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Actualités - REPORTAGE

Les conservateurs radicaux devraient perdre leur majorité au profit des conservateurs traditionalistes, estime Azadeh Kian, spécialiste de l’Iran Ahmadinajed en mauvaise posture pour les législatives Propos recueillis par Émilie SUEUR

À l’occasion du 29e anniversaire de la révolution islamique, la semaine dernière, le président iranien a, sans surprise, attaqué l’Occident et réaffirmé le droit de son pays à l’énergie nucléaire. Plus intéressant, Mahmoud Ahmadinejad s’en est également pris à ses détracteurs iraniens. À un mois des législatives du 14 mars, le président est sur la défensive. Sa gestion du dossier du nucléaire, mais aussi et surtout l’échec total de sa politique économique sont de plus en plus critiqués en Iran. Et pas seulement par certains économistes, ou par les réformateurs et leurs partisans. Le guide suprême en personne, Ali Khamenei, semble voir lâché le président ultraconservateur. Ce mécontentement large et grandissant devrait, selon Azadeh Kian, professeur de sociologie politique à l’Université Paris VII et spécialiste de l’Iran, se traduire, lors des législatives, par une victoire des conservateurs traditionalistes au détriment des conservateurs radicaux. Un sérieux revers pour Mahmoud Ahmadinejad. Si, pour une large partie du monde, Iran rime avec menace nucléaire, la principale préoccupation des Iraniens est d’ordre économique. Une préoccupation qui pèsera fortement sur les législatives du 14 mars. Lors de la présidentielle de 2005, « les Iraniens ont élu Ahmadinejad sur la base d’un programme qui promettait une hausse du pouvoir d’achat des classes moyennes et basses, ainsi que la création d’emplois, rappelle Azadeh Kian. Or, depuis l’élection, la situation économique du pays s’est largement dégradée, et ce malgré le triplement des revenus pétroliers par rapport à 2005 », ajoute-t-elle. En mai 2007, la Banque centrale iranienne prévoyait que l’inflation atteindrait 17 % pour l’année 2007-2008. Le centre de recherche du Parlement estime toutefois que ce taux devrait être de 23,4 %. Les produits alimentaires et le bâtiment sont les secteurs les plus touchés par la hausse des prix. « Le problème est qu’Ahmadinejad n’avait pas de programme économique précis au moment de son élection. Il s’est contenté de jeter des promesses, sans expliquer comment il arriverait à les tenir », explique la spécialiste. « Au lieu de profiter de la hausse des revenus pétroliers pour investir dans l’industrie et créer des emplois, il a redistribué l’argent dans la société, notamment aux plus pauvres », ajoute-t-elle. Une mesure qui a engendré une hausse du volume des liquidités en circulation, et donc une hausse de l’inflation. « Parallèlement, les salaires n’ont pas suivi », souligne Azadeh Kian. D’où une multiplication des mouvements de protestation dans les universités, mais également au niveau des instituteurs, des conducteurs de bus ou encore des ouvriers. « Même les plus pauvres, qui ont pourtant profité de la redistribution, sont mécontents car le surplus d’argent qu’ils ont reçu a été neutralisé par la hausse du coût de la vie. En outre, il n’y a toujours pas d’emplois pour leurs enfants », ajoute-t-elle. Poursuite du népotisme Par ailleurs, Mahmoud Ahmadinejad avait promis, lors de la campagne présidentielle, de mettre fin au népotisme. « Or aujourd’hui, les gros contrats sont attribués par le ministère du Pétrole aux organes économiques liés aux pasdaran, sans appel d’offres. Et l’on parle là de milliards de dollars », affirme la spécialiste. Enfin, les caisses de l’État sont vides. « Quand l’ancien président Mohammad Khatami a quitté le pouvoir, en 2005, il y avait quelque 25 milliards de dollars dans les caisses de l’État. Mahmoud Ahmadinejad a quasiment tout dépensé. Sans investir. Dans le même temps, les capitaux étrangers, mais aussi iraniens, sortaient du pays », rappelle Mme Kian. Depuis plusieurs mois, la politique économique du président est donc régulièrement attaquée par des économistes iraniens, qui critiquent les dépenses publiques excessives et la multiplication des promesses aux effets inflationnistes. Aux critiques sur son bilan économique, s’ajoute un mécontentement croissant quant « à la radicalisation de la politique régionale et internationale d’Ahmadinejad. Et notamment par rapport aux sanctions internationales contre l’Iran » en raison de son programme nucléaire, ajoute Mme Kian. « L’Iran est une économie rentière. Avec un baril de pétrole à 90 dollars, l’argent continue de rentrer. En revanche, les jeunes industriels sont les premières victimes des sanctions internationales. Beaucoup de petites et moyennes entreprises ont fait faillite car elles ne pouvaient plus obtenir de crédits en raison des sanctions internationales contre le système bancaire iranien, souligne la spécialiste. Le problème est que les sanctions touchent les groupes les plus à même de moderniser l’économie iranienne, les groupes les plus à même de travailler avec l’Occident. » Lâché par le guide suprême Fait marquant, le mécontentement a gagné ceux qui soutenaient traditionnellement Mahmoud Ahmadinejad. « Selon un sondage récent, seulement 25 % de ceux qui ont voté pour Ahmadinejad en 2005 le soutiennent toujours aujourd’hui », souligne Mme Kian. Parallèlement, certains responsables politiques conservateurs critiquent ouvertement le président. L’année dernière, des députés conservateurs ont notamment critiqué le budget. Plus grave encore, le guide suprême se détache de plus en plus de celui qui était son poulain en 2005. Le 21 janvier dernier, Ali Khamenei a publiquement ordonné au président de faire passer une loi sur le secteur gazier alors que celle-ci était au cœur d’une dispute entre Mahmoud Ahmadinejad et le Parlement. Ce genre d’intervention publique est rare dans la politique iranienne. Ces derniers mois, le guide suprême avait en outre donné l’autorisation à certains journaux et proches de critiquer le président. « Les plus proches conseillers du guide suprême prônent une politique diamétralement opposée à celle d’Ahmadinejad. Sur les affaires étrangères, Ali Akbar Velayati est pour calmer le jeu, pour la modération. Sur le dossier économique, Élias Naderan, député de Téhéran et conseiller du guide, a été très critique, et ce publiquement, de la politique d’Ahmadinejad », rappelle Mme Kian, qui ajoute : « Je pense que le lâchage a commencé dès la fin de la première année du mandat d’Ahmadinejad. » Deux facteurs expliquent cette prise de distance de la part du guide. « D’une part, le fait que le président n’applique pas le programme économique qui prévoit une libéralisation de l’économie, des privatisations et un retrait de l’État de l’économie. Ensuite, la baisse de popularité du président a accentué le lâchage. » Le Parlement a le pouvoir de destituer un président Par rapport à Mahmoud Ahmadinejad, Ali Khamenei se doit toutefois de rester prudent. « Le guide doit faire attention à ce que la fragilisation d’Ahmadinejad ne profite pas aux réformateurs radicaux qui sont en voie de laïcisation ou déjà laïcisés, et critiquent l’influence du guide sur la politique et les institutions iraniennes », souligne Mme Kian. Il doit d’autant plus faire attention que le président bénéficie toujours de soutiens au sein des pasdaran et des bassidjis. « Je pense que le guide compte sur les législatives et la formation d’un Parlement au sein duquel les partisans d’Ahmadinejad ne seront plus majoritaires. Constitutionnellement, c’est le Parlement qui a le pouvoir de destituer un président », ajoute-t-elle. Selon Mme Kian, « on peut effectivement s’attendre qu’à l’issue de ces législatives, les conservateurs radicaux, comme Ahmadinejad, perdent leur majorité au profit des conservateurs traditionalistes ». Les conservateurs traditionalistes étant des personnalités comme Ali Larijani – le secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale et principal négociateur pour le dossier du nucléaire iranien qui a démissionné en octobre dernier – ou encore Mohammad Baqer Qalibaf, maire de Téhéran et ancien adversaire d’Ahmadinejad lors de la présidentielle de 2005. « Le mot d’ordre des conservateurs traditionalistes est la modération », ajoute-t-elle. Échec des réformateurs à reconquérir leur électorat La baisse de popularité d’Ahmadinejad ne devrait donc pas profiter aux réformateurs. « Leur positionnement est mauvais en raison de la mise à l’écart de leurs candidats », explique Mme Kian. Sur les quelque 2 200 candidatures réformatrices écartées, seulement 580 ont été repêchées par le Conseil des gardiens de la Constitution, une instance qui a le dernier mot sur la validité des candidatures aux élections. Des repêchages qui sont intervenus après les protestations émises par l’ancien président Mohammed Khatami, mais également par des figures conservatrices tel Akbar Hachémi Rafsandjani, un autre ancien président. « Mais cela n’est pas la seule raison de leur mauvais positionnement. Les réformateurs n’ont en effet toujours pas réussi à reconquérir leur électorat, ceux qui votaient Mohammad Khatami, à savoir les jeunes et les femmes des classes moyennes instruites ainsi que les minorités ethniques », souligne la spécialiste. Autre problème, les réformateurs manquent d’une figure charismatique ou faisant consensus auprès des électeurs. « C’est peut-être pour cette raison qu’ils poussent en avant la candidature de Ali Eshraghi, le petit-fils de Khomeyni », dont la candidature a été réhabilitée après avoir été rejetée. Si le retour au pouvoir des réformateurs semble a priori difficile, l’année en cours devrait néanmoins être marquée par un changement des rapports de force politiques en Iran.
À l’occasion du 29e anniversaire de la révolution islamique, la semaine dernière, le président iranien a, sans surprise, attaqué l’Occident et réaffirmé le droit de son pays à l’énergie nucléaire. Plus intéressant, Mahmoud Ahmadinejad s’en est également pris à ses détracteurs iraniens. À un mois des législatives du 14 mars, le président est sur la défensive....