« Le réel est étroit, le possible est immense »
(Lamartine)
Tout être humain s’est plaint durant sa vie d’avoir raté sa chance d’améliorer son existence. L’expression du genre « si j’avais... » ou « si je savais… » se répète sans cesse. Ce qui est valable pour l’individu devient phénoménal pour la société.
Pour consacrer le caractère irrévocable de notre capitulation, nous lui accordons une nature métaphysique. C’est alors la « destinée », le « maktoub », le « zaher », la « volonté divine », etc.
Il faut remarquer que le « si » dans ce contexte est toujours utilisé avec un verbe au passé.
N’est-il possible d’envisager une approche réaliste partant de la nature des choses ? Ne sommes-nous pas capables de tracer nos itinéraires ou au moins de nous orienter vers nos aspirations ? Définitivement, c’est faisable. Mais il serait indispensable de penser en partant du présent. Il est possible, même plus simple, d’utiliser le fameux si conditionnel avec le verbe au présent : « Si je fais… si j’ai… etc. » Prévoir le futur ; essayer de s’y préparer tout en s’inspirant du passé.
Le Liban a connu des temps altérés avant d’arriver à son état actuel. La fin de l’Empire ottoman fut précédée par une agonie prolongée à cause des négociations et des compétitions entre héritiers et prétendants. Cette période était décisive et a abouti à la carte politique de la région, y compris celle du Liban.
La recherche d’une continuité historique de l’entité libanaise revêt d’une complexité difficile, tenant compte des changements politiques et des disparitions ou des montées d’empires et de civilisations entières et par voie de conséquence des perturbations qui en résultaient.
À la veille de la déclaration du Grand Liban, les frontières de cette entité « rétablie » variaient selon les conjonctures et les rapports de force entre les deux puissances intéressées (la France et la Grande-Bretagne), avec une influence négligeable des conflits locaux. Mais la conception primordiale des négociations subsistait, la création d’un État viable où les chrétiens d’Orient pourraient s’épanouir, sans conflits avec un entourage majoritairement musulman.
Les communautés qui constituaient la population du Liban ont adopté des positions différentes pour ce qui est de la reconnaissance et de l’identification de ce phœnix ressuscité.
L’analyse des événements et des conditions historiques qui ont abouti au Liban actuel n’est pas l’objet de cet article. Une telle analyse et ses conclusions sont et seront longtemps le sujet d’une vive polémique, reprise à chaque événement local ou régional.
C’est plutôt le futur de ce Liban qui en est l’objet. Malheureusement, les habitants de ce pays n’ont pas réussi jusqu’à présent à établir une entente cohérente quant à une appartenance patriotique. Les Libanais ont toujours un certain ordre d’appartenance qui situe celle-ci, patriotique ou nationale bien après une série d’affiliations religieuses, communautaires, confessionnelles, régionales, claniques, etc.
Les crises successives qui ont ravagé le Liban et qui ont causé des guerres civiles ouvertes ou déguisées sont une conséquence, entre autres, de l’absence ou de la faiblesse de ce sentiment d’appartenance patriotique et de l’absence totale de cette primauté de l’identité libanaise.
Le triste paradoxe est que toute force « politique », en réalité l’expression politique d’une communauté, ne se lasse de répéter sa fidélité absolue à l’identité libanaise, tout en contribuant à la perpétuation de ses crises existentielles. Ces proclamations ne sont que le reflet d’un Liban conçu conformément aux prétendus droits et intérêts de tel ou tel groupe politico-communautaire.
Les tensions dues à ces conflits d’identité, bien manipulées et utilisées dans les confrontations géopolitiques régionales et internationales, mènent cette entité fragile à la limite de son explosion. Les moyens de mobilisation, employés par les acteurs internes et externes s’adressent à l’appartenance plutôt instinctive des individus et des groupes à ces communautés. Le discours, généralement dogmatique et populiste, faisant appel aux croyances religieuses provoque une haine de « l’autre » considéré comme un ennemi de la foi. Ainsi, toute discussion ou intervention raisonnable ne peut qu’être anéantie par la tumulte des masses déjà enflammées.
C’est un grand défi posé à ce qui reste de l’élite intellectuelle et culturelle libanaise afin de récupérer son rôle au milieu de cette cacophonie sans fin. Le silence, parfois même cette sorte d’indulgence forcée par des réalités politiques ou existentielles, ne serait qu’une contribution à la défragmentation du Liban.
Ce Liban est indispensable plus que jamais par sa spécificité multiculturelle pour l’ensemble de cette région suppliciée afin de restituer les valeurs de liberté, de démocratie et de tolérance, et pour anéantir à jamais le despotisme qui a dominé ses peuples durant des siècles. Le Levant a contribué depuis l’Antiquité à créer une partie majeure du patrimoine culturel et spirituel de l’humanité. Il est impératif de s’atteler de nouveau à cette noble œuvre dans un monde tourmenté et désorienté par l’absence de visions et de visionnaires.
Les débats peuvent s’inspirer de l’héritage de Gebran Khalil Gebran, Kamal Joumblatt, Michel Chiha, Moussa Sadr, Mohammad Mahdi Chamseddine, Abdallah el-Alayli et tant d’autres qui ont contribué aux efforts visant à unir les Libanais en tant que citoyens de plein droit dans une patrie finale, le Liban.
Les démocrates libanais ont été et sont toujours témoins et participants actifs aux événements les plus importants dans l’histoire du Liban contemporain. Cette élite intellectuelle est capable de relever le défi face à des politiciens qui, dans leur majorité, intriguent sans scrupules pour profiter du confessionnalisme et pour le maintenir. L’intelligentsia peut, grâce à plusieurs décennies de lutte acharnée pour la liberté et la démocratie, ramener l’opinion publique à la raison et la convaincre du danger représenté par une apocalypse qui nous menace tous au rythme où se déroulent les événements.
Un effort collectif de tous, riche par leur diversité mais aussi par la compréhension de l’autre, serait une contribution digne de l’avenir au lieu de ces marchandages de bazar oriental.
La pensée a toujours guidé l’humanité vers de nouveaux horizons. Ne serons-nous pas capables de, simplement, retrouver notre chemin ?
Amin Maalouf écrit dans Origines : « L’histoire a souvent tort ; mais notre lâcheté de mortels nous conduit à expliquer doctement pourquoi ses décrets étaient justes, pourquoi ce qu’était arrivé était inéluctable et pourquoi nos nobles rêves méritaient de crever. »
Jihad CHAMAS
Baalbeck
Article paru le samedi 1er novembre 2008
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