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Actualités - OPINION

Pour que la mémoire ne meure

« Si j’avais le pouvoir d’oublier, j’oublierais. » Charles Dickens Dans les années soixante, le Liban grouillait de services secrets de tous les pays du monde. La cause palestinienne aidant, on retrouvait des agents anglais du MI6, américains de la CIA, du Shin Beth israélien et du KGB russe. Les écrivains de romans policiers citaient souvent Beyrouth dans leurs livres, la comparant à la ville de Hong Kong et l’assimilant ainsi à un « nid d’espions ». Cette activité occulte déboucha nécessairement sur une guerre contre l’OLP. Les Palestiniens confondaient leur pays avec le nôtre, d’où la phrase attribuée à Abou Ayad : « Le chemin de la Palestine passe par Jounieh. » Avec les bons offices des services de renseignements étrangers, cette guerre se transforma en guérilla civile et intercommunautaire. Les voisins frontaliers, syriens et israéliens, y participèrent, tour à tour amis puis ennemis. L’on rendit une hypothétique « Cinquième colonne » responsable des actes criminels dont on voulait ignorer les auteurs. Toutes sortes d’armes furent utilisées. La quantité était si énorme qu’on donna au Liban le qualificatif de « poudrière du Proche-Orient ». L’accord de Taëf mit fin à la guerre. Sont demeurés les voisins, ou plutôt les occupants : Israël au Sud et la Syrie dans le reste du pays. On nous promit que le Liban était appelé à devenir, à l’instar de la Suisse, un paradis, « la Suisse du Moyen-Orient ». Vint donc la période de la reconstruction, parrainée par le Premier ministre Rafic Hariri, qui releva Beyrouth de ses cendres. Alors notre étoile recommença à briller au firmament international, mais toujours à l’ombre de l’occupation syrienne. De nouveau, la guerre. Le Hezbollah entre en jeu, il sera le héros de la libération du Sud, occupé par l’armée israélienne. Resteront les hameaux de Chebaa, qui vont créer un litige politique justifiant les armes de la formation chiite, élevée au rang de Résistance, alors que toutes les autres milices avaient déposé les leurs. Taëf ne fut pas appliqué ; le régime syrien demeura présent à travers ses « moukhabarate » et son armée. Tous ceux qui parlaient du départ de l’armée syrienne risquaient leur vie. À l’assassinat de Rafic Hariri succéda une série noire de meurtres et d’attentats à la voiture piégée, et une période sombre de destruction des centres commerciaux dans les régions chrétiennes. Lassée de ce cycle infernal, la société libanaise, dans toutes ses composantes, s’unifia en un sit-in de protestation pacifique, place des Martyrs, surnommée place de la Liberté, pour chasser l’occupant. Après soixante jours, la révolution du Cèdre avait gagné : une décision fut prise par « l’extérieur » et la longue caravane de l’armée syrienne quitta le pays, par étapes successives, avec tout son arsenal de guerre et ses chars d’assaut. Ce résultat est la preuve irréfutable que notre pays peut soulever des montagnes s’il est unifié. L’unité dans la diversité est le seul moyen de faire pression ; elle est la pierre angulaire de l’existence même du Liban. C’était là le message du pape Jean-Paul II. On ne peut se lasser de le répéter encore et encore. L’union fait la force, et c’est la discorde qui affaiblit. Il n’y aura jamais un seul gagnant. Le dialogue ne se fera jamais à travers le chantage des armes. En un jour et par une volonté indépendante de la nôtre, nous pouvons retrouver la paix ou continuer à vivre dans l’anarchie et le chaos. Aujourd’hui, le remue-ménage dans un monde arabe effrayé par le développement du programme nucléaire iranien et une potentielle frappe américaine sur ce pays, de même que l’intervention de Poutine, énervé par les dérapages de Bush au Proche-Orient, nous ramènent à ces années que nous voulons tous oublier. C’est un peu comme un flash-back : le Lavrov d’aujourd’hui n’est-il pas une réédition du Soldatov d’hier ? La Russie, longtemps reléguée au rang d’observateur, pourra contrer l’omnipotence américaine dans la région, surtout par une vente d’armes qui ne peuvent être comparées à celles du siècle passé, vu le niveau technologique de ce pays. La difficulté du Liban réside dans la conjonction entre sa politique intérieure et sociale et la géopolitique régionale. Surtout à l’heure actuelle où, sur la cause palestinienne vient se greffer l’affaire du nucléaire iranien, alors que l’armée du Hezbollah fait allégeance à l’Iran et que les camps regorgent de Palestiniens. À ces deux problèmes est venu s’ajouter un troisième, et non pas des moindres, la lutte contre le terrorisme. Dans ce dernier volet, le Liban a prouvé au monde (après les combats de l’armée contre les terroristes de Fateh el-islam) qu’il était parfaitement à même d’assumer ses responsabilités et qu’il n’avait besoin d’aucune tutelle. M. Ahmedinejad peut très bien fabriquer sa bombe sans transformer le Liban en un autre Téhéran. Quant à M Bush, va-t-il continuer à mettre à feu et à sang toute la région pour établir son futur Moyen-Orient ? Et réussira-t-il encore à nous faire prendre des vessies pour des lanternes ? Sur l’échiquier du monde où se déplacent les agents secrets qui utilisent des manipulateurs, le Liban n’est qu’un pion entre les mains des nations. Les intérêts de celles-ci ne sont pas les nôtres, même si parfois ils semblent se rencontrer. Le Liban est un petit pays dont les habitants sont des gens qui aiment la vie et qui sont bien dans leur peau. La mentalité libanaise est positive et évolue avec le progrès. Ceux qui veulent agir par la force des armes et distribuer la mort forment un « anti-Liban ». Même s’ils possèdent un passeport libanais, leur mentalité et leurs actes ne le sont pas. Le Libanais est fort de sa polyvalence, de son pluralisme et de sa facilité d’adaptation à la vie. Il est celui dont l’ancêtre phénicien a transmis l’alphabet au monde et qui se trouve actuellement à la croisée des chemins la plus difficile de son histoire. Après le mandat français et la francophonie, il avait mis du temps pour endosser son arabité. Maintenant qu’elle est devenue pour lui une seconde peau, lui faudra-t-il, de nouveau, en changer pour se mettre à l’heure iranienne ? Ce serait là retomber de Charybde en Scylla, car enfin que viennent faire les Perses dans le monde arabe ? Tout les sépare : la langue, la géographie, les coutumes ; seule la religion les unit. L’avenir du Proche-Orient serait-il un ensemble de ghettos confessionnels ? L’Occident, qui prône la laïcité, favorisera-t-il un Orient où le confessionnalisme est roi ? Le Liban continuera-t-il à subir un cycle périodique de guerre et de paix ? Qu’en sera-t-il lorsque le graphisme de ses guerres formera une suite de courbes tellement rapprochées qu’elles se calculeront en saisons et non plus en générations ? Autant de questions pour lesquelles on n’est pas près de trouver les réponses. Tout ce qu’on peut faire, c’est resserrer les rangs pour éviter les interférences étrangères, nous libérer des influences extérieures pour pouvoir gérer par nous-mêmes nos propres conflits. Tout ce qu’on peut faire, c’est éviter l’extrémisme. « In medio stat virtus ». Heureusement qu’il y a encore des voix qui peuvent amortir l’effet du « duel des mots ». Heureusement qu’il y a les hommes de religion pour interpeller tous ces chefs. Heureusement qu’il y a de saints hommes pour, de temps en temps, nous rappeler que devant Dieu nous sommes tous égaux, sans distinction de titre de richesses ou de puissances. Et nous souvenir que, finalement, nous redeviendrons tous poussière. Seules nos œuvres nous survivrons. Apprenons donc à nous aimer les uns les autres au lieu de nous faire la guerre. Que tous les députés sans exception se réunissent dans l’enceinte du Parlement pour élire le nouveau président de la République. Peut-être qu’alors le peuple reprendra confiance. Peut-être qu’alors renaîtra l’espérance. Molly SELWAN
« Si j’avais le pouvoir d’oublier, j’oublierais. »
Charles Dickens

Dans les années soixante, le Liban grouillait de services secrets de tous les pays du monde. La cause palestinienne aidant, on retrouvait des agents anglais du MI6, américains de la CIA, du Shin Beth israélien et du KGB russe.
Les écrivains de romans policiers citaient souvent Beyrouth dans leurs livres, la...