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Le Liban en musique Bassam BOUNENNI

Si Jean-Jacques Rousseau réfléchissait en marchant, moi, tout comme plusieurs de mes contemporains, je le fais en roulant en voiture. Ce fut le cas le vendredi 23 novembre 2007. Tous les regards étaient braqués sur le Liban. Vous n’aviez pas besoin d’être musulman, chrétien ou autre. Vous n’aviez même pas besoin d’être arabe pour attendre ce qui allait se passer, en ce jour J, où le départ d’Émile Lahoud du palais de Baabda devrait annoncer le commencement d’une nouvelle page dans l’histoire du pays. Peu importe sa couleur. Il suffisait d’être un humain. Le Liban n’est-il pas le dernier bastion de toutes les civilisations – à l’exception des Hébreux ? Terre d’accueil depuis plusieurs siècles, le pays du Cèdre n’est plus cette terre de tolérance qu’il était. Et cela a bel et bien eu des répercussions on ne peut plus sismiques depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, en février 2005. Cela a encore une fois frappé en ce vendredi 23 novembre 2007. J’ai appris la nouvelle d’un énième face-à-face entre les protagonistes de l’échiquier libanais sur les ondes de RFI : échanges de diatribes, discours grandiloquents… Et, cerise sur le gâteau, M. Lahoud, par la voix d’un de ses conseillers, lègue à l’armée libanaise ses propres compétences politico-militaires, comme pour jeter de l’huile sur le feu dans un tableau déjà terni par plusieurs mois de manœuvres douteuses, de part et d’autre. « Rassasié » de dégoût – Mesdames, Messieurs, les membres de l’Académie française, ne faudrait-t-il pas penser à inventer le terme « dégoûtage », un terme qui sonnera comme tapage, matraquage… –, je mets un CD. Peut-être que la magie de l’art me fera oublier la bêtise humaine. Rien à faire, puisque les chansons elles-mêmes sont l’œuvre d’humains. Il est vrai que les artistes n’avaient nullement l’intention de me plonger davantage dans mon dégoût. Mais le Liban s’invite même dans les chansons. Tout commence avec Bob Marley. Il chantait Waiting In Vain, ou Attendre en vain. Effectivement, on a attendu le jour où tout se calmera dans un Liban au bout du gouffre. Mais, justement, en vain. Je zappe et voilà que je tombe sur Welcome to the Jungle – ou Bienvenue dans la jungle – de Guns N’Roses. C’est un peu exagéré, me diriez-vous, que de comparer le beau pays du Cèdre à une jungle ! Et pourtant, ce n’est pas très loin de ce que pensent les autres. Adieu la belle image d’un pays goûtant à la quiétude et à la sérénité, un pays chantant, dansant. Vivant. Fallait-il dans ce cas faire comme David Gahan, le chanteur-leader de Depeche Mode qui a pris la poudre d’escampette pour savourer le silence – Enjoy the Silence –, loin des cours sombres et moroses des forces politiques, déchaînées et ciblant les unes les autres ? J’avoue que j’étais incapable de changer de disque. Pourtant, je suais. J’avais soif. Je souffrais. C’est peut-être le syndrome libanais. Au Liban, on peine, en effet, de changer ou à faire changer les choses. À faire changer les têtes. À faire changer un présent devenu plus lourd que ne l’était le macabre souvenir de la guerre. Pendant ce temps, on souffre. Là, c’est l’Orchestre philharmonique de Londres qui se déchaîne, reproduisant les plus belles compositions d’Elmer Bernstein. On commence par The Great Escape – ou La grande évasion – pour atteindre un paroxysme, avec The Magnificent Seven – ou Les 7 mercenaires. Que d’analogies entre les titres et les derniers événements au Liban. Une musique à couper le souffle. Comme les informations en provenance du Levant. Puis, la voix céleste de Luciano Pavarotti se mélange à celle du très engagé Bono, leader du groupe U2, pour crier haut et fort Miss Sarajevo – ou Sarajevo me manque. À aucun moment, je ne voulais faire le parallèle entre la Bosnie et le Liban. Mais, j’étais si rongé par le désarroi que les scénarios les plus sombres sont passés par ma tête. Y compris ce scénario dont on ne veut plus entendre parler à Beyrouth. Le groupe celte Manau enfonce encore le clou, dans sa Tribu de Dana. Il fallait passer par le sang dans les jardins d’Eden pour devenir roi de la tribu. Une image on ne peut plus atroce. Je finis par zapper. Je n’aurais pas dû zapper. C’est Tears for Fears – des larmes pour des frayeurs – qui me rappelaient que tous voulaient diriger le monde – Everybody Wants to Rule the World. Là, je n’en pouvais plus. Je change de CD. Les Pink Floyd avaient toujours de grands espoirs – High Hopes –, tandis que Queen évoquait une vision unifiée – One Vision. Oui, mais cela prendra du temps. « Le Lion est mort ce soir », me répondirent les Pow Wow. « Qu’est-ce que ça va changer ? » répliquai-je. « Plus de rage, plus de carnages », à partir de ce soir, promettent les mêmes Pow Wow. Mais, qui est le lion, en fait ? Ne sommes-nous pas en face de plusieurs lions qui veulent marquer un territoire qui ne pourrait satisfaire leurs desseins ? Je change de disque en disque. Et je tombe, enfin, sur la vérité. La vérité absolue. En fait, il ne fallait pas aller la chercher ailleurs. Elle est là. Elle sort du Liban. C’est Fayrouz, avec sa voix angélique qui la dit : Sanarji’ou Yawman, On reviendra un jour. On reviendra à un Liban plus ouvert, plus tolérant et surtout plus soudé. Ça prendra le temps qu’il faut. Mais, Sanarji’ou Yawman. En attendant, on se contentera d’attendre les rythmes d’Annapolis – que les Boney M m’excusent pour l’emprunt de leur Rythm of Babylon – et d’embrasser nos propres blessures – Bouss il Wawa –, tel qu’il nous est conseillé par la jeune Libanaise Haïfa Wehbé. En l’absence d’un baume. Bassam BOUNENNI Journaliste tunisien Article paru le vendredi 7 décembre 2007
Si Jean-Jacques Rousseau réfléchissait en marchant, moi, tout comme plusieurs de mes contemporains, je le fais en roulant en voiture. Ce fut le cas le vendredi 23 novembre 2007. Tous les regards étaient braqués sur le Liban. Vous n’aviez pas besoin d’être musulman, chrétien ou autre. Vous n’aviez même pas besoin d’être arabe pour attendre ce qui allait se passer, en ce jour J, où...