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Nabaa : melting-pot de misère, solidarité sociale et peur de la délinquance « Tant que je suis sur pied, ça ira, mais si je tombe malade ? »

Nabaa. Le nom même de ce quartier est devenu synonyme de misère. Certes, c’est toujours une région qui se caractérise par une rare mixité, regroupant des personnes et des familles non seulement de confessions différentes, mais aussi de diverses nationalités. Mais ce savant mélange, c’est surtout celui du lien tissé par la pauvreté commune, celui des oubliés de la prospérité et du développement, qui se débattent dans le cercle vicieux d’une vie quotidienne devenue un fardeau inextricable. Et pourtant, cet enchevêtrement de ruelles trop sombres, trop embrouillées de fils électriques qui pendent, cache souvent une solidarité sociale qui est un baume au cœur de ceux qui souffrent. Suit le récit de quelques rencontres avec des bénéficiaires de l’association Ayadina, l’une des nombreuses ONG présentes sur le terrain dans cette région-là. On finit à Nabaa (choisit-on jamais d’y vivre ?) pour différentes raisons. L’une d’elles est de trouver un gîte après avoir été déplacé de son village natal durant la guerre. Telle est la situation de la famille de Mona (un pseudo), qui se trouve dans le quartier depuis les années 80. Elle nous reçoit avec son mari malade dans un appartement très modeste, à même la rue, mais impeccablement tenu, et il est inutile de protester contre le rafraîchissement qu’elle vous offre en signe d’hospitalité. La vie de Mona n’est pas une sinécure : pour trouver les cent dollars de loyer par mois, il faut déployer toutes sortes d’efforts. Une grande partie des rentrées de ses enfants est engloutie dans les médicaments nécessaires au mari. Deux de ses filles sont mariées, mais ne peuvent plus l’aider en raison de leurs propres difficultés économiques. Un de ses fils est fiancé depuis sept ans, mais ne trouve toujours pas les ressources nécessaires pour fonder une famille. Une fille célibataire doit se contenter d’un emploi dans une usine pour trois cents dollars par mois, dont la majeure partie est consacrée au loyer et autres soucis de la vie quotidienne. Et les jours passent, les dettes s’empilent, les soucis liés à la simple survie grignotent les années. « Je demande surtout qu’on nous aide à assurer le prix des médicaments chaque mois, pour le reste, nous nous débrouillerons », dit-elle. Un peu plus loin habite Abou Ahmad. Ce joyeux luron, poète à ses heures, doit tous les jours gravir quatre étages à pied, malgré son âge certain, pour arriver à son pauvre domicile. En le suivant dans l’escalier aux marches inégales et parfois cassées, on se prend à penser ce qu’il ferait s’il perdait un jour sa mobilité, et c’est le cas de centaines d’autres vieux habitant ces immeubles vétustes. Abou Ahmad vit seul dans un appartement où la chambre à coucher ne fait qu’un avec ce qui lui sert de salon. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Il était marié à une femme dont il a élevé les quatre enfants nés d’un premier lit. Aujourd’hui, cette femme vit chez l’une de ses filles en Suède et ne prend plus jamais de ses nouvelles, et il n’y a plus qu’Ahmad, son fils adoptif, qui l’aide modestement à partir de l’Arabie saoudite où il travaille. Pour seule compagnie, Abou Ahmad, de nationalité syrienne (il n’a jamais obtenu la libanaise malgré les décennies vécues au Liban), n’a plus que ses canaris qu’il appelle un à un par leurs prénoms. « On m’avait dit qu’éduquer des orphelins me vaudrait le paradis », dit-il non sans un humour teinté d’amertume. En attendant, il vit l’enfer de la pauvreté et de la solitude. Comme tous les autres, le principal souci d’Abou Ahmad est d’assurer chaque mois le prix de ses médicaments, qu’il commande parfois de Syrie où ils sont moins chers. Outre le pécule envoyé par Ahmad, il est désormais sans ressources et sans aucune assurance médicale. « Tant que je tiens toujours sur mes jambes, ça ira », ajoute-t-il, laissant un « mais » angoissant en suspens. Deux voisines font irruption dans l’appartement d’Abou Ahmad pendant que nous nous y trouvons. « Nous avons su qu’il avait des visiteurs et nous apportons les rafraîchissements », lancent-elles gaiement, un plateau à la main. Elles ne voudraient en aucun cas que leur voisin, qui fait pratiquement partie de la famille, n’ait failli à son devoir d’hospitalité, et pourtant, une brève discussion avec elles prouve très vite que leur situation financière ne vaut guère mieux. Elles se débattent pour garder leurs enfants à l’école, pour leur assurer un avenir meilleur que leur quotidien à elles. Elles auraient bien aimé avoir un emploi, mais leur précédente expérience n’est guère encourageante : elles enveloppaient des chocolats dans une usine pour… 500 LL le kilo. « Il faut parler des injustices vécues par les femmes dans nos quartiers, s’écrie l’une d’entre elles. Elles sont exploitées, surtout qu’elles manquent souvent d’éducation. » Travailler dans une usine pour un salaire de misère, c’est aussi le cas de la fille de Hoda (encore un pseudo). Nous recevant dans un appartement qu’elle garde décent malgré ses ressources limitées, elle nous raconte que sa fille, pourtant éduquée, se trouve confinée dans un emploi peu qualifié où il lui est interdit de demander la moindre augmentation, sous peine de se retrouver à la porte sans alternative. « Les factures sont un fardeau quotidien, et j’ai des médicaments à prendre tous les mois », dit-elle la larme à l’œil, montrant sa table de nuit pleine de boîtes, sous le portrait géant de l’un de ses fils décédé subitement à cinquante ans, la tragédie de sa vie. Et ce n’est pas tout : le défunt mari de Hoda étant syrien, elle n’a jamais pu octroyer la nationalité libanaise à ses enfants, en vertu d’une loi injuste que le Liban ne se décide toujours pas à amender. « Ma fille doit se rendre en Syrie pour sortir du pays tous les ans, en vue de renouveler son permis de séjour, et cela lui coûte un œil à chaque fois », se lamente-t-elle. Le pire, à entendre Hoda, c’est de se rendre compte que l’espoir n’a plus de place dans la vie de ces familles écrasées sous le poids des difficultés. L’espoir, il peut être véhiculé par la présence de jeunes enfants par la famille. Mais ceux-là apportent aussi leur lot de soucis puisque dans certains quartiers défavorisés, les mères doivent souvent se battre, les mains nues, contre le danger de la délinquance et des mauvaises influences. Roula (pseudo), mère de deux garçons adolescents de 15 et 11 ans, se trouve dans ce cas. Mariée à 15 ans au premier venu pour fuir sa famille, elle se retrouve avec un mari instable psychologiquement, régulièrement au chômage, et une belle-famille tyrannique avec laquelle elle est obligée de vivre, sans aucun soutien. Aujourd’hui, elle est la seule à travailler dans la famille, employée par une généreuse vieille dame pour le ménage de sa maison. Roula est un cas admirable : analphabète, elle a appris à lire et écrire l’arabe de son fils aîné, et elle sacrifierait tout pour garder ses gamins à l’école. « Je veux qu’ils aient un meilleur avenir que moi », assure-t-elle. Entre-temps, même si le sourire ne quitte pas son visage, la vie quotidienne est un fardeau très lourd. « Le jour où je peux me permettre d’acheter des fruits ou de préparer un bon plat, c’est la fête », raconte-t-elle. Si son fils aîné se montre compréhensif, le plus jeune lui reproche tout le temps cet état de pauvreté dans lequel ils vivent. « J’ai dû m’endetter pour lui acheter un ordinateur, afin qu’il ne se retrouve pas à la rue et finisse mal, révèle-t-elle. Si un jour je dois leur acheter des chaussures, nous n’avons plus de quoi manger. N’était-ce mes généreux voisins, je n’aurais souvent pas pu payer l’école. Et ainsi de suite. » Roula a raison d’avoir peur de la rue. Plus tard dans la conversation, elle lâche : « Mon fils aîné, alors qu’il n’était qu’un enfant, a été agressé sexuellement par un adulte. Je n’ai pas dormi de nombreuses nuits après cette histoire. Je sais qui est l’agresseur, mais je n’ai pas osé porter plainte parce que je n’aurais été soutenue par personne. Je fais de mon mieux pour aguerrir mes enfants, et j’ai réussi, parce que mon cadet a fait face courageusement à pareille tentative il y a peu de temps. » Elle-même a été victime des inconvénients de la promiscuité, soumise au harcèlement sexuel de son beau-frère. Il y en a même qui lui « conseillent » de monnayer ses charmes dans la rue... « C’est hors de question, je suis trop croyante, Dieu restera toujours à mes côtés », affirme-t-elle.
Nabaa. Le nom même de ce quartier est devenu synonyme de misère. Certes, c’est toujours une région qui se caractérise par une rare mixité, regroupant des personnes et des familles non seulement de confessions différentes, mais aussi de diverses nationalités. Mais ce savant mélange, c’est surtout celui du lien tissé par la pauvreté commune, celui des oubliés de la...