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Actualités - OPINION

Traduisez, s’il vous plaît ! L’analyse d’Élie FAYAD

S’il y a une leçon universelle à tirer de la victoire de Barack Obama, c’est que la politique n’est pas que « l’art du possible », comme beaucoup le professent. Il est à présent démontré qu’elle peut être parfois, comme on l’a déjà dit, « l’art de rendre possible ce qui est souhaitable ». En l’occurrence, au regard de la volonté de changement, de rajeunissement et d’ouverture exprimée par l’électorat américain, il était souhaitable que le facteur racial, longtemps déterminant, voire décisif, dans le processus d’ascension sociale aux États-Unis comme partout dans le monde, ne soit plus un obstacle. C’est chose faite. Barack Obama n’a pas été élu président des États-Unis parce qu’il est noir, mais parce que aux yeux d’un large pan de la société américaine, le fait pour un candidat à la présidence d’être noir ne constitue plus un facteur de dissuasion. Le vote afro-américain, massif en faveur du candidat démocrate, a certes compté, mais même additionné aux suffrages des autres minorités du pays, notamment les Latinos, il n’aurait pas suffi pour ouvrir la voie jusqu’à la Maison-Blanche, pas même jusqu’à l’investiture du parti. Tout ce que l’Amérique compte de progressistes s’est jeté dans la bataille. À côté des terres démocrates traditionnelles, comme New York et la Nouvelle-Angleterre (Massachusetts, Vermont, New Hampshire, etc.), toutes les grandes villes des États-Unis ont voté Obama, y compris dans les États qui sont allés dans l’escarcelle de son adversaire de droite, John McCain. Ce dernier n’a vraiment dominé que dans les zones rurales, nécessairement conservatrices. L’avantage a même tourné au plébiscite dans les villes-phares du progressisme américain, à l’instar de San Francisco, où Barack Obama dépasse les 80 % des voix. Comment en est-on arrivé là ? Certes, il n’y a rien de forcé dans cette évolution de l’électorat américain, fruit d’une mutation sociale profonde et… pas si lente que cela. Il y a moins d’un demi-siècle, les Noirs américains en étaient encore à gagner dans la douleur la bataille des droits civils, aidés à l’époque par une administration démocrate qui, elle aussi, secoua les fondements puritains et conservateurs de l’Amérique, d’abord sous John F. Kennedy, puis sous son successeur Lyndon Johnson. Mais les deux décennies suivantes furent celles des désillusions, de l’Amérique à deux, voire trois vitesses, du « rêve américain » fracassé contre la barbarie de la course effrénée à l’argent et de son corollaire naturel, la violence urbaine. Puis vint l’ère des remises en question, de la maturité. Un mouvement de pensée commençait à prendre corps au sein des communautés afro-américaines contre la complaisance et le misérabilisme et en faveur d’une citoyenneté responsable à part entière. On alla même jusqu’à remettre en cause la validité de l’« Affirmative Action », cet aménagement par lequel on attribue des quotas aux candidats issus de certaines minorités ethniques dans les administrations, les universités, etc. afin de compenser dans la mesure du possible l’énorme fossé les séparant des Blancs en matière de compétences. Certains reprocheront à l’« Affirmative Action » d’encourager les Noirs à rester dans le peloton arrière. Dans le même temps, la société américaine dans son ensemble amorçait un virage à droite, illustré notamment par la multiplication des mouvements à caractère religieux et ultraconservateur. Cette tendance allait être amplifiée par le séisme du 11 septembre 2001, l’argument sécuritaire venant s’ajouter à une vision de plus en plus manichéenne du monde. Aujourd’hui, l’accession d’un homme comme Barack Obama à la présidence marque la fin d’une époque. Avec lui, une certaine Amérique progressiste célèbre triomphalement son retour, d’abord au sein du camp démocrate, puis, à la faveur sans doute d’une crise financière sans précédent dans le monde, au niveau de la nation. La victoire sur le puritanisme sera peut-être durable. Mais c’est un progressisme enrichi des leçons et extirpé des erreurs passées que Barack Obama apporte avec lui à la Maison-Blanche. « Nous allons mettre fin à l’ère des irresponsabilités », disait-il il y a quelques jours encore, en clôture de sa campagne. Toutes les irresponsabilités, toutes les dérives : celles de l’argent-roi autant que celles de l’État-providence. Il reste la leçon essentielle à tirer de l’immense événement : « La politique est l’art de rendre possible… » Car ce qui frappe le plus l’œil étranger lorsqu’il observe l’Amérique, c’est bien cette absence de blocages irrémédiables, cette capacité à traduire aussitôt dans les faits – et au plus haut niveau – toute évolution sociologique qui s’y produit. Les slogans sont certes réducteurs, mais on pourrait quand même ajouter à la traditionnelle devise américaine, « E Pluribus Unum », ce constat : « We can deliver ». À l’autre bout de la planète, il est un petit pays qui souffre très précisément de ne pas avoir du tout cette capacité. Tout n’y est pourtant pas figé. Au contraire, ce pays, qui ne manque nullement de vitalité, connaît lui aussi d’importantes évolutions, surtout en comparaison avec le désert environnant. La révolution du Cèdre en fut l’illustration la plus vivante. Sauf que dans ce pays, on manque cruellement de traducteurs…
S’il y a une leçon universelle à tirer de la victoire de Barack Obama, c’est que la politique n’est pas que « l’art du possible », comme beaucoup le professent. Il est à présent démontré qu’elle peut être parfois, comme on l’a déjà dit, « l’art de rendre possible ce qui est souhaitable ».
En l’occurrence, au regard de la volonté de changement, de...