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Actualités - REPORTAGE

Un rapport souligne les distorsions créées par le mécanisme actuel des prix, dont profitent notamment les importateurs Prix des carburants : des marges de manœuvres permettent de juguler les hausses

Le public s’est habitué à encaisser chaque mercredi la nouvelle de la hausse des prix des dérivés pétroliers, sous l’impulsion de la flambée des cours du brut sur les marchés internationaux. Hier encore, les prix de tous les carburants ont été majorés à la hausse, l’essence 98 octanes atteignant le seuil des 34 000 livres le bidon. Les responsables affirment régulièrement que les autorités ne disposent d’aucun moyen de juguler le renchérissement soutenu des combustibles qui est le fait de l’évolution des prix internationaux de l’or noir. Cette affirmation n’est que partiellement vraie. Le ministère de l’Énergie n’a certes aucune emprise sur l’évolution des marchés financiers mondiaux. Mais le mécanisme de calcul des prix des dérivés pétroliers qu’il a adopté comporte de nombreuses imprécisions. Selon une étude élaborée en 2006 par Econ pour le compte de la Banque mondiale, ce mécanisme crée des distorsions dont profitent notamment les importateurs de pétrole, qui accaparent une part considérable de la manne générée par le commerce des carburants. Il serait donc possible d’établir une tarification plus exacte et plus transparente qui allégerait la facture énergétique des ménages et augmenterait les recettes de l’État, tout en rémunérant équitablement les sociétés d’importation du pétrole. « L’Orient-Le Jour » publie ci-dessous une présentation du mécanisme de calcul des prix des carburants au Liban ainsi qu’un aperçu des imperfections de ce processus. Mahmoud HARB Comment les prix des combustibles sont-ils calculés au Liban ? Le mécanisme de détermination du prix de l’essence à la pompe et des autres combustibles reste quelque peu opaque. Et rares sont ceux qui maîtrisent ces rouages, vu que le ministère de l’Énergie préserve jalousement le secret de sa recette calculatoire. Or ce mécanisme est explicité par un rapport élaboré en 2006 par Econ. L’organisme révèle que le processus de définition du prix de l’essence à 95 et 98 octanes ainsi que du mazout vert et rouge est basé sur une moyenne sur quatre semaines du « Platts Med Fob » (PMF). Platts est l’un des principaux fournisseurs d’informations sur le secteur énergétique dans le monde. Le PMF qu’il publie « est l’un des indicateurs les plus fiables du prix des produits pétroliers dans le bassin méditerranéen », souligne le rapport. À cette moyenne du PMF sur 28 jours s’ajoute une prime « pour couvrir tout écart possible » entre le « Platts Med Fob » et le prix effectif sur le marché. Cette prime s’élève à 30 dollars pour la tonne d’essence à 98 octanes et 2 dollars pour la tonne d’essence à 95 octanes, sachant qu’elle est nulle pour le mazout. Pour calculer le prix de la tonne à l’importation (CIF), il faut ensuite compter une panoplie de charges fixes par tonne de dérivé pétrolier, destinées à couvrir l’ensemble des opérations de l’importation, à savoir : • Une charge de 9 dollars censée représenter le coût du fret maritime. • Une marge de 0,30 % de la somme de la moyenne du PMF et de la prime visant à couvrir les frais d’assurance des cargos. • Des commissions bancaires évaluées à 0,50 % de la somme de la moyenne du PMF et de la prime. • Une charge de 0,50 % de la somme de la moyenne du PMF et de la prime pour compenser les pertes liées à l’évaporation. • Diverses charges liées à l’importation : 7,52 dollars. De plus, une marge fixe de 5 % du CIF est réservée aux importateurs de produits pétroliers, alors que l’État prélève des frais de douane de 6 500 livres par mille litres (kilolitre) d’essence à 98 octanes, de 3 500 livres par kilolitre d’essence à 95 octanes et de 0 livre sur le mazout. Rappelons que l’État a supprimé ses droits d’assises sur les importations de dérivés pétroliers. Il faut également ajouter à l’ensemble de ces charges des frais de transport terrestre fixes de 14 000 livres par kilolitre. Une marge forfaitaire est aussi octroyée aux stations-service. Elle s’élève à 80 000 livres par kilolitre d’essence et à 20 000 livres par kilolitre de mazout. Enfin, pour obtenir le prix final des dérivés pétroliers à la pompe, il faut comptabiliser la taxe sur la valeur ajoutée qui s’élève à 10 %. Laquelle TVA génère des recettes étatiques croissantes avec l’augmentation des prix du pétrole. Un mécanisme inéquitable aux nombreuses imprécisions Econ a élaboré une série de recommandations dont l’application est susceptible d’améliorer la précision de ce mécanisme, voire d’enclencher une baisse des prix des dérivés pétroliers. Il ressort du rapport que le mode de calcul profite à certains acteurs et notamment aux importateurs et nuit à d’autres, comme les distributeurs indépendants, par exemple. En effet, en ce qui concerne les frais fixes pour le transport terrestre, l’étude met l’accent sur le renchérissement du prix du diesel, combustible utilisé par les citernes, qui justifierait cette charge. Néanmoins, Econ cite des responsables du secteur des transports qui affirment être payés à un tarif inférieur à 14 000 livres légales. « Cette charge ne profite pas aux transporteurs terrestres dont le pouvoir de négociation est faible », précise le rapport. Nombre d’importateurs disposent de leur propre filiale de distribution, ce qui leur permet d’imposer leurs propres tarifs de transport, tout en profitant de la charge définie par la réglementation. Les distributeurs indépendants ne peuvent que suivre, d’autant que le parc de citernes du Liban est démesuré. Le pays possède quelque 1 330 citernes contre 400 pour la Suède dont la surface est quarante fois supérieure à celle du pays du Cèdre. Dans cette perspective, la charge pour le transfert terrestre serait inefficace et rendue inéquitable par la structure du marché. De plus, l’étude note que le « Platts Med Fob » reflète le prix de l’essence répondant aux standards français, italien et espagnol qui est plus cher que l’essence vendu au Liban et dont la qualité est de loin inférieure. Pour corriger cette distorsion, Econ appelle donc à la mise en place d’un rabais de 5 à 15 dollars. L’organisme estime également qu’il faudrait supprimer la prime de 2 dollars imposée « sans fondement » à la tonne d’essence à 95 octanes. Selon le rapport, l’application de ces deux mesures réduirait le prix hors taxes de l’essence à 95 octanes de 1,5 %. De plus, Econ estime que la prime de 30 dollars incluse dans le prix de la tonne d’essence à 98 octanes est « surévaluée » et recommande de la diminuer de 10 dollars. Ceci réduirait le prix hors taxes de ce type d’essence de 1,2 %. L’organisme note en outre que la marge de 0,5 % adoptée pour compenser les pertes liées à l’évaporation « est trop élevée bien qu’acceptable », ajoutant que sa fixation à 0,3 % permettrait au pays d’obtenir une baisse de 0,17 % des prix des produits pétroliers. Enfin, l’étude juge qu’il est impossible de savoir si la marge réservée aux stations-service est « appropriée ». Cependant, l’écart considérable entre la marge des stations sur le kilolitre d’essence (80 000 livres) et leur marge sur le kilolitre de mazout (20 000 livres) suggère que « les consommateurs d’essence subventionnent ceux du mazout ». Ce qui génère une distorsion du marché nuisible aux acheteurs d’essence. L’étude souligne en outre que l’adoption d’un frais de transport maritime fixe de 9 dollars par tonne « n’est pas réaliste car le marché du fret est hautement volatile et fluctue en fonction de l’offre et de la demande ». Econ avance plutôt des chiffres compris entre 15,3 dollars et 26 dollars par tonne, selon les chiffres de 2006 et propose d’établir un indice mensuel ou trimestriel des coûts du fret. Cependant, cette sous-évaluation des tarifs du transport maritime n’a érodé que partiellement les bénéfices des importateurs dont la croissance des bénéfices est « frappante », selon Econ. Les bénéfices des importateurs ont été multipliés par 2,5 en six ans Econ explique que la marge de 5 % du CIF qui est octroyée aux importateurs pétroliers a pour objectif de couvrir les frais d’entretien et d’exploitation de ces compagnies et de leur permettre d’avoir un bon ratio de retour sur investissement. « En effet, le marché des dérivés pétroliers a une forte intensité capitalistique » (c’est-à-dire qu’il nécessite des investissements élevés), note l’organisme. Mais comme elle est fixée en pourcentage du prix à l’importation, cette marge fluctue en fonction de l’évolution des cours internationaux du brut. En période de renchérissement du pétrole – ce qui est le cas actuellement – les revenus des importateurs augmentent considérablement, renforçant la tendance haussière des prix des combustibles. Econ note que la croissance des bénéfices des importateurs est « frappante ». Ces bénéfices sont en effet passés de près de 8 dollars par kilolitre d’essence en 1997 à quelque 25 dollars en 2006. « Ce phénomène n’est pas explicable par une hausse des coûts ou par une augmentation des risques assumés par ces compagnies (…), bien que le renchérissement des tarifs des transports maritime et terrestre ait érodé une partie limité de ces gains », note l’étude. Sans parler des revenus générés en période haussière par la gestion des stocks. Un rapport publié en janvier dernier par le FMI abonde dans le même sens en soulignant que les bénéfices des importateurs ont été multipliés par 2,5 entre 2002 et 2008. Parallèlement, face à la croissance exponentielle des prix du pétrole, le gouvernement a ramené ses prélèvements de TVA et de taxes douanières sur les dérivés du brut de 56 % en 2003 à 11 % en 2006, pour réduire la facture énergétique des ménages. Cette mesure a privé les caisses de l’État d’un demi-milliard de dollars par an, au moment où les importateurs réalisaient des bénéfices supplémentaires. Les sociétés pétrolières spécialisées dans l’importation et la distribution ont donc accaparé une part plus grande de la manne produite par ce commerce. En 2006, ces entreprises se partageaient déjà quelque 150 millions de dollars par an, selon les estimations d’Econ. Quant aux consommateurs, ils n’ont profité que marginalement de la réduction des prélèvements étatiques. Aussi, l’octroi d’une marge aussi élevée aux importateurs et distributeurs est nuisible à la concurrence. Les sociétés pétrolières ayant garanti leur rémunération n’ont aucune raison d’améliorer leur compétitivité et donc la productivité de leur infrastructure et la qualité de leurs services. La rémunération mirobolante assurée par la part de 5 % constitue alors « une prime au perdant », encourageant l’entrée systématique de nouveaux acteurs peu productifs dans ce marché qui est déjà plus que saturé. En conséquence, le secteur pétrolier libanais est surchargé et la qualité de ses services est faible, d’autant que la surveillance et le contrôle des autorités sont insuffisants, d’après Econ : le parc des citernes libanaises est vieux et peu productif, les capacités de stockage sont trop faibles, les normes de sécurité sont peu respectées, près de 50 % des stations-service ne disposent pas de licence, etc. Econ, tout comme le FMI, propose donc de définir la marge réservée aux importateurs indépendamment du prix du pétrole. « Cette marge devrait être révisée régulièrement et doit refléter le véritable coût économique de l’importation et de la distribution des dérivés pétroliers », souligne l’étude commandée par la Banque mondiale. Le Fonds monétaire international recommande même de restaurer les droits d’assises de l’État sur les importations de pétrole. Pour le FMI, ceci permettrait de dégager des ressources supplémentaires qui pourraient être utilisées pour venir en aide aux ménages défavorisés, en subventionnant le prix du gaz butane, par exemple. La solution ad hoc au problème du renchérissement des carburants ne passe donc pas par la réduction de l’imposition de ces produits, mais plutôt par la mise en place d’une répartition plus équitable des revenus des ventes des dérivés pétroliers. Pour Econ, cette réforme consoliderait la concurrence et initierait une amélioration de la qualité des services fournis par les sociétés pétrolières. Sauf que cette démarche se heurte à un obstacle politique de taille. En effet, plusieurs importateurs comptent parmi leurs actionnaires des responsables politiques, de la majorité comme de l’opposition. Lesquels responsables ne devraient pas accepter aisément de permettre une réduction des revenus des compagnies de distribution et d’importation…
Le public s’est habitué à encaisser chaque mercredi la nouvelle de la hausse des prix des dérivés pétroliers, sous l’impulsion de la flambée des cours du brut sur les marchés internationaux. Hier encore, les prix de tous les carburants ont été majorés à la hausse, l’essence 98 octanes atteignant le seuil des 34 000 livres le bidon.
Les responsables affirment...