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LE POINT Martyre de la démocratie Christian MERVILLE

Elle avait le glamour d’une star, le charisme d’un politique né et symbolisait aux yeux de ses millions de fidèles la modernité et la démocratie. Le salut aussi, à tort ou à raison, celui d’un pays relativement jeune mais déjà ravagé, menacé à chaque instant par ses innombrables contradictions tant il semblait fragile, écartelé qu’il était entre passé et avenir. Les généraux avaient fini par venir à bout de son père, condamné à mort après un simulacre de procès et pendu en 1979, à Rawalpindi, sur ordre du maître du pays, le général Zia ul-Haq. Hier, c’est à quelques kilomètres de là que sa fille est tombée sous les balles d’un kamikaze. Ses deux frères, Murtaza et Shahnawaz, disparus, elle avait pris la tête de la formation qu’il avait fondée, le Parti du peuple pakistanais, héritant en même temps que de sa gloire des solides inimitiés qu’il s’était attirées. Signe des temps : le gouvernement de Zulficar Ali Bhutto était l’un des rares, dans les trente années suivant l’indépendance, à tourner le dos à l’armée. Elle-même avait réchappé un nombre incalculable de fois à la mort la dernière tentative en date remontant au 18 octobre dernier, lors d’un rallye de masse à Karachi, quelques heures après son retour triomphal d’un exil de huit ans. Bilan du double attentat : 139 tués et des centaines de blessés, Cette fois, ses ennemis de toujours ne l’ont pas ratée, mettant un terme à ce qui fut l’histoire d’une dynastie qui en était venue à se confondre avec l’histoire de l’État né de l’éclatement de l’empire des Indes. Ce qui va se passer maintenant ? Difficile de le dire, si le pire est à prévoir. Passés les premiers moments de douleur, des débordements sont à prévoir, mettant à rude épreuve la solidité d’un régime depuis trop longtemps soutenu à bout de bras par une Amérique qui ne dispose désormais d’aucun homme « providentiel » pour succéder à un Pervez Musharraf, ballotté entre généraux boutefeux et extrémistes qui ont pour eux le temps et l’arsenal d’el-Qaëda. À moins que le département d’État ne se tourne vers un Nawaz Sharif, dans une pauvre tentative de gagner du temps en attendant pour l’ensemble du Sud asiatique une normalisation qui va tarder à venir maintenant qu’a été ravivée la flamme de la violence. Les premiers signes du chaos sont apparus hier, avec les slogans des milliers de partisans en colère : « Musharraf assassin », criait-on à Karachi et à Islamabad, pendant que Sharif tentait une malencontreuse opération de récupération : « Elle était ma sœur, lançait-il à la foule. Je serai avec vous pour la venger ; vous n’êtes pas seuls. » Il reste que, décapité, le PPP ne saurait plus être le même, à supposer qu’il continue d’exister. À près de deux semaines des élections législatives convoquées pour le 8 janvier – et à moins d’un possible report en raison d’une probable dégradation de la situation –, le pouvoir en place devra revoir tous ses calculs. Certes, dans un premier temps, les galonnés, qui continuaient jusqu’à une date récente à faire corps autour de l’un des leurs, pourraient eux aussi être appelés à modifier leurs plans. La prochaine bataille, c’est à la frontière avec l’Afghanistan et non pas dans les urnes qu’elle est appelée à se dérouler. Tous les rapports parvenus à Washington indiquent que les islamistes ont reconstitué leurs effectifs dans la province du Waziristan où les talibans ont refait leur jonction avec les hommes d’Oussama Ben Laden. D’ailleurs, la série d’attentats qui ont secoué le Pakistan au cours des semaines qui ont suivi en juillet dernier l’assaut final contre les étudiants en religion retranchés dans la mosquée Rouge ont fait près de 800 tués. Le pouvoir central ne peut oublier qu’au plus fort de la guerre contre la présence soviétique en Afghanistan, il avait établi des liens étroits avec les tribus qu’il est condamné à combattre aujourd’hui. Il ne peut, par ailleurs, faire l’impasse sur la protection américaine dont il jouit, à l’heure où l’Administration de George W. Bush exige de lui une participation plus efficace dans sa campagne contre le terrorisme. Dans un passé tout récent, le général-président avait été requis de renoncer, sur le plan intérieur, à ses méthodes par trop musclées et de composer avec l’opposition, allant jusqu’à accepter le retour de Benazir Bhutto de son exil à Dubaï et de Sharif de sa retraite forcée à Londres. Il est loin d’être certain que la brutale disparition de la première et l’éclipse du second servent sa cause maintenant que la porte est grande ouverte sur toutes les perspectives. Les plus noires surtout depuis que se confirme l’incapacité du pouvoir à atteindre les objectifs qui lui ont été assignés, en dépit des milliards de dollars injectés en moins d’une décennie. Au pays des purs où, comme ailleurs, seuls les généraux meurent dans leur lit, la démocratie n’est pas pour demain. La fin de la contagion extrémiste non plus.
Elle avait le glamour d’une star, le charisme d’un politique né et symbolisait aux yeux de ses millions de fidèles la modernité et la démocratie. Le salut aussi, à tort ou à raison, celui d’un pays relativement jeune mais déjà ravagé, menacé à chaque instant par ses innombrables contradictions tant il semblait fragile, écartelé qu’il était entre passé et avenir. Les généraux avaient fini par venir à bout de son père, condamné à mort après un simulacre de procès et pendu en 1979, à Rawalpindi, sur ordre du maître du pays, le général Zia ul-Haq. Hier, c’est à quelques kilomètres de là que sa fille est tombée sous les balles d’un kamikaze. Ses deux frères, Murtaza et Shahnawaz, disparus, elle avait pris la tête de la formation qu’il avait fondée, le Parti du peuple pakistanais, héritant en...