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Actualités - REPORTAGE

CONFÉRENCE - Au Musée de l’AUB, Briquel Chatonnet expose « Les origines des Églises d’Orient » Édesse, ville d’un patrimoine commun revendiqué par toutes les traditions syriaques, du Proche-Orient comme de l’Inde

Salle comble au musée de l’AUB où Françoise Briquel Chatonnet, directrice de recherches au CNRS-Paris, a donné une conférence sur « Les origines des Églises d’Orient ». La spécialiste de l’histoire des peuples du Levant, des Phéniciens et des royaumes d’Israël et de Juda, a brossé un panorama du paysage chrétien du Proche-Orient, dont la diversité des églises est le fruit des circonstances politiques, de débats théologiques et des cultures différentes. De toutes les traditions d’Églises orientales, ce sont certainement celles des syriaques qui ont l’histoire la plus riche. Trouvant « leur origine institutionnellement dans les positions prises par une partie des chrétiens du patriarcat d’Antioche vis-à-vis des positions christologiques affirmées au Ve siècle lors des conciles d’Éphèse et de Chalcédoine » et tirant leur identité et leur patrimoine communs de l’héritage d’Édesse, elles ont connu une expansion extraordinaire sans le soutien d’aucune armée et d’aucun pouvoir politique. C’est ce volet de la conférence que nous aborderons dans ces colonnes. La bible syriaque, Peshitta, a été élaborée à Édesse. Et c’est dans cette ville dite aujourd’hui Urfa, située en Anatolie orientale, près de la frontière syrienne, que « s’est développée une culture revendiquée fortement par toutes les Églises syriaques, du Proche-Orient comme de l’Inde », souligne Françoise Briquel Chatonnet. S’appuyant sur des manuscrits et textes anciens comme La doctrine d’Addaï, conservée et datée du Ve siècle, et l’Histoire ecclésiastique de l’évêque Eusèbe de Césarée datant du début du IVe siècle, ou encore sur une chronique qui cite un passage conservé des archives d’Édesse relatant l’inondation qui a détruit, en l’an 200, la ville et « l’église des chrétiens », la conférencière indique que la christianisation d’Édesse remonte probablement à l’époque de Jésus. De même, les inscriptions sur pierres funéraires et sur mosaïques, comme celles de Prométhée, montrent, dès cette haute époque, la pérennité des cultes traditionnels à Édesse où une variante locale de l’araméen est devenue la langue culturelle et liturgique des chrétiens d’Orient. « Quelques traces éparses » indiquent, par ailleurs, la présence des chrétiens dès l’époque Parthe. Mais c’est surtout lors des campagnes menées contre l’Orient romain et la déportation des communautés de culture grecque ou araméenne opérées par Shapour 1er (240-272) au début de la domination sassanide, que le christianisme va se développer dans l’empire iranien. « Une hiérarchie ecclésiastique et différents diocèses s’y installent. La langue et l’écriture d’Édesse sont utilisées dans la liturgie et la culture chrétiennes. C’est fondamentalement cette culture qui fait encore aujourd’hui l’unité des Églises syriaques. » Les Églises syriaques tirent leur culture d’Édesse mais, pour des raisons géopolitiques et théologiques, leur existence va prendre des voies différentes. La première qui a acquis son indépendance est l’Église apostolique d’Orient. Les affrontements armés entre l’Empire perse et l’Empire romain puis byzantin rendaient difficiles les échanges entre le patriarcat d’Antioche et les chrétiens de Mésopotamie, qui se sont développés indépendamment de l’Église romaine. Ils ont conservé « une liturgie très ancienne, proche de ses origines juives », et « une prière eucharistique placée sous le nom d’Addaï et de Mari ». Le « catholicos » considérait que l’Église de l’empire de Rome ne pouvait intervenir contre ses décisions, et le catholicos Timothée (780-823) affirmera même « une primauté d’honneur par rapport au siège de Rome ». L’expansion chrétienne vers le golfe Persique et le Pacifique Dès le début du Ve siècle, l’Église d’Orient se développe vers l’Est. Des traces d’églises et de monastères (datant entre le Ve et le VII siècle) signalent la progression de l’implantation chrétienne le long du golfe arabo-Persique et dans l’île de Kharg sur la côte orientale. Ils sont également présents aux côtés du manichéisme et du bouddhisme, à Ceylan et à Soqotra, et, au milieu du VIe siècle, le géographe Cosmas Indicopleustès mentionne l’existence d’un évêché à Quilon, en Inde du Sud. Au début du VII siècle, « des sièges métropolitains parsèment la route de la soie depuis l’Asie centrale jusqu’au Pacifique (Yangzhou) ». À Hulwan (Iran), Herat (Afghanistan), Samarcande (Ouzbekistan) ainsi qu’à Lo-yang et Xian, en Chine, et dans l’oasis de Turfan (Turkestan chinois), l’Église apostolique d’Orient fait preuve d’« une ardeur missionnaire exceptionnelle » . « Un évangéliaire de 1298 écrit en syriaque pour Sara-Araol, sœur du prince chrétien Ongut, un peuple du nord de la Chine, est conservé aujourd’hui à la Bibliothèque vaticane », révèle Françoise Briquel Chantonnet, qui fait observer également qu’en Khirghizie, « les cimetières de Sémirjetchié ont livré plusieurs centaines de gros galets bruts, ornés d’une croix et portant une inscription funéraire en syriaque dont les dates s’étalent du milieu du XIIIe au milieu du XIV e siècle ». Ensuite, dans Le Devisement du monde, Marco Polo détaille toutes les églises et évoque les chrétiens qu’il a rencontrés sur sa route vers la Chine. De même, le franciscain Guillaume de Rubrouck (envoyé par saint Louis à la cour du grand Khan), Oderic de Pordenone ou Jean du Plan Carpin ont laissé des récits « précieux » de leurs voyages et de leurs rencontres. La situation des chrétiens sous les différentes dynaties musulmanes La conquête musulmane en Irak, en 632, n’a pas changé la situation des chrétiens de Mésopotamie, qui « sont restés majoritaires dans la région jusqu’à la fin du Moyen Âge ». Après la chute de la dynastie omeyyade et la prise du pouvoir par les Abbassides, le catholicos s’installe dans la nouvelle capitale, Bagdad. Leurs travaux de traduction ont assuré « la transmission vers le monde musulman de la culture antique, ce qui, avant la Renaissance, a permis son retour en Occident ». Au XIe siècle, sous les Turcs Seljoukides, les chrétiens perdent du terrain face à l’islam et l’arabe remplace de plus en plus le syriaque. À la fin du XIIe siècle, la fondation de l’empire mongol par Genkhis Khan marque un nouveau tournant. Les premiers Mongols se montrent tolérants envers les chrétiens qui occupent des postes importants à la cour. Et, d’après l’historien arabe Maqrizi, « la conquête mongole du Proche-Orient et de Damas est célébrée comme une victoire de la Croix sur l’islam ». Le christianisme connaît sa plus grande et plus profonde extension en Asie. « Mais c’est aussi la veille d’un déclin brutal ». En Chine, sous la dynastie des Mings, la communauté chrétienne coupée de toute relation avec l’Occident disparaît progressivement. Dans le monde arabe, après la reconquête de la Syrie par les Mamelouks d’Égypte, en 1260, les chrétiens subissent le contre-coup de l’aide apportée aux Mongols. Vers 1370, la prise du pouvoir par Tamerlan marque le début d’une période de sévères persécutions, et son invasion de l’Irak et de la Syrie est ponctuée de véritables massacres. L’Église n’est plus présente que dans le Kurdistan, bientôt partagé entre l’Empire ottoman et les Perses. Les patriarches se réfugient dans le nord de l’Irak et « la fonction devient héréditaire dans une famille et se transmettait d’oncle à neveu, y compris à des enfants ». Finalement, en 1830, une Église chaldéenne, ainsi que l’on appelle l’Église apostolique de l’Est, unie à Rome et dont les fidèles étaient essentiellement en Irak, est fondée à Bagdad. Les autres héritiers de l’Église apostolique d’Orient, appelés « Nestoriens » ou « Assyriens », s’installent dans le Kurdistan iranien et dans les hautes montagnes du Hakkari, à cheval entre la Turquie et l’Irak actuelles, où ils s’organisent selon un système tribal. Découvertes par les Occidentaux au XIXe siècle, « ces populations tribales qui parlaient la langue du Christ furent emportées dans la tourmente pendant la Première Guerre mondiale, prises entre les empires russe et turc ». De nombreux chaldéens et syro-orthodoxes sont massacrés avec les Arméniens en 1915. Quant aux Assyriens du Hakkari, « ils entreprirent un dramatique exode vers le Sud . Seul un tiers de la population atteignit finalement l’Irak en 1920 sous la protection des Anglais et s’installa dans des camps de réfugiés. Au début des années 1930, à la fin du mandat anglais, un nouveau massacre fut perpétré. L’essentiel de la population partit en émigration, notamment aux États-Unis ». De son côté, l’Église de l’Inde, restée jusqu’à la fin du Moyen Âge rattachée à Bagdad, entrera dans le giron du catholicisme dès la fin du XVe siècle, avec l’arrivée des Portugais et des missionnaires latins. « De ce rattachement est née l’Église syro-malabre. L’influence latine dans sa liturgie et sa culture est prépondérante. » May MAKAREM
Salle comble au musée de l’AUB où Françoise Briquel Chatonnet, directrice de recherches au CNRS-Paris, a donné une conférence sur « Les origines des Églises d’Orient ». La spécialiste de l’histoire des peuples du Levant, des Phéniciens et des royaumes d’Israël et de Juda, a brossé un panorama du paysage chrétien du Proche-Orient, dont la diversité des églises est...