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Actualités - OPINION

La psychologie politique au Liban au chevet de l’État Prof. Antoine MESSARRA

Le « Groupe de recherche et d’action sur la psychologie politique au Liban : perspectives de recherche et d’action », qui vient d’être créé conjointement par quatre associations, répond à un besoin réel du Liban d’aujourd’hui. Le groupe, qui a élaboré au cours d’une première rencontre un plan de travail pour 2008-2011, publiera un recueil documentaire et analytique sur l’état des lieux au Liban en psychologie politique et les priorités du travail. Trois raisons majeures justifient la formation d’un tel groupe, pluridisciplinaire, ouvert à toute contribution, et dont la coordination est assurée par Antoine Corban (Cercle Anna Elefteriades), Antoine Messarra et Marie-Thérèse Khair Badawi (Fondation libanaise pour la paix civile permanente et son « Observatoire libanais et arabe du pluralisme »), Tony Atallah (Association libanaise des sciences politiques) et Bassam Tourbah (Ninar – Espace culturel libanais). Il s’agit des trois raisons suivantes : 1. L’extension des techniques de manipulation politique. Les progrès de la psychologie et des sciences humaines en général sont aujourd’hui le plus exploités dans la persuasion, la mobilisation et même l’endoctrinement politique, plus subtil et apparemment civilisé que celui entrepris par le nazisme et celui décrit autrefois par Georges Orwell. Complexes, peurs, frustrations, dans le subconscient collectif et communautaire et dans des mémoires fragmentées, sont largement exploités au Liban, surtout depuis 2005, au détriment de la paix civile et de l’intérêt général. 2. Le cloisonnement disciplinaire. Des psychologues au Liban s’occupent généralement de psychologie clinique et de psycho-pédagogie. Des sociologues se penchent sur les mutations sociales. Des politologues sont souvent rivés sur des problèmes de Constitution et de régimes politiques. Des éducateurs se limitent à la didactique et à la pédagogie, alors que nombre de comportements politiques au Liban ont leur source dans les tréfonds de la personnalité. Psychologues, psychiatres et psychanalystes s’étaient penchés sur l’impact des guerres au Liban sur les individus et sur des problèmes de psychologie individuelle, alors que ces disciplines, tout comme la psychologie sociale, peuvent contribuer à une meilleure gouvernance de la vie publique. La contribution majeure dans le domaine a été celle de Mounir Chamoun(1), suivi d’un essai de psychologie historique à partir des correspondances diplomatiques publiées par Adel Ismail(2). 3. Des priorités libanaises. L’unité du Liban n’est pas un problème exclusivement géographique, mais dépend aussi d’une perception globale de l’espace. La consolidation de l’État ne dépend pas seulement d’une Constitution et d’une « formule », mais d’une volonté étatique et d’une culture de la chose publique. L’effectivité du droit ne dépend pas exclusivement de la qualité des lois, mais aussi d’une culture de légalité. La souveraineté d’un petit pays ne dépend pas seulement de la reconnaissance internationale et de garanties extérieures, mais aussi d’une culture de prudence à l’égard de l’ennemi, frères, sœurs, cousins et autres parentés réelles ou équivoques. La paix civile au Liban, malgré un patrimoine séculaire de convivialité et une expérience riche et douloureuse de souffrances partagées et de performances communes, est ainsi toujours menacée par des aventuriers (mughâmirîn) et des parieurs (muqâmirîn), comme il s’est avéré après le traumatisme national et salutaire du 14 février 2005, date du big-bang terroriste contre le président Hariri, où les Libanais ont – enfin – senti concrètement qu’ils sont tous en danger et que ce danger n’épargne personne. Fallait-il un tel cataclysme pour provoquer un réveil national tant attendu ? Les principaux champs d’investigation prioritaires en psychologie politique au Liban sont : – L’esprit politique. – Le rapport au sacré et ses impacts sur les comportements. – La mémoire et la psychologie historiques ou psycho-histoires et l’histoire des mentalités. – L’espace public : les comportements dans la cité, rapport à l’autorité et à la loi, perception de l’État, perception de l’espace géographique, psychologie fiscale, psychologie de la chose publique… – La manipulation politique : les phénomènes de manipulation et de mobilisation dans la compétition politique, notamment de la peur, du subconscient refoulé de dhimmitude, de frustration… Individualisme et politisation Cependant, le grand problème est que nous tous, psychologues, sociologues, politologues, juristes, éducateurs, journalistes, avons des approches individuelles ou trop politiques. Or la psychologie et la psychologie politique en particulier exigent une distance analytique par rapport à l’ego et par rapport aux enjeux de pouvoir. La psychologie analyse en effet les tréfonds de la personnalité, les perceptions, motivations, refoulements, peurs, frustrations. Ce fut la principale dérive, lors de la première réunion du groupe, où des observations sur telle ou telle formation, organisation, communauté, à titre simplement d’exemple, a suscité des débats polémiques comme ceux qu’on entend dans des discours ambiants, académiques ou populaires. La psychologie politique exige ainsi un double apprentissage : la distance par rapport aux enjeux conjoncturels du pouvoir et la dimension du collectif national, de l’espace public et non plus de l’ego. Or, la psychologie au Liban a été trop individuelle et individualisée. Quant à la politique, et même la science politique, elle a été souvent polémique et formaliste. La psychologie politique serait une branche de la psychologie sociale. Pourquoi cette dernière discipline n’est-elle plus de mode comme dans les années 1960 ? On a été trop porté vers l’individualisme psychologique et vers la psychologie de la communication et de la persuasion publicitaire et politique aux dépens du sens du public et de la cité. Il y a un besoin de réorientation, surtout au Liban. Des psychologues s’étaient en général penchés sur les effets de la guerre sur le psychisme. Il s’agit là de psychologie générale qui constitue l’étude scientifique des faits psychiques. La psychiatrie, discipline médicale, va plus loin dans l’étude et le traitement des maladies mentales. Les problèmes de psychologie historique, d’histoire des mentalités et de mémoire doivent davantage recourir à la psychanalyse politique en tant que méthode d’investigation qui cherche à élucider la signification inconsciente des conduites et dont le fondement se trouve dans la théorie de la vie psychique formulée par Freud. À quoi servent des études constitutionnelles et politiques au Liban tant que les comportements politiques sont souvent régis, au Liban et dans les autres pays arabes, par l’irrationnel ? Problématique par nature interdisciplinaire et qui n’empiète sur le domaine d’aucune discipline en particulier. La collaboration de spécialistes connus et d’acteurs sociaux ne peut que l’enrichir. Le groupe tiendra, en mars 2009, sa seconde réunion annuelle élargie. Le défi pour la psychologie politique au Liban ? Aller au-delà du juridisme, du constitutionnalisme, du sociologisme idéologique, du didactisme, du psychologisme individualiste, des enjeux conjoncturels de pouvoir… Vaste chantier en faveur de l’État de droit et de l’espace public commun et partagé. (1) Mounir Chamoun, « Psychologie de l’ethnotype libanais », Travaux et Jours, n° 30, janvier-mars 1969, pp. 71-80. (2) A. Messarra, « Les données de la psychologie politique », ap., A. Messarra, Le modèle politique libanais et sa survie, Beyrouth, Université libanaise, 1983, 534 p., pp. 203-260.
Le « Groupe de recherche et d’action sur la psychologie politique au Liban : perspectives de recherche et d’action », qui vient d’être créé conjointement par quatre associations, répond à un besoin réel du Liban d’aujourd’hui. Le groupe, qui a élaboré au cours d’une première rencontre un plan de travail pour 2008-2011, publiera un recueil documentaire et...