L’insulte ! Raymond NAMMOUR

Jeudi soir. Une émission de grande écoute sur une chaîne libanaise diffusée dans le monde entier par satellite. Quatre intervenants. 100 % libanais, selon le slogan de l’émission. Les sujets fusent dans tous les sens. De la démocratie à la présidentielle, aux accords de Taëf, au confessionnalisme, à l’immigration… Tout, absolument tout. Et voilà qu’une intervenante se permet d’insulter des millions de Libanais de la diaspora en nous assénant d’un ton hautain et autoritaire : « Le Liban n’est pas un hôtel ! » Nous sommes très nombreux à nous sentir insultés, vexés, trahis. Nous nous sentons insultés et trahis parce que quelqu’un s’est permis de dénaturer, devant des centaines de milliers de téléspectateurs à travers le monde et sans que l’on puisse lui répondre, une de nos plus intimes relations, celle que nous entretenons, non pas avec un hôtel, mais avec notre mère patrie. Alors puisqu’on nous accuse de prendre notre pays pour un hôtel, du fin fond de l’empire bâti avec le Cèdre pour emblème, des millions de Libanais vous réclament des excuses. Votre thèse n’est qu’un amalgame de slogans populistes qui ne tiennent aucun compte de l’évolution du monde et du village planétaire à l’intérieur duquel nous sommes tous amenés à nous déplacer. Vous semblez ignorer que les centaines de milliers de Libanais qui ont quitté le pays depuis 1975 l’ont fait contraints et forcés et non par un quelconque goût de l’aventure ou une quelconque quête de richesse. Ces gens-là sont de véritables déplacés de guerre. Vous semblez également ignorer l’exiguïté du territoire national qui, scientifiquement, est incapable d’assurer l’épanouissement de tous les enfants du pays. À moins que l’on ne souhaite limiter l’ambition d’un peuple qui, depuis des millénaires, s’était tourné vers le grand large pour compenser l’étroitesse de son territoire. Nos cadres diplômés excellent sur tous les continents et dans toutes les disciplines. Nos travailleurs s’investissent corps et âmes dans leur nouvelle terre d’accueil pour réussir leurs nouveaux emplois. Vous voulez que l’on s’entasse sur notre minuscule territoire et que l’on passe notre temps à discutailler sur le confessionnalisme ou sur une hypothétique stratégie défensive ? À l’étranger, on parle politique aussi. Mais on travaille aussi. Et surtout on s’accepte dans toutes nos différences. Alors, de grâce, cessez de nous culpabiliser parce que nous avons choisi de ne pas sombrer dans la résignation. Nous ne nous résignerons pas à voir nos enfants privés du développement économique, culturel et scientifique du restant de la planète. Nous ne nous contenterons pas de petits avenirs avec de petits moyens. Nous voulons le meilleur, pour nous et pour notre pays. Et nous en avons les moyens. Nous ne nous résignerons pas à voir le Liban patauger dans la médiocrité. « Ils » pensaient nous avoir domptés en nous piégeant entre le marteau de Damas et l’enclume de Sion. Malheureusement pour eux, le génie libanais a pris le large et a essaimé sur toute la planète. Les enfants du Liban sont partout. Et font honneur sous tous les cieux à leur mère patrie. Ils ont tous placé dans leurs valises un peu du Liban pour le mettre à l’abri de la tentation de l’oubli. Et chaque retour au pays n’est en rien un séjour dans un hôtel. Ils reviennent pour ramener un peu de la planète pour que leur Liban reste sur la carte du monde. Ils reviennent non pas à un hôtel ; ils reviennent chez eux. Nous sommes peut-être de l’autre côté du village… planétaire. Mais nous sommes aussi concernés que tout un chacun par l’avenir de notre pays. Et au lieu de culpabiliser stupidement les émigrés, œuvrons tous ensemble pour leur donner voix au chapitre en leur octroyant le droit de vote. Ils assument pleinement leur devoir vis-à-vis de la mère patrie. Ils vous réclament leur droit. Raymond NAMMOUR Côte d’Ivoire Article paru le vendredi 19 octobre 2007