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Actualités - OPINION

La renaissance de la démocratie musulmane De Charles TANNOCK*

Bien que les préoccupations concernant l’islamisation de la vie politique dans le monde musulman aillent croissant, le Bangladesh, qui abrite la quatrième population musulmane mondiale par ordre d’importance (126 millions), a choisi d’aller dans une direction diamétralement opposée. On entend surtout parler du Bangladesh lorsque les cyclones et les tsunamis ravagent ses côtes, mais son relatif manque d’envergure au plan international masque son importance stratégique. Le fait que les politiciens laïcs du pays aient été en mesure de battre les islamistes lors des récentes élections législatives a, de fait, ressuscité la viabilité du concept de « démocratie musulmane » dans le monde. L’écrasante victoire remportée récemment par la Ligue Awami (avec une participation massive) lors des premières élections organisées depuis sept ans au Bangladesh, après deux ans d’un gouvernement provisoire piloté par l’armée, a mis ce pays en première ligne de la confrontation entre les démocrates laïcs et les islamistes en Asie du Sud. Ces élections ont fait honneur aux aspirations démocratiques du peuple bangladeshi – ce que j’affirme en qualité de président de la mission d’observation électorale de l’Union européenne au Bangladesh. Les listes électorales étaient plus strictes que dans bien des pays occidentaux, avec une photo d’identité à côté du nom de chaque électeur. La violence, caractéristique des précédentes élections au Bangladesh, était entièrement absente, grâce notamment à un déploiement important des forces de sécurité lors du scrutin et au fait que les forces armées aient volontairement décidé de ne plus intervenir dans la vie politique du pays. En la personne du Premier ministre cheikh Hasina Wajed, le Bangladesh s’est doté d’une dirigeante charismatique et sa nette victoire électorale augure bien de l’établissement du pouvoir laïc et fort dont a besoin ce pays. Elle est revenue d’un exil imposé par l’armée pour faire face à un an de détention et de fausses accusations de meurtre. L’énorme popularité de Mme Hasina en tant qu’ex-Premier ministre et son statut d’une des deux seules filles encore en vie du fondateur du pays, cheikh Mujibur Rahman, ont garanti qu’elle serait une candidate incontournable de ce scrutin. Sa victoire décisive confirme sa croyance dans le fait que les Bangladeshis souhaitent un avenir laïc et stable pour leur pays – qui contrairement au Pakistan – entretient des relations cordiales avec l’Inde, son voisin géant. La véritable histoire de ces élections est toutefois la nette défaite des partis islamistes, qui ont cherché à détourner le Bangladesh de ses racines démocratiques et laïques et qui, en 1971, ont essayé d’imposer l’ourdou comme langue nationale et d’éradiquer la culture et la langue bengalies. L’issue du scrutin a démontré que les 153 millions de Bangladeshis n’ont aucune envie d’islamiser les affaires politiques. Il leur suffit de regarder vers l’ouest, vers l’Inde et le Pakistan, pour comprendre les dangers posés par le terrorisme islamique. Mais si Mme Hasina veut pouvoir continuer à affaiblir l’islamisme, elle doit s’attaquer aux problèmes fondamentaux qui ont déstabilisé la société du Bangladesh depuis des décennies. Le principal d’entre eux est la pauvreté affligeant la grande majorité de la population. Il est étonnant, dans une certaine mesure, que les partis islamistes n’aient pas rencontré plus de succès, compte tenu de leurs succès ailleurs dans la mobilisation des membres les plus vulnérables et marginalisés de la société. Si la Ligue Awami échoue à éradiquer la pauvreté et les inégalités sociales endémiques, l’islamisme peut encore parvenir à rallier les plus démunis à sa cause. Un membre du Jamaat-e-Islami m’a en effet confié durant mon séjour que son parti avait un programme sur 30 ans pour que la charia soit adoptée au Bangladesh. L’exemple du Hamas et du Hezbollah constitue un rappel salutaire des défis qui attendent le nouveau gouvernement de Dacca. Bien que ces groupes soient surtout connus pour leurs attaques contre Israël, il ne faut pas oublier qu’ils ont construit une base politique forte en organisant des services sociaux, comme des écoles et des hôpitaux pour les pauvres. Le Hamas et le Hezbollah se sont développés parce que les autorités au pouvoir n’ont pas été capables, ou n’ont pas voulu, s’attaquer au problème de la pauvreté. Dans le cas du Hamas, le transfert d’allégeance est essentiellement lié à la corruption à tous les niveaux de l’Autorité palestinienne sous Yasser Arafat, dont les acolytes ont empoché les milliards de dollars destinés à alléger la pauvreté et les souffrances de la bande de Gaza. Étant donné que la corruption endémique du Bangladesh est sans doute le principal obstacle à l’établissement de services essentiels pour les pauvres, il est indispensable que Mme Hasina adopte, dès sa prise de fonctions, une position très ferme sur la question de la corruption. Cette question comporte par ailleurs un potentiel d’intervention par l’armée, un aspect récurrent de l’histoire du pays et qui a systématiquement retardé le développement du pays. Au-delà de la lutte contre la corruption, Mme Hasina doit aussi interdire toute donation étrangère aux partis politiques, en particulier « l’or wahhabite » offert par l’Arabie saoudite et les États du Golfe pour financer les partis islamistes. Les défis qui attendent la Ligue Awami sont nombreux et variés, mais elle n’est pas sans ressources. Le Bangladesh est en meilleure posture que la plupart des pays asiatiques pour surmonter la crise financière, parce que ses banques ne sont pas surexposées et que son industrie textile porte essentiellement sur le segment bas de gamme qui, pour l’instant, semble stable. Mais surtout, le Bangladesh a une occasion en or de montrer au monde qu’un pays à majorité musulmane peut faire librement le choix de la démocratie libérale et faire en sorte qu’elle fonctionne en confinant la religion à la sphère privée. Grâce à sa majorité parlementaire, le gouvernement doit se donner les moyens d’agir en rétablissant la Constitution de 1972, qui définit le Bangladesh comme un État démocratique laïc. Le Bangladesh est un pays riche en potentiel humain, mais ce potentiel ne pourra se concrétiser que si le nouveau gouvernement donne la priorité aux besoins des pauvres – un domaine qui est la chasse gardée des islamistes ailleurs dans le monde. © Project Syndicate, 2008. Traduit de l’anglais par Julia Gallin.
Bien que les préoccupations concernant l’islamisation de la vie politique dans le monde musulman aillent croissant, le Bangladesh, qui abrite la quatrième population musulmane mondiale par ordre d’importance (126 millions), a choisi d’aller dans une direction diamétralement opposée. On entend surtout parler du Bangladesh lorsque les cyclones et les tsunamis ravagent ses...