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Moyen Orient et Monde - Le point

Impair et manque

Elle a gagné, mais elle fait déjà figure de perdante ; il a perdu, mais il semble assuré de l'emporter. Mais le grand gagnant est l'homme qui vient en troisième position dans la course aux voix. Telle est la drôle de situation sortie du scrutin du 10 février, le cinquième des dix dernières années, dont le Haaretz, dès le 19 novembre, tirait par avance le constat, parfaitement résumé par une double interrogation : « A-t-il changé ? », « Est-elle capable ? » Réponses, dans l'ordre : probablement non et attendons pour savoir. L'homme dont le précédent passage (1996-1999) à la tête de l'Exécutif avait laissé un souvenir désastreux est Benjamin Netanyahu, au sobriquet amplement mérité de Bibi Ha-Shakran (le menteur). Elle, c'est Tzipi Livni, leader par défaut du Kadima, fondé par Ariel Sharon, une femme au charisme de réfrigérateur des années trente, mais qui est parvenue, contre toute attente, à résister au rouleau compresseur du Likoud. Si, pour l'un et l'autre, « le peuple s'est exprimé clairement » - comprendre : il a voté pour moi -, il est clair que, au trébuchet politique, c'est la ministre des Affaires étrangères qui l'emporte, ayant réussi à sauver la majorité des meubles et même à devancer son concurrent, lequel s'est laissé déborder sur son aile droite.
On vient de le voir donc, les préférences de l'Israélien moyen semblent être allées au troisième homme, l'inquiétant Moldave Avigdor Lieberman, au physique de videur (ce qu'il fut d'ailleurs, dans une autre vie), héros d'un million de « Russim » et terreur des rabbins dont il voudrait limiter les pouvoirs. Il est le joker dont tout le monde, depuis quarante-huit heures, se dispute les faveurs et qui se prépare à les vendre au prix fort, conscient que les quatorze sièges d'Israël Beiteinou, sa formation, sont susceptibles de faire pencher la balance du côté des vrais faucons ou des fausses colombes. Toute la question reviendra demain à connaître le prix exigé pour une fidélité aléatoire, appelée à durer le temps d'une chancelante coalition.
D'ailleurs, le maquignonnage a commencé sitôt connus les résultats, conformément à une tradition qui remonte à une époque qui vit proliférer des groupuscules dont l'appétit fluctue au gré des tendances de l'heure. En cet hiver, marqué à ses débuts par une expédition gazzaouie à la douteuse issue, le ton est plutôt martial. Tout le monde veut mettre au pas, sinon éliminer, le Hamas et même, dans la foulée, le Hezbollah, quand il ne s'agit pas de détruire les sites du nucléaire iranien, sans s'embarrasser de considérations sur les retombées de telles menaces du moment qu'elles permettent d'engranger des voix, quitte à demeurer sans lendemain.
Sur le papier, c'est le Likoud qui part favori avec un total, si l'on ne veut pas comptabiliser les effectifs de l'extrême droite, d'une cinquantaine de votes, soit ses 27 mandats auxquels viendraient s'ajouter les onze députés du Shass, les cinq du Judaïsme de la Torah ainsi que les sept membres du minibloc du rabbin Daniel Hershkowitz et de la Nouvelle union. En deuxième position figure l'alliance éventuelle Kadima-travaillistes-Meretz, soit 44 parlementaires (respectivement 28, 13 et 3). Dans cette arithmétique, il n'y a pas place pour les onze députés arabes qui refusent de suivre le peloton, au risque d'être marginalisés davantage encore que par le passé. Leur argument, justifié dans les faits, est que le processus de paix est condamné à faire les frais des manœuvres en cours, d'autant plus que le scrutin de mardi affaiblit considérablement l'Autorité palestinienne et renforce par voie de conséquence le camp des durs, tout comme il vient de consolider les positions de l'aile ultra israélienne.
Les contours de la situation resteraient à définir à condition d'y apporter deux touches majeures, représentées la première par les difficultés d'une union condamnée à naître au forceps, la seconde par le poids de la nouvelle administration américaine. À cela pourrait s'ajouter l'élément représenté par l'impossibilité de former un gouvernement durable en raison de l'atomisation du paysage politique. Le chef de l'État pourrait alors suggérer une rotation, d'ailleurs évoquée dès hier par le Yediot Aharonot, à l'image de l'éphémère alternance Peres-Shamir des années 1984-1988. À moins d'envisager, en septembre prochain, une nouvelle consultation populaire qui ne pourrait qu'ajouter à la confusion ambiante, née d'un excès de démocratie qui finit, on le sait, par tuer la démocratie.
En attendant une sortie de la crise qui s'ébauche, les politologues du cru devraient méditer sur la modification du paysage, marqué par la lente érosion du clan des modérés, de certains jeunes, des pacifistes et des objecteurs de conscience. Ils devraient aussi s'interroger sur ces travaillistes, désormais relégués à la quatrième place, eux qui avaient fondé, il y a plus de soixante ans, l'État hébreu sur des bases socialistes. Non, vraiment, David Ben Gourion ne reconnaîtrait pas ceux qui s'obstinent à se réclamer de lui.
Elle a gagné, mais elle fait déjà figure de perdante ; il a perdu, mais il semble assuré de l'emporter. Mais le grand gagnant est l'homme qui vient en troisième position dans la course aux voix. Telle est la drôle de situation sortie du scrutin du 10 février, le cinquième des dix dernières années, dont le...

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