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Actualités - OPINION

Pour que deux options ne fassent pas deux nations

On aura répété à l’envi, ces derniers mois, l’aphorisme de Georges Naccache, plus que mi-séculaire, dans lequel il affirmait que « deux négations ne font pas une nation ». Il s’agissait à l’époque de deux renoncements à des allégeances ou à des fictions d’appartenance organique, soit à l’Occident chrétien représenté par la France, alors puissance mandataire, soit à l’Orient islamique incarné par une Syrie qui déjà se proposait d’engloutir un Liban qui lui avait été arraché par les accords Sykes-Picot (1916) puis lors de la constitution de l’État du Grand Liban, à la fin de la Première Guerre mondiale et à la suite de l’effondrement de l’Empire ottoman (1920). Ce sont ces deux renoncements, considérés comme négations par Naccache qui ne pouvaient suffire à cimenter une nation ou à créer un sentiment d’appartenance commun, à partir de 1943, alors que tant de paramètres pour définir une nation, faisaient encore défaut. Plus d’un demi-siècle plus tard, à un certain 14 mars 2005 et dans la ferveur d’une foule compacte rassemblée place des Martyrs, convertie en place de la Liberté, on a crié victoire et célébré, par anticipation plus naïve qu’optimiste, la rencontre de deux affirmations qui allaient désormais faire une nation. C’était ne pas compter avec les très nombreuses contradictions de la vie collective libanaise et ne pas prendre la mesure de la profondeur de la fracture politique et sociale, baignée dans le sang au long de décennies de conflits, de déchirements, de massacres et de destructions. C’était ignorer également les luttes inter et intraconfessionnelles séculaires ayant laissé des traces dans la conscience collective, nourrissant des désirs de vengeance et fait le lit de préjugés sociaux proches des réflexes et des réactions racistes que l’émotion unificatrice d’un moment ne peut oblitérer même si un million et demi de mains ont agité, une journée durant, le seul et même drapeau. Aujourd’hui, après l’inapplication flagrante des accords de Taëf, le démembrement systématique des institutions de l’État par l’occupation syrienne, avec la complicité évidente des fossoyeurs libanais, amis de la dictature baassiste, les Libanais se trouvent devant deux options radicalement divergentes pour ne pas dire totalement opposées. Appuyées sur des connivences et des alliances étrangères, directes ou indirectes, ces options expriment deux visions de la destinée finale du pays auxquelles il convient de réfléchir durant les quelques mois qui nous séparent théoriquement d’une échéance législative déterminante. Il est peut-être temps, soixante-cinq ans après l’indépendance du pays, que l’essence de son orientation soit définie et que des notions simples comme terre, pays, patrie, nation, régime démocratique, Assemblée nationale, État, gouvernement aient un contenu identique pour l’ensemble des citoyens, destinés à partager un sort commun, dans des convictions proches au sein desquelles pourraient prendre place des divergences politiques et des variations saines dans le registre de l’art de gouverner, comme c’est le cas dans la majorité des pays civilisés. La première option, appelons-la souverainiste, est celle qui proclame haut et fort le devoir de garder un Liban indépendant, maître de ses décisions internes, libéré notamment de la tutelle syrienne, équidistant des courants opposés et meurtriers qui divisent le monde arabe. Je sais qu’il s’agit là d’une position idéale, quasiment théorique, les indépendances absolues étant fort difficiles à concrétiser dans notre monde actuel au point qu’on continue à parler, même après la chute des rideaux de fer et des murs, d’indépendances relatives. Les faiblesses du courant souverainiste tiennent à ses alliances directes et indirectes. Mais on comprend fort bien le désir de ce courant de se protéger contre les appétits gloutons des uns et des autres et les menaces constantes qui pèsent sur notre destin. Mais si la protection en provenance de l’Union européenne pourrait paraître désintéressée, notamment celle de la France amie séculaire du Liban, de quelle efficacité peut-on la créditer ? Quelle confiance accorder au protecteur américain qui n’a d’autre éthique que celle dictée pragmatiquement par ses intérêts et ses fantasmes hégémoniques ? Comment croire à une politique de renforcement de la démocratie et des droits de l’homme, alors qu’historiquement les États-Unis ont soutenu, çà et là, les pires dictatures et les régimes les plus opposés au respect simple et évident de la personne humaine ? Les Libanais ne sentent-ils pas toujours que l’ami américain pourrait les « vendre » au premier venu, si telle est sa vision du moment ? Le précédent de la tutelle syrienne, bénie par Washington, et son silence pendant plus de trente-trois jours lors de la destruction de l’infrastructure routière et énergétique de notre pays en juillet 2006 ne sont-ils pas suffisants pour instruire les souverainistes pro-occidentaux ? Prochain article : Repenser l’ensemble de la formule libanaise
On aura répété à l’envi, ces derniers mois, l’aphorisme de Georges Naccache, plus que mi-séculaire, dans lequel il affirmait que « deux négations ne font pas une nation ». Il s’agissait à l’époque de deux renoncements à des allégeances ou à des fictions d’appartenance organique, soit à l’Occident chrétien représenté par la France, alors puissance...