Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Le quorum requis pour la présidentielle est la majorité absolue, affirme le professeur Jean Gicquel Jean GICQUEL

L’un des principaux constitutionnalistes français, le professeur Jean Gicquel, professeur émérite de l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) et ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature en France, affirme, dans une consultation sur les modalités de l’élection du président de la République, que le quorum nécessaire lors de la séance consacrée à l’élection du président est la majorité absolue des membres composant la Chambre. Le professeur Gicquel souligne en outre que toute interprétation de l’article 49 de la Constitution nécessite un quorum des deux tiers. Nous reproduisons ci-dessous le texte intégral de la consultation du professeur Gicquel. PREMIÈRE QUESTION Quel est le quorum nécessaire pour l’ouverture et la tenue régulière de la séance de la Chambre des députés appelée à élire le président de la République et quelle est la majorité requise, après l’ouverture de la séance pour l’élection du président au premier tour puis aux tours suivants, sur la base de l’article 49 de la Constitution ? Discussion 1. Aux termes de l’article 49, alinéa 2, de la Constitution libanaise (rédaction de la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990), le président de la République est élu, au premier tour, au scrutin secret à la majorité des deux tiers des suffrages par la Chambre des députés. Aux tours de scrutins suivants, la majorité absolue suffit. 2. À l’exemple du Congrès du Parlement français sous les IIIe et IVe Républiques (art. 2 de la loi du 25 février 1875 et art. 29 de la Constitution de 1946), la Chambre des députés, au Liban, exerce une dualité d’attributions. Tantôt Assemblée délibérante, elle vote la loi, contrôle le Gouvernement et révise la Constitution ; tantôt Assemblée électorale, elle désigne le président de la République (art. 73 et 75 de la Constitution). Mais, son mode opératoire demeure immuable, motif pris de ce qu’elle prend en toutes circonstances, une décision sous la forme d’un vote. 3. Cependant, avant que l’Assemblée n’y procède, une condition préalable doit normalement être satisfaite, conformément à un principe avéré de droit constitutionnel et de droit parlementaire, à savoir la vérification du quorum. De quoi s’agit-il ? 4. À cet égard, le quorum correspond au nombre de députés suffisant en vue de la validité du vote à émettre. V. En ce sens, Eugène PIERRE, Traité de droit politique électoral et parlementaire, Paris, éd. Loysel (réed.), 5e éd., 1924 n° 981 ; Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Droit parlementaire, Paris, Montchrestien, 3e éd., 2004, n° 196. En règle générale, le quorum s’identifie à la présence de la moitié plus un du nombre légal des membres composant l’Assemblée ; autrement dit, la majorité absolue. 5. Il y a lieu de préciser, à toutes fins utiles, que la présence des députés est calculée, non pas tant par référence à la salle des délibérations que de l’enceinte du siège ou du palais affecté à l’Assemblée, selon un principe général de droit constitutionnel et de droit parlementaire. V. En ce sens, Georges VEDEL, Droit constitutionnel, Paris, Sirey (réed.) 1949 p. 422. 6. Au surplus, sous le bénéfice d’une mise en perspective, il importe de rappeler que le quorum, pour nécessaire qu’il soit, n’est pas pour autant indispensable. Car il résulte d’un autre principe de droit constitutionnel et de droit parlementaire, tout aussi avéré, 2 qu’une Assemblée est toujours en nombre pour délibérer, tant qu’une demande de vérification dudit quorum n’est pas présentée. Conséquemment, les votes y sont valables quel que soit le nombre des présents. Les règlements des Assemblées parlementaires françaises se prononcent en ce sens (art. 61 R.A.N et art. 33 et 51 R.S). Il résulte de ce qui précède que le quorum s’analyse ainsi en une exception par rapport au principe susmentionné. 7. En dernière analyse, il importe de souligner, la distinction entre le quorum et le vote, afin d’éviter une fâcheuse confusion juridique et, plus encore, politique, comme il résulte du rapprochement entre les articles 34 et 49 de la Constitution libanaise. Sous cet aspect, le quorum ressortit, en un sens, à une notion physique ; le vote, à une notion juridique, ou si l’on préfère, à la présence des députés, dans un cas, et à la manifestation de leur volonté, dans l’autre. Au reste, la distinction est clairement affirmée, dès lors que le calcul du quorum est invariable, sauf disposition constitutionnelle contraire (V. infra n° 12), à l’opposé du vote (majorité simple, qualifiée ou absolue, selon les hypothèses visées par la Constitution). Réponse 8. Elle peut être énoncée en ces termes. Le droit constitutionnel libanais s’inscrit en harmonie avec la tradition constitutionnelle et parlementaire susanalysée. À preuve, l’article 34 de la Constitution de 1926 (rédaction de la loi constitutionnelle du 17 octobre 1927) qui opère, de manière pertinente in distinguo, la distinction entre le quorum et le vote. L’alinéa premier dispose, à cet effet : La Chambre ne peut valablement se constituer que par la présence de la majorité des membres qui la composent légalement. La sémantique utilisée est révélatrice. Se constituer consiste pour un pouvoir public à agir en qualité de pouvoir de volonté (Maurice HAURIOU) ; en un mot, à exercer les compétences qui lui sont attribuées par la Constitution, en l’occurrence, l’élection du chef de l’État, à partir de l’instant où le quorum est atteint à l’ouverture de la séance. De manière démonstrative, l’alinéa précité identifie ce dernier, à la présence d’un nombre de députés correspondant, selon le mode de décompte classique, à la moitié plus un du chiffre légal composant l’Assemblée, soit le chiffre découlant de la loi électorale, indépendamment des sièges vacants. 9. S’agissant des votes, l’article 34 de la Constitution libanaise (alinéa 2) dispose qu’en principe, ils sont acquis à la majorité des voix, c’est-à-dire à la pluralité des suffrages exprimés. Toutefois, il est loisible à la Constitution d’y déroger. Cette éventualité concerne, notamment, la désignation du président de la République. L’article 49 (alinéa 2) exige, au premier tour, une majorité qualifiée des deux tiers des suffrages exprimés. À défaut, l’élection est acquise aux tours de scrutins subséquents à la majorité absolue, identifiée à la moitié plus un des députés formant la Chambre. Pour asseoir la démonstration, il y a lieu de rappeler que conformément à la théorie de l’acte clair, les règles constitutionnelles claires et précises n’appellent aucune interprétation. DEUXIÈME QUESTION Au cas où le texte constitutionnel, à savoir l’article 49 précité, appliqué depuis 81 ans sans contestation devait pour la première fois depuis la promulgation de la Constitution de 1926 faire l’objet d’une interprétation différente, quel devrait être le quorum requis pour la réunion de la Chambre ainsi que la majorité requise pour le vote de la résolution portant interprétation de ce texte. Cette interprétation éventuelle d’un texte confirmé pendant 81 ans par l’usage et la pratique est-elle assimilable à une modification ? Discussion 10. L’éventualité envisagée d’une rupture de la tradition constitutionnelle et politique, observée depuis 1926, porterait, sans contredit, une atteinte grave au pacte national sur lequel repose l’existence du Liban. À ce propos, le préambule de la Constitution (rédaction de la loi constitutionnelle du 21 septembre 1991) indique que le régime est fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs, leur équilibre et leur coopération (lettre E) et proclame, de manière péremptoire : Aucune légitimité n’est reconnue à un quelconque pouvoir qui contredise le pacte de vie commune (lettre J). Or le mode de désignation du président de la République apparaît, assurément, un élément constitutif du pacte libanais. 11. Interpréter l’article 49, alinéa 2, de la Constitution dans un sens différent de celui qui a été indiqué préalablement et selon la pratique observée aboutirait à en modifier le sens et la portée et, en définitive, à fausser la Constitution, par suite d’une violation réitérée de son préambule et de sa procédure de révision. (art. 76 et suivants). Il appartient, en effet, au seul pouvoir constituant, selon une procédure spécifique accordée à son caractère souverain, de procéder à une révision de la Constitution fût-ce sous l’aspect d’une révision interprétative. Un précédent français récent, relatif à l’étendue du corps électoral de la Nouvelle-Calédonie, est venu le rappeler à point nommé (art. 77 de la Constitution de 1958, rédaction de la loi constitutionnelle du 23 février 2007). V. En ce sens, Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, revue Pouvoirs, Paris, Le Seuil, 2007 n° 122, p. 226. 12. Aux termes de la Constitution libanaise, l’initiative de la révision est partagée entre le président de la République (art. 76) et la Chambre des députés (art. 77, alinéa premier). En accord avec le gouvernement qui établit le projet, selon des modalités appropriées (art. 77, alinéa 4), la Chambre est appelée à se prononcer, en qualité d’Assemblée constituante, sur-le-champ (art. 78), selon des conditions particulières : un quorum fixé aux deux tiers des membres qui la composent légalement et un vote intervenant à la même majorité (art. 79, alinéa premier). La révision est limitée aux seuls articles visés, conformément à la doctrine française de la souveraineté limitée, selon laquelle ne peut être révisé que ce qui a été déclaré révisable. Réponse 13. S’écarter de l’interprétation littérale de l’article 49, et de la pratique constante à laquelle il a donné lieu, constituerait une interprétation erronée de la Constitution. Il en résulterait une révision de facto de celle-ci, affectant le pacte national dans ses œuvres vives. Par dérogation à la solution classique dégagée (V. supra n° 7), le recours au pouvoir constituant, en vue de procéder à une révision formelle, en bonne et due forme, est subordonné à une exigence spéciale, tant du point de vue du quorum que du vote, à savoir une majorité des deux tiers des membres composant la Chambre (art. 70, alinéa premier). Seul le respect de ces conditions est compatible avec la logique de l’État de droit dont se réclame le Liban. TROISIÈME QUESTION Y a-t-il une obligation légale ou constitutionnelle pour les députés d’assister impérativement à la séance du vote et de l’élection du président et d’assurer ainsi obligatoirement le quorum requis ou bien les députés ont-ils le droit de ne pas assister à la réunion et de provoquer ainsi un défaut de quorum pour empêcher l’élection d’un candidat qui leur serait hostile, sans pour autant être accusés de faillir à leur devoir et à leur mission et de mettre en péril le pays ? Discussion 14. Quiconque accepte un mandat en contracte les obligations estimait Eugène PIERRE (op. cit. n° 1024). Dès lors, pour un député, voter est-ce une obligation juridique ou politique ? Le rappel de la théorie du mandat représentatif, attribué par le peuple à ses élus (lettre D du préambule de la Constitution), apporte la solution. Le député représente, non pas sa circonscription électorale mais toute la nation (art. 27 de la Constitution). Par suite, il en apparaît le porte-parole autorisé, et plus encore obligé. En l’espèce, la Chambre est identifiée, au nom d’une fiction juridique à la nation assemblée, au point d’être la figuration du souverain (CARRE DE MALBERG). 15. Il n’est pas indifférent d’indiquer, par ailleurs, que la délibération est le mode opératoire d’une Assemblée, c’est-à-dire une résolution collective, prise à la majorité des voix après une discussion publique. Bref, c’est par le vote qu’une Assemblée existe, et que la nation s’exprime, par voie de conséquence. 16. Le représentant est chargé de vouloir pour la nation. En bonne logique, il ne saurait se réfugier dans le silence. Mais, en dehors d’un mandat impératif, prohibé, du reste (art. 27 de la Constitution), aucune obligation juridique comportant une sanction, en dehors de la persuasion, ne saurait peser sur le député. Celui-ci relève donc de sa conscience. Réponse 17. Le mandat représentatif, dont les députés sont investis (art. 27 de la Constitution), leur confère, d’un point de vue juridique, une liberté d’appréciation ou si l’on veut, une liberté d’allure, d’agir ou de ne pas agir, pour regrettable que cette attitude puisse paraître, d’un point de vue politique, sinon historique, à l’égard du destin de la nation libanaise, au cas particulier. 18. Que penser, dans ces conditions, de demandes répétitives de vérification du quorum ? Afin de prévenir l’abus de droit, et plus particulièrement, l’obstruction caractérisée, faute de pouvoir se reporter au règlement intérieur de la Chambre libanaise, on raisonnera par voie d’analogie avec le droit parlementaire français. En l’absence de quorum, la séance est suspendue et le scrutin ne peut avoir lieu moins d’une heure après. Le vote est alors valable quel que soit le nombre de présents, sachant qu’une Assemblée est toujours en nombre pour délibérer (art. 61 du règlement de l’Assemblée nationale ; art. 33 et 51 du règlement du Sénat). À l’occasion de la réforme des retraites, en juin et juillet 2003, ces dispositions ont reçu application. V. En ce sens, Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Droit parlementaire, op. cit., n° 196. QUATRIÈME QUESTION Au cas où ni la majorité ni l’opposition n’obtiendraient la majorité requise pour l’élection de leur candidat respectif à l’issue de nombreux tours de scrutin, et s’acharneraient malgré tout à maintenir chacun la candidature de son représentant, y aurait-il un risque de vide constitutionnel comme le soutiennent certains, ou bien les deux parties devraient dans ce cas soir présenter d’autres candidats, soit rechercher un candidat consensuel ? Discussion 19. La sagesse populaire prétend que la nature a horreur du vide. La continuité du pouvoir exécutif, consubstantiel à celle de l’État, s’inscrit dans cette perspective. Il appartient, en effet, aux autorités publiques d’assurer la régularité de l’élection présidentielle, sous le contrôle du Conseil constitutionnel (art. 19 de la Constitution). Seule la survenance d’un cas de force majeure, entendu stricto sensu (un événement extérieur, comme une calamité naturelle, revêtant un caractère imprévisible et irrésistible), y ferait obstacle momentanément. Ce devoir d’État récuse l’argument avancé de vide constitutionnel. À supposer qu’aucun candidat n’obtienne la majorité requise, selon l’article 49 de la Constitution et que, sur ces entrefaites, le mandat du président de la République en exercice s’achève, la vacance de la magistrature suprême s’ouvrirait, par suite de l’absence physique du titulaire. En cette circonstance, les pouvoirs du président de la République [seraient] exercés à titre intérimaire par le Conseil des ministres (art. 62 de la Constitution, rédaction de la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990), suivant le précédent français de la IIIe République (art. 7 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875). Il appartiendrait, au surplus, au président de la Chambre de convoquer ses collègues, dans les meilleurs délais, afin de procéder à l’élection du nouveau chef de l’État (art. 73 de la Constitution). La compétence de celui-ci étant liée, et aucunement discrétionnaire, par ailleurs. Cependant, avant d’en arriver à cette situation extrême, le calendrier parlementaire permet d’y remédier utilement. 20. La Chambre des députés se réunira automatiquement, convoquée par le temps en somme, au titre de la seconde session ordinaire ouverte le 16 octobre 2007 et close à la fin de cette année civile (art. 32 de la Constitution). Sachant qu’une Assemblée est toujours en nombre pour délibérer et pour régler son ordre du jour, celle-ci peut décider de procéder à l’élection du nouveau chef de l’État, sans qu’il soit expédient de convoquer, à l’évidence, la session de plein droit, le dixième jour avant le terme de la magistrature présidentielle, mentionnée à l’article 73, alinéa 2 de la Constitution (rédaction de la loi constitutionnelle du 24 avril 1976). Réponse 21. Le risque de vide constitutionnel ne constitue pas une hypothèse plausible. Il s’agit tout au plus d’un argument politique qui ne résiste pas à une analyse juridique. En cas de vacance de la présidence de la République, le Conseil des ministres assume le pouvoir d’État. En outre, la tenue de la seconde session ordinaire de la Chambre des députés permet, de manière normale, de pourvoir à l’élection du nouveau président de la République. Qu’entre-temps, un candidat consensuel recueille la majorité requise permettra à la raison de triompher, et au Liban de préserver son pacte national. Le président français René COTY a été élu au 13e tour en décembre 1953. CONCLUSION Au bénéfice des observations qui précèdent, le soussigné est d’avis de répondre comme suit aux quatre questions posées : 22. À la première d’entre elles, il convient d’opiner que le quorum nécessaire à la validité du vote est égal à la majorité absolue des membres composant la Chambre des députés, en application de l’article 34 de la Constitution ; que l’élection du président de la République est acquise, selon des majorités variables : au premier tour, majorité qualifiée des deux tiers des suffrages exprimés ; aux tours ultérieurs, majorité absolue des membres composant la Chambre (art. 49). 23. La deuxième question porte sur une autre interprétation de l’article 49. En l’occurrence, on serait en présence d’une révision implicite de la Constitution qui, en bonne logique, devrait être déférée au Conseil constitutionnel (art. 19 de la Constitution). Une révision qui, outre l’atteinte au pacte national, n’offrirait pas les garanties d’une révision formelle. Le recours au pouvoir constituant implique, à cet effet, l’exigence simultanée d’un quorum et d’un vote de la révision à la majorité des deux tiers composant la Chambre (art. 79). 24. À la troisième question, il importe d’invoquer la théorie du mandat représentatif (art. 27) pour justifier du seul point de vue juridique la liberté de comportement des élus. Cependant, un usage répétitif de demandes de vérification du quorum serait abusif. Dans ces conditions, conformément à la pratique observée au Parlement français, faute de quorum, la séance est suspendue et le scrutin reporté à une heure. Le vote est alors valable peu importe le nombre des présents. À cet égard, ce serait un comble institutionnel que l’exercice du mandat représentatif débouche sur sa paralysie ! 25. Reste la dernière question relative au risque de vide constitutionnel, l’argument est manifestement infondé, par manque de droit. Le Conseil des ministres, telle une présidence collégiale, exerce le pouvoir d’État par intérim, tandis que, de manière concomitante, les députés sont appelés à siéger au titre de la deuxième session ordinaire à compter du 16 octobre 2007. Fait à Paris, ce 10 octobre 2007 Jean GICQUEL
L’un des principaux constitutionnalistes français, le professeur Jean Gicquel, professeur émérite de l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) et ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature en France, affirme, dans une consultation sur les modalités de l’élection du président de la République, que le quorum nécessaire lors de la séance consacrée à...