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Actualités - CHRONOLOGIE

Rencontre - Du théâtre à la peinture, choisir l’enfance sans y retomber Pour Wajdi Mouawad, une année théâtrale dense Aline GEMAYEL

C’est l’année théâtrale Wajdi Mouawad. Année de consécration pour cet auteur, metteur en scène, comédien québécois d’origine libanaise. Après le beau triomphe qui lui a été fait à Avignon pour sa dernière création « Seuls », reprise au Théâtre 71 de Malakoff jusqu’au 30 novembre, et l’adaptation d’un autre de ses textes « Ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face » en ouverture de la saison 2008/2009 du Théâtre de la Ville à Paris, Wajdi Mouawad prépare le Festival d’Avignon 2009, dont il est l’artiste associé. Discussion à bâtons rompus dans les bureaux du Théâtre 71 à Malakoff. Cheveux frisés noirs, petites lunettes rondes d’intellectuel, gros chandail à col roulé, Wajdi Mouawad s’exprime avec calme et pondération, pesant chaque mot, le répétant, l’affinant comme si, ce faisant, il cherchait à en extraire le sens le plus juste. Comme s’il cherchait à s’en convaincre lui-même avant de l’offrir à son interlocuteur. Se méfiant de toute tentative d’aplanir les mots, les situations, les êtres… Première question, inévitable, celle de l’identité. Est-il libanais, montréalais, français? Libanais de naissance, Français d’adolescence et Montréalais de maturité… L’identité ne peut se limiter pour lui à un lieu géographique. « Je me suis rendu compte que rentrer dans un rapport nominatif d’un pays, d’une région, ça ne fonctionne pas. La nomenclature régionale n’apporte pas de réponse. C’est plus compliqué que cela.» La définition qui lui convient le mieux : « Un Méditerranéen d’Amérique du Nord.» Pour Mouawad, la définition est ainsi placée « d’un point de vue identitaire et non plus national. C’est une définition qui commence à avoir du sens », estime-t-il. Et si on affine, comme il aime tant à le faire, c’est le ressenti qui fonde l’identité. Cette triple schizophrénie identitaire ne le stresse plus depuis qu’il a compris « qu’on vit tous des “non-advenus”. Dans ma vie, ce qui n’adviendra pas, c’est l’identification à un territoire, l’attachement à un territoire. Depuis que j’ai nommé cela, le stress de cette situation est parti.» Quand la guerre qui ravage le Liban éclate, ses parents décident de quitter le pays, il n’a que huit ans. La famille passe quelques années en France. Wajdi a 14 ans quand il faut refaire les valises, direction Montréal. «On m’a embarqué pour la France, puis pour le Québec sans rien m’expliquer, sans rien me dire, dans le silence le plus absolu…», se souvient-il. Et un matin, je me réveille en me disant : mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? » Et presque naturellement, « vous vous rendez compte, à un moment donné, que vous avez des attachements à différents lieux, mais pas d’attachement monogéographique. Par exemple, je ne suis pas attaché au Liban dans son ensemble, mais à un quartier au Liban, dans mon village, trois rues, un jardin, une maison. Il faut faire attention, là encore, à ne pas aplanir les choses. Je ne suis pas attaché au Canada, mais à Montréal. Plus je précise, plus j’atteins une justesse, plus je me sens en accord avec une sensation, plus je suis calme.» Ce qui l’attache à ces rues, c’est qu’elles deviennent «une courroie de transmission avec votre mémoire. Le lieu est important, tout comme il vous fait vous souvenir de votre propre enfance, il a fait se souvenir de leur propre enfance votre père, votre grand-père… ce même lieu a été une courroie de transmission de plusieurs mémoires superposées. Lorsque vous êtes dans cette courroie de transmission, vous savez que vous utilisez la même courroie que vos ancêtres. C’est une chaîne, c’est un rapport au présent. Je suis là sans nier ce qui a été avant. Ce présent existe grâce à ce qui a été avant. C’est tout le travail de sens. Vous êtes là devant un figuier, vous savez que ce figuier a 150 ans, et vous savez que sur 4 générations, ils ont tous senti la même odeur que vous, exactement la même odeur. Quand vous la retrouvez 30 ans plus tard et qu’elle vous rappelle l’enfant que vous étiez, vous savez que c’est la même chose pour vos parents et pour les générations avant. C’est là où le lieu devient courroie de transmission. Ma courroie de transmission par rapport à la mémoire est diverse, pas unique. Elle se passe dans des lieux différents, dans des langues différentes… il faut démêler tout cela.» Festival d’Avignon C’est tout ce travail de recherche sur la mémoire, sur l’identité qui a amené Wajdi Mouawad en Avignon. Après avoir présenté Seuls, une création pour le Festival In d’Avignon 2008, Mouawad devient artiste associé du festival pour l’édition 2009. « L’artiste associé est un artiste comme les autres, il a juste une relation privilégiée avec les directeurs », explique Wajdi Mouawad. C’est le regard que porte sur le théâtre l’artiste associé qui imprègne le festival, « mais il n’est en aucun cas associé au choix des artistes qui sont programmés. Cela c’est le travail des directeurs du festival, précise-t-il. Les directeurs du festival s’attachent à une manière de regarder le théâtre. Il n’y a pas une seule manière de le faire. Ils essayent de varier le regard en passant d’un metteur en scène à un chorégraphe, à un plasticien, à un auteur, à une actrice, etc. C’est à chaque fois un angle totalement différent. Et la manière avec laquelle ils échangent avec l’artiste associé va énormément influencer leurs choix. Ça se prépare en discutant beaucoup, en parlant beaucoup, en ayant une relation très suivie, très régulière.» Dans cette même logique, Wajdi Mouawad ne dévoilera pas le thème sur lequel il travaille, estimant ne pas pouvoir «dévoiler le programme 2009 du festival, même s’agissant de mes propres spectacles». Après Littoral, Incendies et Forêts, des pièces créées en partenariat avec toute une équipe de comédiens, Wajdi Mouawad passe à une création solo, plus personnelle. Avec Seuls, il est auteur, metteur en scène et acteur. Il se retrouve seul sur scène pendant deux heures. Et le spectateur assiste à une métamorphose: celle de Harwane – le jeune thésard libano-canadien – qui se dépouille petit à petit de la parole, comme d’une peau encombrante, pour aller au plus près de l’être. Comme si son débit verbeux se tarissait, cédant la place à un rapport plus essentiel, plus charnel au monde. Passer de la parole à la peinture, dans une sorte de tentative de reconnexion avec l’enfance. «Il y a ce qui me concerne, mais il y a aussi l’objet en tant que tel, explique Mouawad. Un exemple: un jour, j’ai regardé un de ces poteaux électriques et j’ai pris juste conscience d’une chose: ce poteau avait été un arbre avec des branches, dans une forêt au milieu d’autres arbres. Et là, il n’avait plus de branches et il était planté dans le béton. J’ai eu le sentiment que les gens sont comme cà, comme les poteaux plantés là dans le béton. C’était des arbres au milieu d’une forêt, et il s’était passé quelque chose: la vie, les difficultés, le désarroi, la peur, l’insécurité, l’inquiétude, le désir de sécurité… une sorte de domestication de l’être sauvage qui s’est faite aux dépens de beaucoup de choses, aux dépens d’une forme d’enchantement. On dit, il faut bien élever les enfants, la vie est dure… Je veux remettre en cause tout ce discours là. Le spectacle parle de façon générale du rapport au monde du sensuel, à la couleur, à la féerie des choses, du jaune, du rouge, du bleu… Mais sur un plan privé, le spectacle est parti de la prise de conscience qu’un jour j’ai arrêté de peindre alors que j’étais fait pour peindre.» Concrètement, explique Wajdi Mouawad, «quand je suis là en train de peindre sur scène, que je prends le pot de peinture blanche et que je me le verse sur la tête, ce n’est pas un gamin qui le fait mais un adulte, un type de 40 ans, responsable, qui paie ses factures, qui a un enfant, qui est père de famille. Quand je fais cela, en tant que tel le geste veut dire mais pourquoi on ne fait plus ça?» Les réactions du public sur cette pièce portent souvent sur la dernière partie, celle où Harwane se met à peindre, avec douleur d’abord puis avec joie et frénésie, se roulant dans la peinture, y puisant une sorte de libération jubilatoire. «Pourquoi on ne fait plus ça ? C’est joyeux, c’est super de se rouler dans la peinture», affirme Mouawad. «On me dit : que vas-tu dire à ta fille quand elle aura 4 ans et qu’elle voudra peindre sur les murs! Tu ne pourras rien lui dire», raconte Wajdi Mouawad. Et de rétorquer amusé: «Je lui dirais… mais enfin mets du bleu, arrête de ne mettre que du jaune (rires…) Je l’encouragerais, je peindrais avec elle.» La peinture Du coup, il ne rêve plus que de peinture. «Un jour, je me suis posé la question de savoir où j’avais envie d’être à 50 ans. Je me suis dit que je ne voulais plus être avec des gens, mais dans un endroit fermé, clos… Plus j’avançais, plus je me disais que cet endroit c’est un atelier de peinture. Je sais que dans 3 à 4 ans, j’aurais fini les projets que j’ai en tête et en cours. Je ferais alors ça. » N’y a-t-il pas une prise de risque dans ce genre de recommencement? «Mon désir le plus profond: être dans un lieu, m’y enfermer tous les jours, y peindre, conduire ma fille à l’école tous les matins, puis venir m’y enfermer et travailler, puis aller chercher ma fille à l’école, faire ses devoirs avec elle, puis jouer avec elle, qu’on aille pique-niquer… faire cela pendant des années. Ne plus être dans la direction d’acteurs. Être dans un truc fait de silences et de sensations. C’est un choix. Je crois que pour pouvoir rester enfant, il faut avoir fait le tour de la question de ce que c’est qu’être un adulte, se prouver à soi-même qu’on est capable d’être un adulte, d’être actif dans le monde, de pouvoir tenir un discours, réfléchir, penser. Une fois qu’on a fait le tour, on peut faire le choix de rester enfant. Ce n’est alors pas une incapacité d’être un adulte, c’est un choix. Après m’être prouvé que je peux être adulte, je choisis l’enfance. À ce moment-là, c’est une enfance qui peut être féroce, entière.» Et de conclure: «Ça m’angoisse beaucoup quand je vois toutes ces mises à mort de l’âme ; quand j’entends dire: “C’est comme ça, mais je suis obligé de la tuer.” Ce que j’ai le plus envie d’apprendre à ma fille, c’est qu’il y a ce choix-là. Quel risque il y a pour moi à faire cela? Aucun.» Et la certitude de vivre une expérience métaphysique et humaine hors des sentiers imposés…
C’est l’année théâtrale Wajdi Mouawad. Année de consécration pour cet auteur, metteur en scène, comédien québécois d’origine libanaise. Après le beau triomphe qui lui a été fait à Avignon pour sa dernière création « Seuls », reprise au Théâtre 71 de Malakoff jusqu’au 30 novembre, et l’adaptation d’un autre de ses textes « Ni le soleil ni la mort ne...