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Actualités - OPINION

Sortir de Taëf

Pour Bachir Gemayel, le pacte national était définitif, mais la formule politique de 1943 s’était dégradée avec l’instauration par l’école chéhabiste d’une dualité confessionnelle du pouvoir qui porta un coup aux prérogatives du chef de l’État, réduit alors à un simple rôle d’arbitre, explique le père Sélim Abou. Beaucoup critiquèrent Bachir sous prétexte qu’il s’en prenait à une formule à l’avantage des chrétiens. Or Bachir avait compris que le statu quo qu’il appelait « l’ère des compromis et des compromissions » paralysait le pays et que tant qu’il prévalait, rien ne pouvait changer. Ce statu quo appelé par Bachir « le régime du millet hérité des Ottomans », était défendu par une classe politique qu’il arrangeait parce qu’il représentait un certain confort et qu’il préservait leurs privilèges, le système clientéliste et la hiérarchie féodale. Avec l’assassinat de Bachir, la formule se maintint jusqu’en 1989 survivant à l’accord tripartite sponsorisé par Rafic Hariri signé à Damas par Élie Hobeika, Nabih Berri et Walid Joumblatt, qui consacrait la logique milicienne en la substituant à la légalité constitutionnelle. Dans un entretien accordé au Monde du 28 août 1982, Bachir Gemayel avait déclaré : « Si j’ai été convié à Taëf, c’est pour aider à la solution d’un aspect du problème palestinien concernant une guerre se déroulant sur notre territoire et nullement pour résoudre un problème libanais. » Et pourtant… Sept ans après, c’est à Taëf que la classe politique s’est retrouvée et s’est soumise au diktat des États-Unis, de la Syrie et de l’Arabie saoudite mettant en place une nouvelle formule politique qui a instauré depuis 1990 la troïka confessionnelle du pouvoir et vidé de ses prérogatives la présidence de la République chef de l’État réduite à un simple symbole… Nul ne doit remettre en cause le pacte national, qui est inamovible et définitif, mais la formule politique de Taëf a amené le Liban à renoncer à sa souveraineté et a créer une troïka confessionnelle du pouvoir qui porte atteinte aux prérogatives du chef de l’État, réduit à un simple symbole, tandis que le Premier ministre est en réalité le chef de l’Exécutif (que Taëf a transféré du président de la République au Conseil des ministres) et le président du Parlement le chef du Législatif. Beaucoup n’osent pas s’en prendre à la formule politique de Taëf sous prétexte qu’elle garantit la parité entre chrétiens et musulmans au Parlement alors même que les voix chrétiennes, en raison de la loi électorale biaisée, ne permettent même pas d’élire le quart des députés et que la logique du tiers est en place à la tête de l’État à travers la troïka. Or la formule politique de Taëf n’est qu’une réorganisation du statu quo que jadis Bachir combattait : au lieu d’être la base de l’édification d’un État fort, elle sert à une classe politique héritière de celle précédant la guerre et désireuse de se maintenir en place, à des anciens chefs de milice voulant préserver leurs acquis de guerre et à des hommes d’affaires ayant des ambitions politiques. Dans un communiqué du 9 septembre 1990, Fouad Abou Nader rappelait que Georges Saadé avait emmené avec lui à Taëf un document amendé par une commission spéciale et approuvé par le bureau politique du parti Kataëb en date du 4 septembre 1989 : « Ainsi, après la conclusion de l’accord de Taëf, le bureau politique du parti a été unanime à réclamer le retour au Liban de son président, ce qui n’a pas eu lieu. C’est à travers les journaux que les membres du bureau politique du parti ont ensuite pris connaissance de l’accord de Taëf, pour s’apercevoir qu’il s’agissait, dans ses grandes lignes, du document proposé par les Arabes et non du projet d’amendement approuvé par les Kataëb. » En plus du document des députés chrétiens, souhaitant régler leurs comptes avec Michel Aoun et pensant qu’il serait toujours temps plus tard de rétablir l’équilibre confessionnel, ceux-ci demandèrent que le commandant en chef de l’armée soit placé sous l’autorité du Conseil des ministres et non sous celle du président de la République et que soit ôté à ce dernier le droit de dissoudre le Parlement. Karim Pakradouni écrit dans son livre (Le Piège ou de la malédiction du Liban à la guerre du Golfe, Grasset, Paris, 1991) que « Samir Geagea fut la force lointaine, occulte et décisive qui anima les députés et les encouragea à aller de l’avant. Sans lui, aucun d’entre eux n’auraient osé défier l’opposition farouche de Michel Aoun ». En plus de n’avoir pas réglé le problème interlibanais qui se situe au niveau de la participation et des droits des communautés, la formule politique de Taëf nécessite, pour fonctionner, la présence d’un tuteur ou d’un climat de compromis régional et international. Entre 1990 et 2005, la formule politique de Taëf a fonctionné en raison de la présence du tuteur syrien. Joseph Maila [1] expliquait dans L’Orient-Le Jour du 14 novembre 2003 que « le problème, la contradiction structurelle de Taëf, c’est qu’il lie l’indépendance à la présence et à l’aide d’une force externe. En d’autres termes, nous sommes sortis des fondements du pacte de 1943 et de la “double négation”. La dialectique de Taëf est pernicieuse parce qu’elle lie l’entente interlibanaise à une entente libano-syrienne, d’où une négation de la souveraineté. Ce n’est plus un pacte à deux, mais à trois, et certainement pas un pacte d’indépendance nationale. Nous sommes au cœur du schéma hobbésien, parce que la troisième partie, le Léviathan syrien, n’est pas liée au pacte. Les deux parties libanaises abandonnent leur souveraineté pour la confier à une troisième qui n’a rien demandé en principe, mais qui a le droit de tout exiger en retour. Cette troisième partie, Damas en l’occurrence, n’a pas signé l’accord de Taef. » Dans les faits, cela se traduisit, d’une part, par l’avènement de la « République de Taëf » et, d’autre part, par la signature le 22 mai 1991 par Élias Hraoui et Hafez el-Assad du traité de fraternité et de coopération qui consacra juridiquement la tutelle syrienne sur le Liban [2]. Depuis 2005, la formule politique de Taëf et donc l’élection d’un nouveau président ne dépendent plus du seul tuteur ou Léviathan syrien mais d’un climat de compromis régional et international, c’est-à-dire d’un accord entre les États-Unis, la Syrie et l’Arabie saoudite, parrains de l’accord de Taëf, auxquels il faut ajouter l’Iran en raison de l’importance prise par le Hezbollah. Demander l’application totale ou partielle de Taëf signifie donc renoncer à la souveraineté du Liban. Dans un entretien au Figaro, le 23 octobre 1989, au lendemain de la signature de l’accord, Walid Joumblatt déclarait que « l’Arabie saoudite, qui voulait faire plaisir aux Américains, a payé un milliard de dollars pour acheter tout le monde, y compris les responsables syriens. », ajoutant que « finalement, ça ne coûte jamais très cher d’acheter les traîtres ». Il faut que jeunes, intellectuels, juristes, économistes, politologues, philosophes, politiciens et autres Libanais, nous nous retrouvions autour d’une table, à Beyrouth, pour élaborer une solution définitive (le régionalisme permettant l’autonomie de l’État vis-à-vis des communautés et celle de ces dernières, en tant que groupes culturels vis-à-vis de l’État), la rotation confessionnelle des postes à la tête de l’État (présidence de la République, présidence du Conseil, présidence de l’Assemblée nationale et demain présidence du Sénat) en y introduisant une parité islamo-chrétienne rompant avec la logique du tiers introduite par Taëf. La suppression du poste de Premier ministre ? L’élection présidentielle au suffrage universel indirect ? La circonscription uninominale (un député par circonscription) ? La neutralité positive, permanente et garantie internationalement, réglant le problème interlibanais et garantissant la souveraineté du Liban ? Ce n’est qu’en enterrant la formule politique de Taëf et en nous entendant que nous sauverons le Liban, lui rendrons sa souveraineté et permettrons aux Libanais de vivre libres, égaux, dignes et en sécurité sur les 10 452 kilomètres carrés. Michel FAYAD [1] Voir Joseph Maïla, Le document d’entente nationale : un commentaire, les Cahiers de L’Orient n° 16-17, 4e trimestre 1989-1er trimestre 1990 et Joseph Maïla, The Document of National Reconciliation: A Commentary, Prospects for Lebanon n° 4, Oxford: Centre for Lebanese Studies, 1992. [2] Voir Joseph Maïla, Le traité de Fraternité : une analyse, les Cahiers de L’Orient n° 24, 4e trimestre 1991.
Pour Bachir Gemayel, le pacte national était définitif, mais la formule politique de 1943 s’était dégradée avec l’instauration par l’école chéhabiste d’une dualité confessionnelle du pouvoir qui porta un coup aux prérogatives du chef de l’État, réduit alors à un simple rôle d’arbitre, explique le père Sélim Abou. Beaucoup critiquèrent Bachir sous prétexte...