerres, les maladies, la famine, les cataclysmes naturels n'assumaient pas avec un minimum (ou plutôt un maximum) d'efficacité leur rôle « eugénique », voici que des Terriens se mettent à vouloir faire le vide autour d'eux. On ne saura jamais pourquoi Tim K., le meurtrier de 17 ans qui a fait irruption dans son ancienne école de Winnenden, dans l'État allemand du Bade-Wurtemberg, s'est mis à tirer au jugé sur tout ce qui bougeait, abattant pas moins de 11 adolescents. C'était un jeune homme comme tant d'autres, anonyme, perturbé peut-être par les doutes sur les perspectives d'avenir mais que rien n'aurait dû pousser à se comporter en forcené. Quant au tueur de l'Alabama, il avait parcouru trois villes, semant la terreur autour de lui avant de se suicider dans une usine assiégée par la police. Confidence d'un de ses camarades de travail : « C'était quelqu'un de très calme, très réservé. Il ne posait pas de problèmes et avait un comportement exemplaire. »
Et si elle était là, l'explication ? Les sociologues et criminologues relèvent depuis longtemps que de telles explosions se produisent habituellement au sein de sociétés qui exigent de leurs membres un comportement exemplaire : États-Unis, Japon, Allemagne, pays scandinaves, pour ne citer qu'eux. Se montrer irréprochable ne serait donc pas dans notre nature et à trop vouloir faire preuve d'une conduite parfaite, on s'expose tôt ou tard à voir le carcan céder, comme une marmite soumise à pression et dont la soupape de sûreté, pour une raison ou une autre, cesse brutalement de remplir sa fonction d'« anti-explosif ». Le phénomène, nous dit-on, se produit lorsque l'autorité étatique fait faillite et que s'estompent les justifications religieuses. Ainsi, on avait eu droit, il y a quelques années, à une vague de suicides d'enfants japonais qui supportaient mal leurs échecs scolaires. Ces dix dernières années, ce qui est devenu proprement inquiétant, c'est la liste des fusillades dans des établissements d'enseignement : douze, si l'on ne veut pas compter celle d'hier dans le collège technique près de Stuttgart. Et on n'est pas près d'oublier que le comble de l'horreur avait été atteint à l'université de Virginia Tech, quand un tireur avait perpétré un carnage : 32 personnes abattues avant qu'il ne se donne la mort.
De l'irruption, dans un lycée de Littleton (Colorado), le 20 avril 1999, de deux jeunes de 17 et 18 ans qui avaient tué 12 élèves et un professeur, le cinéaste Michael Moore avait tiré un film, Bowling for Columbine, qui avait eu un retentissement énorme, malheureusement gâché par l'exploitation politique qui en avait été faite. Le documentaire prétendait pourtant expliquer la prédilection des Américains pour la violence, un sentiment qui a accompagné, depuis son émergence, la vie du pays, politique autant que sociale, à commencer par l'assassinat d'Abraham Lincoln et en passant par celui de John Kennedy.
Il importe d'évoquer cet inquiétant aspect de l'« Américan way of life », rien que pour le phénomène unique au monde que représente en Amérique la National Rifle Association. Il s'agit d'un organisme privé, exempté de tout impôt ou taxe, créé en 1871 pour, précise son statut, « promouvoir et encourager l'usage des armes à feu sur une base scientifique », et dont le président le plus célèbre fut l'acteur Charlton Heston. C'est grâce à la NRA que tout Américain moyen a le droit de détenir un revolver ou un fusil « pour les besoins de sa défense », ce qui est susceptible de le porter un jour ou l'autre à en faire usage dans un but offensif.
Réaction d'un lecteur du vénérable New York Times : « Nous sommes allés rechercher en Irak les armes de destruction massive alors qu'elles se trouvent chez nous. » La constatation est faite un peu tard.
Il avait fallu un auteur comique pour le dire. Au troisième siècle de notre ère, un certain Titus Maccius Plautus, entré dans l'histoire sous le nom de Plautus, décrétait dans « Asinaria » ou « La comédie des ânes », que l'homme est un loup pour l'homme (homo homini lupus), une...

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