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PORTRAIT D’ARTISTE - Une soprano aux aigus les plus purs Régine Crespin, la plus wagnérienne des Marseillaises…

Des yeux en amande, un humour corrosif, une corpulence opulente, du talent à revendre et des cheveux d’ébène. Pourtant, jamais Marseillaise ne fut plus blonde que Régine Crespin, la soprano aux aigus les plus purs. Une grande dame de l’art lyrique français, soprano à ses débuts, mezzo soprano par la suite, qui avait aussi un joli brin de plume pour écrire, s’est éteinte à 80 ans à Paris d’un cancer du foie, au début du mois de juillet dernier Plein feu sur la carrière internationale, avec des moments de lutte contre l’adversité et les cabales, d’une diva atypique qui, outre des prestations à couper le souffle, et un sens inouï du labeur et de la drôlerie, avait aussi de fracassants caprices de star… Régine Crespin est née le 23 février 1927 à Marseille et a connu les affres d’une mère alcoolique et les angoisses de la Seconde Guerre mondiale. Heureusement qu’il y avait sa grand-mère italienne pour l’encourager dans ses cours de piano, alors qu’à seize ans, elle n’a pas pu décrocher son baccalauréat. D’ailleurs, elle ne le décrochera jamais, mais le chant était là pour la consoler de tous ses déboires… Une jeune fille qui aimait fredonner Charles Trenet et qui ne prenait pas du tout le chant au sérieux se voit brusquement embarquée dans la redoutable aventure des vocalises et des trilles au Conservatoire de Paris où elle emporte haut la main trois prix. Et tout commence comme un tourbillon inévitable en 1948. Du palais Garnier à l’opéra comique, de La Tosca de Puccini au Chevalier à la rose de Richard Strauss, en passant par le Dialogue des carmélites de Francis Poulenc et Les Troyens d’Hector Berlioz, la voix de Régine Crespin résonne en toute séduction et autorité dans le firmament des étoiles de l’art lyrique. Une voix au timbre clair, au phrasé tout en nuances avec une diction et une articulation impeccables. Passe pour le français, sa langue native, mais avec l’allemand, c’était une autre affaire, une autre maîtrise, une autre prouesse, un autre défi, une autre découverte… Et un allemand « wagnérien » où elle brille d’un éclat incomparable. Spécialiste de ces deux répertoires, la Crespin triomphe dès lors de Buenos Aires (son épopée au théâtre Colon est phénoménale) au Metropolitan de New York, tout en s’affirmant admirable « récitaliste » avec des mélodies tout en finesse et des « lieder » d’une grande délicatesse. Des Nuits d’été de Berlioz à la Shéhérazade de Ravel en passant par les partitions de Schumann, Duparc, Canteloube et Fauré, la cantatrice a le même zèle, le même enthousiasme, la même vibration, la même inspiration, le même élan. Tout en affichant bonne humeur et talent fou dans du Offenbach où elle restera inénarrable (et pour certains, inoubliable) dans son personnage de grande-duchesse… De la scène à l’enseignement et à l’écriture Herbert von Karajan ne s’est pas trompé sur son compte quand il l’invite sur scène pour devenir, avec Kundry, une wagnérienne hors pair. Réticente d’abord, elle se jette à l’eau, et l’on connaît le dénouement couronné de succès et de vivats. Mais il ne faut pas oublier aussi qu’elle a campé une Carmen bien française, chanté comme personne la Charlotte dans le Werther de Massenet, qu’elle a incarné la Pénélope de Fauré, et que sa prestation dans Le bal masqué de Verdi n’est pas passée inaperçue… Et puis, en 1989, Régine Crespin décide de se retirer de la scène et de se consacrer à l’enseignement, en conseillère très attentive. Ses « masters classes » (pas comme ceux de la Callas chargés de colère, de mordant et d’orage) restent des moments d’anthologie pédagogique où franchise, patience et technique sont autant d’atouts que des leçons d’humanité… Fatiguée sans doute de tous les artifices et des contraintes d’un métier sans merci, Régine Crespin décide de profiter des plaisirs de la vie. Parfois bien simples, mais interdits à une cantatrice. Ainsi, elle confie, très pince-sans-rire : « J’ai envie de fumer une cigarette si ça me chante, sans toujours sentir cette épée de Damoclès de la voix suspendue au-dessus de ma tête… » Elle savait aussi la part « factice » de l’art lyrique quand on chante en princesse, reine ou sultane quand le monde croule sous la misère ou la famine. Ses livres La vie et l’amour d’une femme (éditions Fayard) et À la scène, à la ville (Actes Sud), outre la verve d’une bonne conteuse méridionale, et un style fait d’élégance et de gouaille, restent sans nul doute sa meilleure défense pour une image déformée par les méchantes langues et la presse de caniveau. Il n’est guère évident, même pour une comédienne ou une diva, de passer de Wagner à Offenbach avec tant d’aisance, de désinvolture, d’apparente facilité. Pour certains, elle restera une des dernières divinités, une des dernières « bacchantes » de l’art lyrique. Pour d’autres, elle restera celle qui parodie avec un humour inégalé la Mistinguett tout en mettant sous l’emprise de sa voix un auditoire transi de passion belcantiste. Inoubliable et légendaire Régine Crespin, qui s’éteint juste deux mois avant le « Big Luciano » comme pour marquer à jamais le crépuscule des dieux… Edgar DAVIDIAN
Des yeux en amande, un humour corrosif, une corpulence opulente, du talent à revendre et des cheveux d’ébène. Pourtant, jamais Marseillaise ne fut plus blonde que Régine Crespin, la soprano aux aigus les plus purs. Une grande dame de l’art lyrique français, soprano à ses débuts, mezzo soprano par la suite, qui avait aussi un joli brin de plume pour écrire, s’est éteinte à 80 ans...