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Actualités - OPINION

La parole aux médecins Qu’a vu Psyché en dévoilant l’identité de son amant ?

Par Chawki AZOURI Qu’a vu Psyché lorsqu’elle dévoile l’identité de son amant et le reconnaît, transgressant par là l’ordre que Cupidon lui avait donné de ne jamais le regarder à la lumière ? On peut dire qu’elle a vu la plus belle image d’elle-même puisqu’il s’agit de Cupidon, le dieu de l’Amour lui-même. Or la plus belle image de nous-mêmes, nous l’avons captée pour la première fois dans le visage de la mère parce que tout simplement nous n’avions pas, nourrissons, une quelconque perception de notre être en tant que telle. Cette forme unifiée et originelle de nous-mêmes qu’est le visage de la mère, nous le retrouverons une seconde fois pendant le stade du miroir. À ce moment-là, notre image dans le miroir capte littéralement notre attention et nous en tombons narcissiquement amoureux. Car grâce à cette image de nous-mêmes dans le miroir que nous reconnaissons enfin comme notre image, nous nous séparons pour la première fois de celle de la mère et nous devenons sujet. Ce qui veut dire que, paradoxalement, au moment même où nous devenons sujet parce que nous nous individualisons en nous séparant de l’image de la mère, nous tombons amoureux de notre image dans le miroir et nous en serons à jamais prisonnier. C’est le tribut que nous allons payer, sujet, à notre imaginaire. Le stade du miroir nous permet de vivre une nouvelle naissance : Psyché découvrant le visage de Cupidon « regarde, et regarde encore les traits merveilleux de cette figure divine, et se sent renaître à cette contemplation », nous dit Apulée dans son Conte d’Amour et de Psyché, écrit au IIe siècle de notre ère. Or que s’attendait à voir Psyché en dévoilant l’image et l’identité de Cupidon ? Une bête, un monstre. Consultant l’oracle en début du conte, le père de Psyché, désespéré de constater que sa fille ne trouvait pas époux alors qu’elle était reconnue mondialement pour son exceptionnelle beauté, ce qui rendit envieuse Vénus elle-même, s’entend dire par le dieu Apollon que sa fille était destinée à un dieu monstrueux comme époux. « Son époux d’un mortel n’a pas reçu le jour, il a la cruauté et les ailes d’un vautour ; il déchire les cœurs et tout ce qui respire subit en gémissant son tyrannique empire. » Apollon décrit ainsi le sort funèbre de Psyché, alors qu’elle allait rencontrer le dieu Amour sous la forme de Cupidon. Pourquoi Apollon décrit ainsi la beauté de Cupidon ? Nous allons le comprendre grâce à un autre mythe, celui de la Belle et la Bête. « La peur du mari monstrueux symbolise le dégoût devant la laideur du sexe », nous dit Bruno Bettelheim en analysant le Conte d’Amour et de Psyché. Mais Bettelheim, prisonnier de la première théorie de Freud sur le plaisir, ne se réfère pas à sa deuxième théorie qui est son Au-delà du principe de plaisir et qui fait intervenir « la pulsion de mort » et la « compulsion de répétition », ce qui permettra à Lacan de parler de « jouissance Autre », jouissance féminine, jouissance incestueuse. Ainsi Bettelheim écrit : « Si Psyché a peur et ne veut pas quitter sa famille, c’est par l’abjection du mari bestial qui lui arrachera sa virginité. » Et cette interprétation du conte par Bettelheim est fausse parce qu’elle ne tient pas compte de la dimension funèbre du mariage et du deuil public décrété par la ville qui a voulu témoigner sa sympathie au roi et à sa fille Psyché, qui venaient de connaître l’oracle d’Apollon. Si la mort est associée, au début du conte, au mariage de Psyché avec un monstre, c’est bien parce qu’il s’agit de jouissance Autre qui ne peut mener qu’à la mort, cette jouissance féminine dont Lacan disait qu’elle « peut commencer par une chatouille et se terminer dans un incendie ». Psyché, « de plus en plus éprise de celui de qui l’on s’éprend, se rendit elle-même amoureuse de l’Amour », nous dit Apulée. « Tout en le dévorant de ses ardents baisers, se baissant sur lui la bouche ouverte… et impatiente de toucher aussi ce corps si beau », elle fait tomber une goutte d’huile bouillante de sa lampe sur l’épaule droite du dieu et le brûla : « Faut-il que le dieu qui met le feu partout connaisse aussi la brûlure ? » ajoute Apulée. Nous voilà en plein dans l’incendie, dans la jouissance Autre qui peut mener à la mort, dans cette jouissance féminine, incestueuse qui brûle autant Psyché qu’Amour. Le couple amoureux s’affirme être de plus en plus une résurgence du couple mère-enfant. Le couple mère se cacherait-il derrière celui de la Belle et la Bête ? Cet article poursuit les deux séminaires mensuels ouverts au public que fait cette année Chawki Azouri, dans le cadre de l’enseignement ouvert de la Société libanaise de psychanalyse. Ces deux séminaires sur l’Amour et sur l’enseignement de Lacan auront lieu le jeudi 8 janvier 2009 (de l’Amour) et le jeudi 22 (sur Lacan). Aux Créneaux, Achrafieh, à 19h30.
Par Chawki AZOURI

Qu’a vu Psyché lorsqu’elle dévoile l’identité de son amant et le reconnaît, transgressant par là l’ordre que Cupidon lui avait donné de ne jamais le regarder à la lumière ?
On peut dire qu’elle a vu la plus belle image d’elle-même puisqu’il s’agit de Cupidon, le dieu de l’Amour lui-même. Or la plus belle image de nous-mêmes, nous...