Le Gay et l’Autruche (fable populaire)

Il n’y a pas d’homosexuels au Liban. Quelle drôle d’idée ! Pourquoi un pays aussi respectable que celui-ci, dont la population suit ses religions à la lettre et ne connaît aucune diversité sociale, serait-il le théâtre d’une telle dépravation ? Tout le monde vous expliquera, ici, que les Libanais sont « normaux ». Bien sûr, certains sont un peu excentriques, et affichent un style différent ; mais rien de sérieux, rassurez-vous. Par exemple, les quelques boîtes de nuit où l’on ne trouve que des hommes ne sont que des imitations des boîtes en vogue à Paris ou à San Francisco. Les cafés de Hamra qui figurent dans tous les guides gays internationaux sont simplement un effet de mode. Quant aux sites de rencontres sur Internet… Quels sites de rencontre ? Il n’y a aucune vie sur le Web au Liban. Autre rumeur révoltante : des adolescents se retrouveraient à la rue, chassés par leurs familles, pour avoir décidé d’être homosexuels. Diffamation ! Les familles libanaises sont les plus ouvertes du monde. Elles constituent un espace de dialogue pour les jeunes, qui trouvent toujours chez leurs parents une oreille patiente et compréhensive. Ouverture d’esprit, également, pour tous ces hommes qui partagent des appartements à Beyrouth. Ce sont bien sûr des colocataires, qui finiront bien par trouver une femme et fonder une vraie famille. Ils s’amusent en attendant, et il n’y a aucune raison de prendre leurs « amitiés particulières » au sérieux. Mais alors, pourquoi s’agite-t-on tellement au sujet de l’homosexualité au Liban ? Pourquoi des familles continuent-elles à se déchirer, incapables d’accepter la vraie nature de leurs enfants ? Pourquoi des dizaines de jeunes hommes, intelligents et pleins d’avenir, se suicident-ils tous les ans sans avoir réussi à trouver leur place dans la société ? Pourquoi des enfants ratent-ils leur scolarité sans comprendre pourquoi ils sont différents de leurs camarades ? Pourquoi enfin les agressions se multiplient-elles ? Elles sont physiques ou verbales, elles ont lieu dans la rue, au travail ou dans les familles. Elles sont commises par Monsieur Tout-le-monde ou par des représentants de la loi. Les hommes et les femmes qui ont le courage d’afficher leur désir ne trouvent face à eux qu’un mur de déni. Plutôt que de s’aimer au grand jour, ils sont condamnés à vivre cachés, dans une frustration grandissante. Et leur colère germera lentement, malgré les instances religieuses et les nombreux tartuffes, pour bientôt faire éclater la loi. G.A.