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Alastair Crooke, fondateur de Conflicts Forum, analyse pour « L’Orient-Le Jour » la stratégie US dans la région « La politique américaine au Moyen-Orient risque d’entraîner un conflit régional sans précédent » Propos recueillis par Rania MASSOUD

Tensions confessionnelles en Irak et au Liban, crise humanitaire à Gaza, sanctions et menaces d’actions militaires contre l’Iran… Le Moyen-Orient est aujourd’hui l’une des régions les plus exposées à un conflit militaire de grande envergure. Pour Alastair Crooke, fondateur de Conflicts Forum et ancien conseiller du haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et la sécurité commune, Javier Solana, un conflit régional ne peut être évité que si les Occidentaux, et plus particulièrement les Américains, décident de négocier directement avec des pays comme l’Iran et la Syrie, et des mouvements islamistes, comme le Hamas et le Hezbollah. Dans une interview accordée à « L’Orient-Le Jour », M. Crooke – qui a également servi de médiateur pendant plus de 30 ans dans de nombreuses zones de conflit, notamment en Irlande, en Afrique du Sud, en Afghanistan, au Cambodge et en Colombie – analyse la politique américaine au Moyen-Orient et ses limites. Face à l’Iran, la Syrie, le Hamas et le Hezbollah, les Américains adoptent pratiquement une même politique, basée sur des sanctions et sur l’isolement politique et économique. Les négociations directes sont quasiment inexistantes entre Washington, d’un côté, et Téhéran, Damas et les mouvements politiques islamistes hostiles à Israël dans la région, de l’autre. Concernant l’Iran, à titre d’exemple, l’Administration Bush a clairement indiqué à de nombreuses reprises qu’elle refuse d’engager tout dialogue inconditionnel avec le régime de Téhéran. Mercredi dernier, la secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, a par ailleurs affirmé devant le Forum économique mondial à Davos qu’elle n’est prête à parler directement aux Iraniens que s’ils renoncent à leurs activités nucléaires sensibles. « Les États-Unis n’ont aucune envie de voir l’Iran rester un ennemi permanent, même après 29 ans d’une histoire difficile », marquée par la rupture des relations diplomatiques après la révolution iranienne, a souligné Mme Rice. Cette déclaration intervient alors que les grandes puissances se préparent à adopter au Conseil de sécurité de l’ONU une nouvelle résolution visant à persuader le régime de Téhéran de renoncer à un programme nucléaire militaire. Pour Alastair Crooke, la politique actuelle de l’Administration Bush dans la région exacerbe les tensions et risque de faire éclater un conflit militaire d’une envergure sans précédent. « Il est grand temps que les Occidentaux commencent à écouter ce que les islamistes ont à dire », estime M. Crooke, qui a aidé à organiser les discussions informelles entre les Américains et le Hezbollah et le Hamas, entre autres, en 2005. Selon lui, les Américains et la plupart des Européens considèrent le langage des islamistes comme étant incompréhensible, codé, et barbare même. « Les conservateurs américains vont encore plus loin en affirmant que le Hezbollah est un parti islamiste totalitaire qui constitue une menace pour la société occidentale », explique l’ancien conseiller de Javier Solana. « L’absence d’un dialogue direct et inconditionnel entre les Occidentaux et les islamistes alimente les tensions et l’extrémisme dans la région, poursuit-il. Par conséquent, pour se faire entendre, les mouvements islamistes décident de se tourner vers la violence et la résistance armée, étant donné qu’ils n’ont plus confiance dans le système électoral. » Selon Alastair Crooke, il existe aujourd’hui un débat au sein des mouvements islamistes dans la région. La question est de savoir quelle sera leur prochaine démarche face à l’isolement économique et politique imposé par l’Occident. « Les mouvements islamistes ont une base populaire très importante à travers le Moyen-Orient, mais leur popularité n’est toujours pas reconnue par la communauté internationale », explique M. Crooke. Dans les territoires palestiniens, le Hamas, bien qu’il soit sorti victorieux des élections législatives de 2006, continue d’être isolé politiquement et financièrement par les Occidentaux. De même, en Égypte, les Frères musulmans, qui constituent la première force d’opposition dans le pays et contrôlent un cinquième des sièges au Parlement, sont officiellement interdits par les autorités qui arrêtent quotidiennement des dizaines de leurs membres. « À mon avis, les mouvements islamistes vont opter pour des démarches plus radicales qui pourraient ressembler à un soulèvement populaire, comme la révolution iranienne, par exemple », estime M. Crooke, qui a également participé en juin 2003 aux médiations qui ont permis d’aboutir à un cessez-le-feu entre le Hamas, le Jihad islamique et Israël. Il souligne par ailleurs que les islamistes chercheront également à changer les « règles du jeu » établies par les Occidentaux. C’est dans ce contexte que peut être interprété le discours du secrétaire général du Hezbollah qui a menacé samedi dernier, lors de la commémoration de la Achoura, à Beyrouth, de lancer une « guerre qui changera la face de toute la région » si Israël mène une nouvelle offensive contre le Liban. En Iran, le président Mahmoud Ahmadinejad avait, quant à lui, déjà appelé à « rayer Israël de la carte ». À la question de savoir si une éventuelle victoire des démocrates à l’élection présidentielle de 2009 pourrait présager un changement dans la politique américaine au Moyen-Orient, l’ancien conseiller de Solana estime que c’est improbable, « surtout pas dans un avenir proche ». « Des sources proches du camp démocrate m’ont déjà affirmé qu’aucun changement n’est à prévoir vu l’ampleur des intérêts américains dans la région, explique-t-il. Les Américains ne changeront pas leur politique étrangère, à moins qu’ils ne soient confrontés à un échec cuisant », conclut-il.
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