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Actualités - OPINION

IMPRESSION Clichés

Qu’est-ce qu’une femme sans âge, juchée sur des talons de 12 cm, cheveux peroxydés platine, teint recuit au soleil de la plage, nez, lèvres, seins, ventre refaits aux canons Mattel. ? À part se fondre dans ce moule impossible, ce qui est déjà un travail à plein temps, Barbie n’a pas de vie dans la vie réelle. Elle ne sait ni laver une assiette ni repasser une chemise. Voilà pourquoi Barbie a besoin d’une bonne. Bonne. Adjectif ou substantif ? Voilà une métonymie bien française, toute moite de componction bourgeoise ancien régime exportée chez nous sous le mandat. Chez nous, on ne dit pas bonne. L’équivalent en arabe signifie simplement travailleuse, et fleure bon son Arlette Laguillier. Moins condescendant, donc plus valorisant. S’il n’y a aucune honte à être une travailleuse, il doit être humiliant de se faire appeler bonne, même avec un « b ». Résumons-nous. Qu’est-ce qu’une femme sans âge, juchée sur des talons, etc. jusqu’à bonne ? Une Libanaise assurément, selon les critères d’une certaine presse française. Le reportage de Dominique Torrès a provoqué un tollé au Liban. Un reportage est fait pour déranger, faire bouger les choses, a précisé la journaliste, ce dont nous lui sommes reconnaissants. Car c’est un fait, un pays qui laisse traîner dans un coin de son aéroport international une pancarte qui indique candidement « espace d’accueil pour les bonnes », en mauvais français dans le texte, est un pays qui n’a visiblement aucun sens de la communication. Cette petite phrase politiquement incorrecte est symptomatique du fond du problème. Le Liban, comme tout pays « émergent » qui se remet en apnée à chaque fois qu’il essaye d’émerger, manque de culture droits-de-l’homme. Comment voulez-vous qu’ignorant de ses propres droits, le Libanais reconnaisse ceux de l’autre ? Ici, tout le monde peut venir travailler, à condition d’avoir un employeur, de ne pas être lâché dans la nature pour grossir les rangs des mendiants, des miséreux, des sans-papiers et des sans-domicile. À défaut d’une meilleure organisation, c’est l’employeur qui est chargé de garantir cet ordre. Mauvais rôle assurément. Le ministère de l’Intérieur n’a pas encore trouvé de formule plus libérale pour résoudre ce problème sans en créer un autre. En attendant, des femmes et des hommes affluent sur nos bords de l’autre bout du monde, fuyant une misère plus misérable que la nôtre. Ils ont signé pour le gîte, le couvert, un salaire ridicule par rapport à l’Europe, mais ils y trouvent leur compte. Ils nous viennent victimes de croyances étranges et d’un vécu épouvantable. Faut-il avoir faim et mal, faut-il ne plus rien espérer de la vie, pour faire plus de dix heures de vol alors qu’on n’a jamais vu un avion, et mettre entre parenthèses deux ou trois ans de sa jeunesse dans un pays inconnu ? Souvent, ces malheureux partent comme on se suicide et arrivent chez nous à l’extrême limite du désespoir. Si certains mettent fin à leur vie, ce n’est pas tant de la maltraitance des maîtres – elle existe, hélas, comme n’importe où, mais d’une fêlure charriée depuis l’enfance qui fait qu’à l’arrivée, à la moindre contrariété, on se disloque. Ceci pour ajouter ma pierre aux arguments de la défense. Pour en revenir à la Libanaise, méchante par opposition à sa bonne, il y a lieu de s’interroger sur les raisons qui en font un sujet d’intérêt pour les médias français. Perçue comme une poupée gonflable, et gonflée avec ça, cette Barbie-là est une Barbarella. Esclavagiste et gâtée pourrie, elle traverse les guerres comme d’autres un safari au Kenya. Marie-Claire a fait trois pages sur sa passion pour la chirurgie esthétique. Le cas de May Chidiac, restée belle et coquette malgré son drame, soulève des passions d’entomologistes. Le sublime Caramel de Nadine Labaki désarçonne certains critiques (cf. Le Canard Enchaîné), parce que justement il n’adhère pas tout à fait au cliché Liban-pays-miné-par-la-guerre-où-les-femmes-ne-se-soucient-que-de-leur-apparence. Femmes du Liban, il nous reste à assumer l’étrange phénomène que nous sommes. Au seul pays de la région qui pratique la liberté d’expression, nous avons bon dos. Laissons dire. Un jour, on nous demandera notre recette pour garder panache et humanité quand tout s’écroule. Mais ce sont choses qui ne transmettent pas. Fifi ABOU DIB
Qu’est-ce qu’une femme sans âge, juchée sur des talons de 12 cm, cheveux peroxydés platine, teint recuit au soleil de la plage, nez, lèvres, seins, ventre refaits aux canons Mattel. ? À part se fondre dans ce moule impossible, ce qui est déjà un travail à plein temps, Barbie n’a pas de vie dans la vie réelle. Elle ne sait ni laver une assiette ni repasser une chemise....