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Le dialogue des religions, les intentions et les faits Amine ISSA

« Alors que la vérité est par son essence absolue et unique, elle se manifeste de façons infiniment différentes » (Mohammad Khatami) En novembre de cette année s’est tenue, dans le cadre de l’ONU, une conférence intitulée « La culture de la paix ». À l’appel du souverain saoudien, des représentants des grandes religions se sont réunis à New York pour débattre du dialogue des religions, devenu impératif à leurs yeux depuis les attentats du 11 septembre. Depuis cette date, l’animosité entre les deux grands monothéismes a atteint un degré inégalé. Elle est alimentée par les attentats terroristes perpétrés au nom de l’islam et de l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan par l’Occident sous le prétexte de libérer leurs peuples au nom de la démocratie, argument jugé fallacieux par le monde musulman. Cette conférence n’est pas la première dans son genre ; elle, et toutes celles qui l’ont précédée et suivie, se sont conclues par des déclarations de principes condamnant le terrorisme et appelant à la reconnaissance des autres religions, à la paix et à la tolérance. Ces préceptes d’après leurs défenseurs se trouveraient dans les livres saints de chacune des religions. Et pourtant jusque-là, il ne s’agit que de vaines paroles et l’animosité de part et d’autre ne décroît pas. La faute est au diagnostic, qui ne veut voir dans chacune des doctrines que sa figure lumineuse, en feignant d’ignorer que les fondamentalistes violents ont eux aussi puisé leur légitimité dans ces mêmes doctrines. Plus grave encore, les porte-parole officiels de l’islam et de la chrétienté, jaloux de leurs prérogatives, négligent sciemment les réformateurs anciens et contemporains qui offrent de véritables solutions. D’abord qu’en est-il des origines du mal ? Pour l’islam, je m’en tiendrai à la lecture réductrice que font les islamistes du Coran. Ils considèrent que la sourate « al-Taouba » est la dernière du livre saint et qu’en conséquence, ses prescriptions abrogent toutes celles qui les précèdent. Dans cette sourate, il est ordonné au musulman de combattre les gens du Livre, c’est-à-dire les chrétiens et les juifs, et de les humilier (verset 29). Cette vision étriquée de l’islam est celle de nombre de penseurs qui, à partir de 1258 lors de la destruction de Bagdad par les Mongols, n’ont plus privilégié qu’une approche schizophrénique de l’islam. Entamé par Ibn Taymiya, elle fut relayée par les Wahhabites au XVIIIe siècle et les Frères musulmans au début du XXe. Oussama Ben Laden n’en est que le dernier avatar. Si la Bible et les Évangiles sont pour l’islam une manifestation divine, pour la doctrine chrétienne, l’islam n’est pas une religion révélée. Le Christ s’adressant à saint Jean lui dit : « C’est fait ! Je suis l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin » (Apocalypse XXI-6). Plus récemment, le pape Benoît XVI, à Ratisbonne réduit l’islam à une idéologie conquérante et violente. Il cite Manuel II Paléologue, empereur byzantin qui dit à son interlocuteur perse : « Car montre-moi que Mahomet ait rien institué de neuf : tu ne trouverais rien que de mauvais et d’inhumain, tel ce qu’il statue en décrétant faire progresser par l’épée la croyance qu’il prêchait. » Et pourtant, ce ne fut pas toujours cette approche antagoniste qui prévalut. Kant dit que dans la recherche intellectuelle de la cause première, Dieu inatteignable, les hommes se retrouvent. Or cette recherche est aussi le fait de la théosophie de Shoravardi, des Ismaéliens chiites et d’Averroès, qui par le biais de l’« akl » (l’intelligence) permet à l’homme de se rapprocher de l’« akl faal » (intelligence agente) c’est-à-dire l’Esprit Saint, Gabriel, l’Ange de la Révélation divine. Même souci, même voie vers l’absolu, débarrassé des contingences culturelles, que les fondamentalistes érigent comme principes de la religion. Mais cette recherche partagée met-elle les affiliés aux deux religions sur un pied d’égalité ? Non, vous diront les tenants de la théorie des « peuples choisis » et de l’exclusivité de leur foi. Ce n’est pas l’avis de Hegel qui avance que la conscience de soi, comme être exceptionnel tel que la voulut Dieu, ne se confirme que dans l’Autre qui est différent, d’où le besoin de le rencontrer pour y voir son propre reflet. Cette unicité de l’homme, n’est-elle pas confirmée dans le Coran par la volonté de Dieu qui ordonne aux anges de se prosterner devant Adam (1), père de l’humanité, alors qu’en islam, le musulman ne se prosterne que devant Dieu ? Al-Hakem Thirmidi, soufi du 10e siècle, prétend la même chose quand il affirme que la dignité humaine est acquise également par tous les hommes à leur naissance, au nom du pacte avec Dieu. Ibn Arabi, au XIIIe siècle, en ramenant à la même racine verbale les deux mots « supplice » et « délice », nous dit que le passage en enfer n’est que provisoire et que tous les hommes se retrouveront au paradis (2). Quant aux deux extrémités de l’existence de l’être humain, à sa naissance et à sa mort aucune distinction n’est faite, comment peut-on entre les deux, dans ce qui est contingent, établir des oppositions définitives de principes entre les hommes ? Nous fêtons cette année le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et lors du hajj, cette année, le mufti d’Arabie saoudite, en plus de condamner le terrorisme, a appelé au respect de ces mêmes droits, ce qui est inédit tant l’individu en islam officiel passe au second rang, derrière la communauté. Ce communautarisme pointe sous les propos du pape qui condamne le « dragon » du matérialisme (3). Si ses excès sont certes à déplorer dans ce qu’ils ont de déshumanisant, il reste, encadré par l’éthique, une condition essentielle pour l’autonomie de l’individu qu’on ne peut plus identifier exclusivement à une communauté, à une religion en opposition à une autre. C’est des manuels d’école, des prêches et des exégèses, que l’islam devrait éradiquer toute référence à l’infériorité des autres. C’est dans le crépuscule des néoconservateurs américains et leur vision manichéenne du monde que la barbarie attribuée à ceux qui ne partagent pas leur vision du monde devrait disparaître. C’est en Europe qu’on devrait voir autre chose dans le monde musulman qu’un décor pour ses fantasmes dans la tradition du Voyage en Orient. Il faut à l’Occident d’admettre que la solution au retard pris par cette partie du monde ne peut être résolue par la simple exportation de modèles conçus et éprouvés en Occident. Qu’il faut tout aussi l’aider, de deux façons, à ne pas s’enfermer dans son exception culturelle, prélude au totalitarisme. D’abord en l’associant à la croissance mondiale autrement qu’en le considérant comme un vaste marché. Ensuite, en accélérant l’accession du peuple palestinien à la possession d’un État viable, tant cette question occupe, dans l’imaginaire social, politique et religieux musulman, une place existentielle. Je ne prétends pas épuiser le sujet, mais simplement révéler le mal et proposer des pistes. Il faut comme un chasseur les lever pour atteindre la proie, sinon les faux semblants ne saisiront que son ombre et la haine vaincra. 1- Sourate VII verset 11. 2- Voir le livre de Abdel Wahab Meddeb « Sortir de la malédiction « , Seuil, 2008. 3- Discours du 16/8/07. Article paru le vendredi 16 janvier 2009
« Alors que la vérité est par son essence absolue et unique, elle se manifeste de façons infiniment différentes » (Mohammad Khatami)

En novembre de cette année s’est tenue, dans le cadre de l’ONU, une conférence intitulée « La culture de la paix ». À l’appel du souverain saoudien, des représentants des grandes religions se sont réunis à New York pour...