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Actualités - OPINION

Psychologues, psychiatres et psychanalystes au chevet du pays I- Les trois complexes du Libanais

Des formes de mobilisation, de manipulation des esprits, des discours qui rappellent les propos aussi simplistes qu’apparemment logiques d’un Goebbels, durant la période nazie, incitent à une analyse en profondeur à propos d’un mal libanais au-delà du constitutionnalisme ambiant et des joutes politiciennes. Le Libanais, qui jouit de qualités mondialement reconnues de culture, de capacité d’adaptation, de résistance, de convivialité, d’attachement aux libertés… souffre en politique de trois complexes. Dans les moments de tension, de crise et de conflit – moments fréquents depuis surtout l’accord du Caire en 1969 et ses séquelles directes et indirectes jusqu’aujourd’hui, des experts en manipulation viennent remuer un subconscient enfoui dans les tréfonds du psychisme libanais. Malgré le cumul d’expériences, aussi douloureuses que riches, qui ont fait éclater le Printemps de Beyrouth à la suite de l’attentat terroriste contre le président Hariri et des autres attentats en cascades, expériences qui ont débouché sur un traumatisme salutaire à l’égard des frères, sœurs, cousins et autres parentés réelles ou équivoques, il s’est trouvé des politiciens, à la fois musulmans et chrétiens, dont l’assise populaire se fonde sur l’exploitation de trois complexes dans le subconscient de la psychologie historique du Libanais. * * * Premier complexe, celui d’infériorité?: Par suite d’une psychologie historique, qui a certes ses fondements, mais qui n’a pas été épurée et rationalisée depuis l’accession à l’indépendance, le Libanais, malgré sa singularité reconnue dans maints domaines, souffre d’un complexe d’infériorité à l’égard de sa libanité pour le musulman et, pour le chrétien, de son arabité, de son nationalisme, de son hostilité radicale à l’égard de l’ennemi israélien. Le Libanais est ainsi perpétuellement agressé, malgré toutes les preuves tangibles et jusqu’au martyre, par des manipulateurs qui l’accusent de manquer de libanité, d’arabité, de fraternité arabe, d’hostilité radicale à l’égard de l’ennemi. Le débat politique libanais se trouve presque totalement concentré sur des accusations mutuelles de trahison (takhwîn) et des doutes permanents quant à l’allégeance (walâ’) des uns et des autres, sur des surenchères (muzâyadât) sans fin. Rien ne sert d’exposer des faits, des preuves du contraire, les risques que chacun a concrètement encourus pour la libanité authentique (asâla), l’arabité, la cause palestinienne, l’apport à l’arabité et à la renaissance arabe d’autrefois, et le combat contre Israël… Le Libanais engage ainsi un débat rationnel. Or la manipulation politique joue sur l’irrationalité, les perceptions, le subconscient. Il s’agit de remédier à un mal psychique clinique, celui du complexe d’infériorité, véhiculé par des mémoires communautaires malades. Le même complexe d’infériorité pousse les Libanais à être «?en permanence dans l’expectative d’un changement extérieur?», comme le soulignait un ambassadeur d’un État européen, aux dépens des exigences banales d’une administration des problèmes quotidiens de la vie publique. On dirait que même le trou béant sur une chaussée doit attendre le règlement du conflit du Moyen-Orient, la mise en marche du tribunal international, l’organisation des prochaines élections…? Certes le Liban est au carrefour de tous les conflits de la région et des mutations dans les rapports internationaux, mais des politiciens en font l’exploitation dans une débrouillardise à la libanaise (shatâra). On dirait que le Libanais, comme le soulignait Ghassan Tuéni, par le fait d’une psychologie historique, a toujours besoin d’une Sublime Porte1. Le complexe d’infériorité, le manque de confiance en soi, la tendance à la subordination de Libanais peu autonomes, expliquent aussi la propension au paternalisme et au clientélisme, ce qui rend la manipulation d’un subconscient atavique encore plus opérationnelle. Le complexe psychique d’infériorité a été manipulé au maximum par une force politique dont l’idéologie se base sur la formulation simpliste suivante à l’adresse de chrétiens qui refoulent un subconscient de dhimmitude (protection dans l’histoire islamique)?: Le sunnisme étant changeant, aléatoire, et en régression par rapport au chiisme dans la région, la «?protection?» des chrétiens réside dans une alliance avec de nouveaux courants chiites locaux et régionaux?! C’est dire que le complexe d’infériorité opère même chez des chrétiens libanais qui agissent, ou plutôt réagissent, à la manière de coptes d’Égypte ou d’autres minorités de la région2. Le raisonnement stratégique est une autre affaire. Le subconscient de dhimmitude opère dans la psychologie historique du minoritaire chrétien pour justifier en pratique des aventures, des collaborations et des dérapages. Complexe d’infériorité aussi ou honte d’intellectuels libanais face au système «?confessionnel?» libanais au point que si, en constitutionnaliste pragmatique et comparatif, vous procédez à l’analyse du régime politique libanais, vous êtes accusé de «?vanter le caractère génial de la formule libanaise?» (al-sigha al-fazza). Même Michel Chiha n’a pas été épargné par un tel reproche de la part d’auteurs «?progressistes?». Même la Fondation Michel Chiha n’a souvent fait appel qu’à des auteurs?«?progressistes?» pour éviter le reproche de traditionalisme et montrer le profond progressisme, de la pensée de Michel Chiha. L’analyse rationnelle est une chose, alors que la honte d’intellectuels à propos du système «?confessionnel?» libanais est un problème psychologique. En 2005, il s’est produit un réveil national à l’encontre du complexe d’infériorité, dans la psychologie historique collective des chrétiens et des musulmans. Réveil qui s’est exprimé par cette affirmation aussi spontanée que profonde?: «?Nous faut-il à tout moment un examen sanguin (fahs dam) pour confirmer notre libanité, arabité, antisionisme??... » Le même complexe d’infériorité explique le besoin du Libanais de remporter une victoire (intisâr), de se fabriquer une victoire, même factice et purement verbale, pour compenser son sentiment profond d’incapacité. Durant les années 1975-1990 tout un jeu machiavélique d’équilibrisme a été pratiqué avec succès par le régime syrien, le jeu alternatif du vainqueur et du vaincu. À des moments, un des segments se trouve en position de vainqueur (plutôt virtuellement?!), alors que la force étrangère qui l’a soutenu commence à appuyer un autre segment qui mijote mal sa défaite, segment qui reviendra enfin, après de lourdes pertes, à la situation de ?ni vainqueur, ni vaincu. Au départ même, il ne fallait pas espérer être vainqueur, au pays des victoires impossibles, piégées, par procuration, et dont il faut payer les factures, parce que dans la réalité toutes les communautés au Liban sont des minorités, prêtes à s’allier même au diable pour empêcher toute victoire sectaire, même symbolique. Une approche comparative confirme à quel point le complexe d’infériorité et son exploitation est opérationnel dans la mobilisation politique. La plus grande faiblesse du Noir américain dans les années 1960 était son complexe d’infériorité. J’ai entendu en 1962, au cours d’une tournée en Caroline du Nord, un jeune Noir présenter ainsi dans un discours public le dilemme psychologique du Noir?: «?Celui-ci, dit-il, vit dans une mauvaise position. S’il manifeste son mécontentement, il perd son travail. S’il le conserve, il nuit à sa dignité.?» L’orateur dénonce l’exploitation par les Blancs de ce complexe?: «?Les Blancs, dit-il, ont fait au Noir un lavage de cerveau, un brainwashing, ils l’ont déraciné pour le dissocier de son groupe en le persuadant que les valeurs nègres sont à dénigrer. La plupart des Nègres instruits et ayant un bon travail essaient de se dissocier des valeurs nègres. Notre danse, notre chant, sont ridiculisés par le Blanc… Il faut redonner au Noir sa fierté et sa confiance dans ses valeurs?»3. Antoine MESSARRA 1. Ghassan Tuéni, «?Liban?: patrie du risque perpétuel?», ap. Henri Awit (dir.), Les risques de l’Université, les risques à l’Université, Beyrouth, Publications de l’Université Saint-Joseph et Gisguf, 2001, 288 p., pp. 35-49. 2. Antoine Corban,?«?Délices refoulés de la dhimmitude?», L’Orient-Le Jour, 9/1/2008. 3. A. Messarra, Témoignage d’Amérique, Beyrouth, Librairie Orientale, 1962, 70 p., p. 5.
Des formes de mobilisation, de manipulation des esprits, des discours qui rappellent les propos aussi simplistes qu’apparemment logiques d’un Goebbels, durant la période nazie, incitent à une analyse en profondeur à propos d’un mal libanais au-delà du constitutionnalisme ambiant et des joutes politiciennes.
Le Libanais, qui jouit de qualités mondialement reconnues de...