Bush, Chirac, Gog et Magog

On pensait tout savoir des exubérances religio-mystiques de l'ancien locataire de la Maison-Blanche. Erreur. Dans un ouvrage* paru hier, et dont les bonnes pages ont été reproduites la semaine dernière par le magazine français L'Express, l'ancien directeur de la rédaction du Journal du Dimanche en remet une couche. Entre 1999 et 2005, Jean-Claude Maurice a rencontré Jacques Chirac à une dizaine de reprises. C'est lors de l'un de ces tête-à-tête que l'ancien président français a rapporté au journaliste probablement l'une des plus hallucinantes conversations qu'il ait eues avec George Bush. C'était en 2003, un mois avant le déclenchement de l'offensive américaine contre l'Irak. Lors de cette conversation visant à convaincre le président Chirac de rallier la cause américaine, George Bush utilise « un argument singulier, affirmant que... "Gog et Magog sont à l'œuvre au Proche-Orient" et que "les prophéties bibliques sont sur le point de s'accomplir" ». Quand, le lendemain, le président Bush récidive et prononce une nouvelle fois les noms de Gog et Magog lors d'une conférence de presse, Chirac commence sérieusement à s'inquiéter, rapporte Jean-Claude Maurice dans son livre, et décide de consulter un théologien, déniché en Suisse pour plus de discrétion.
Résultat : Gog et Magog apparaissent dans la Genèse, et surtout dans le « Livre d'Ezéchiel » de l'Ancien Testament. Ces deux créatures sont liées à la prophétie apocalyptique d'une armée mondiale livrant la bataille finale contre Israël. Voulue par Dieu, cette guerre permettrait de terrasser Gog et Magog, d'anéantir à jamais les ennemis du peuple élu et de voir un nouveau monde naître.
« Pour un esprit français, l'évocation de Gog et Magog pouvait prêter à rire. Chirac, lui, ne rit pas. Cette parabole de l'apocalypse annoncée pour réaliser une prophétie l'inquiète et le tourmente. Il s'interroge aussi sur l'inculture religieuse à l'heure où les soubassements religieux sont beaucoup plus déterminants qu'on ne veut le croire dans les décisions politiques et militaires », écrit l'ancien directeur de la rédaction du JDD. « Ils vont mettre la région à feu et à sang. Ils ne comprennent rien à rien et sont d'une inculture crasse en ce qui concerne un Orient si compliqué. Demandez-leur de vous citer le nom d'un poète arabe. C'est tout juste si pour eux l'affrontement entre chiites et sunnites ne renvoie pas à la finale d'un Super Bowl au Moyen-Orient », s'insurge Chirac cité par Jean-Claude Maurice. « Vous verrez : ils vont mener une guerre de Pandore, la gagner rapidement, mais le plus dur alors commencera. Sunnites et chiites vont se déchirer. Après l'invasion, une guerre civile fera plus de victimes civiles que les combats de la guerre éclair. El-Qaëda trouvera en Irak un terrain de manœuvre qui lui est jusqu'ici interdit. Dans un an, il faudra envoyer des renforts. Et dans trois ans, quand 3 000 GI seront morts, ils n'auront le choix qu'entre un retrait et l'envoi de nouvelles troupes. » Prémonitoire Chirac.


*Si vous le répétez, je démentirai, Jean-Claude Maurice, Plon.