VIENT DE PARAîTRE - « La passion selon Juette » de Clara Dupont-Monod (Éditions Grasset) dans la deuxième sélection du prix Femina Genèse d’une folie

Les personnages de Clara Dupont-Monod sont violents, intenses, excessifs, mus par une folie peu ordinaire. Sa plume sans concession les suit jusqu’au bout de cette folie. Après l’étonnant « Eova Luciol » (1998), histoire d’une enfant devenue ange, rejetée par ses proches et la société. Après « La Folie du roi Marc » (2000), qui donne voix, visage et émotions au mari bafoué et abandonné par Yseut. Après, enfin, « Histoire d’une prostituée » (2003), document rédigé suite à des entretiens avec Iliana, prostituée d’origine bulgare, l’auteur s’attaque au destin de Juette, née en 1158 dans le village de Huy, en Belgique. Passionnant et fort, le roman a déjà obtenu le prix Laurent-Bonelli. Juette a donc bien existé. C’est grâce à l’historien Georges Duby et au récit du religieux Hugues de Floreffe, qui appartenait à l’ordre des Prémontrés, ami et confident de la jeune fille, que l’auteur a découvert ce personnage très moderne, contestataire et féministe avant l’heure. « Ce n’est pas une biographie, précise-t-elle, mais plutôt une transcription romanesque. Je m’octroie certaines libertés avec l’histoire réelle consignée par tous. » L’histoire vraie est celle de Juette, fille d’un créancier d’évêques. À treize ans, son père lui choisit un époux de trente ans son aîné, idéal pour entretenir ses alliances. Encore enfant, rêvant de chevaliers romanesques et de bonheur simple, elle bascule dans une précoce vie d’adulte et dans la rébellion. Elle déteste le sexe de l’homme qui la dégoûte, son corps pesant qui l’agresse, grimpe sur elle, l’ « éclate comme une pierre ». Sa « tête pleine de désordre » se perd. La Vierge devient sa mère et le Christ, son époux. Ses rêves se transforment en délires et en folie. Sa vie, enfin, devient un combat permanent contre les hommes et l’Église, sur fond de révolte cathare. Après trois accouchements, un bébé mort-né et deux garçons qu’elle abandonne, Juette est veuve à 18 ans. Plus rien, pas même la pression de son père, ne pourra la convaincre de se remarier. Elle gagne encore plus en courage, mais perd sa lucidité. Elle voit à présent le diable partout. Durant ces dix années dédiées à la léproserie, elle s’entoure de femmes qui croient en sa cause. Détestée par les hommes et par les hommes de l’Église, elle sera vénérée par ses semblables. À la fin de sa vie, elle s’emmure dans l’ordre des recluses où elle vivra terrée durant 37 ans, jusqu’à sa mort en 1228, en disant : « Je me sens protégée par une force venue d’en haut. Quant à l’isolement, quelle importance ? La solitude est ma compagne depuis l’enfance. Si l’on n’a plus peur de la solitude, on n’est jamais seul. » Passions La passion de Dupont-Monod pour les êtres marginaux, extrémistes, fous l’a une fois de plus rattrapée. Roman à deux voix, celles de Juette et de son ami Hugues, être délicat, religieux, sensible, qui l’aime à la folie, passionnément, ce livre, qui décrit la cruauté et l’injustice avec des mots justes et forts, est également un roman sur l’amour inavoué, jamais réalisé. Sur un destin brisé dès l’enfance, sur l’injustice et la souffrance. Combat contre les hommes, mais également contre sa propre féminité, le combat de Juette devient un roman puissant, dans la même veine que ses précédents travaux, où les mots sont un plaisir, une émotion, même s’ils ne se lisent pas facilement. Clara Dupond-Monot avoue s’être mise à l’écriture le jour de la mort de son jeune frère handicapé. « Peut-être que les frères meurent pour que les livres naissent », avait-elle déclaré. Carla HENOUD