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MOMENTS INSOLITES - Les aficionados de l’Argentine se retrouvent pour danser tous les jeudis soirs à Walimat Wardeh Un dernier tango à Beyrouth Carla HENOUD

Ils partagent tous une nostalgie de l’Argentine, une fascination pour la musique de Carlos Gardel, la sensualité à fleur de peau qui en découle et cette chorégraphie ensorcelante. Charmés, « totalement dépendants » du tango, musique et danse, mais libres de leurs mouvements, ces hommes et femmes, certains ne se connaissent même pas, se retrouvent le jeudi soir pour une nuit très « physique »... L’endroit, un restaurant à la rue Hamra, semble être le cadre idéal de ces soirées particulières. Soirées gourmandes, insolites, musicales ou dansantes. Une vieille maison libanaise qui respire le passé, qui se transforme au gré des jours et inspire, tous les soirs, une douce mélancolie. Walimat Wardeh, le festin de Wardeh, a ouvert ses portes grinçantes en 1995 à des clients en quête de cuisine traditionnelle libanaise. Chose rare à l’époque. Aussi rare, alors, que de convertir une maison en restaurant. Wardeh Fawaz Loghmaji, seul maître à bord de son arche depuis 6 ans, veille fièrement sur les lieux. Toutes ces années plus tard, la clientèle continue de se diversifier. Intellectuels, écrivains, artistes, journalistes locaux et étrangers, jeunes touristes et autres amoureux des plats du terroir. Auxquels viennent s’ajouter aujourd’hui des mélomanes, « clients » des vendredis, des soirées animées par Ziad Sahhab et ses trois acolytes, plus connus sous le nom de « shehhadin ya baladna ». Et, le jeudi... des fous du tango. « Tout a commencé avec et autour du professeur Joseph Naassan, par ailleurs médecin », raconte une de ses élèves qui danse, la passion intacte, depuis de nombreuses années. L’initiateur parti aux États-Unis, les disciples continuent, « pour le seul plaisir de danser, poursuit Souha. De plonger dans un monde à soi, avec des rêves et des désirs ». Corps à corps Jeudi, 21 heures passées. Dans l’espace central, tables et chaises ont été déplacées pour faire honneur aux danseurs. Le sol au vieux carrelage local est comme flambant neuf, dans l’attente de leurs pas glissants. « Car danser le tango, c’est marcher en glissant », précise un des inconditionnels, arrivé le premier. « Une sensation, un sentiment indéfinissable. Un moment à la fois intime et fusionnel, partagé avec l’autre. » Le bandonéon sème ses premières notes mélancoliques. Le tango, comme une présence, inonde en douceur l’atmosphère chaleureuse, qui s’assortit bien avec les lumières tamisées et jaunâtres mises en veilleuse. « L’Argentin est un Italien qui pleure », nous dit-on. Et cette réflexion nous semble alors si vraie... Petit à petit, le « groupe du jeudi » se forme. Des Tangueros heureux de mener la danse sur des mélodies qui se languissent de tant d’absences. Qui parlent d’exil, de solitude, de drames vécus et de désirs inassouvis. Tangos qui prennent parfois des airs de milonga plus joyeux et plus rythmés. Les hommes jettent un regard circulaire et font leur choix. Les femmes, en surnombre, attendent. « Il faut 6 mois pour qu’une femme sache danser le tango, 6 ans pour un homme, car c’est lui qui guide et elle qui suit ! » Un de ces messieurs se lève, impatient de mener la danse, d’improviser des pas qui ne seront jamais les mêmes, qui n’auront jamais le même bruissement et la même intimité. Impatient, comme en amour, d’emmener sa partenaire au septième ciel. D’un regard interrogateur, en Argentine, on l’appelle cabaceo, il l’invite à le rejoindre. Les bras se saisissent, s’enlacent. Elle dépose le sien, d’un geste nonchalant, autour de son épaule. La distance est fixée. Ce couple a choisi la proximité. Puis, comme il était de coutume dans les bordels où se dansait le tango, la femme « pose ses seins » avec élégance sur le buste de l’homme. Elle s’abandonne, le cou tendu, les muscles fermes. La musique passe entre eux deux, comme une connivence, une évidence. Ils ne se regardent pas, mais peuvent, du bout de leurs doigts, se comprendre. Dans une attente active, elle profite de certains moments d’arrêts, des « plages de liberté » pour, lentement, glisser une jambe, la lover autour de celle de l’homme. Attentive au rythme, elle s’avance, se rétracte. Maintenant un parfait équilibre de forces et d’émotions. « J’ai fait de la danse classique avant de découvrir le tango depuis 6 ans et d’entraîner mon mari, nous avait dit la très gracieuse dame, avant d’entrer dans la danse. Quand je danse, je vis, La technique est importante, mais l’essentiel demeure dans les subtilités, les sensations et le plaisir ressenti. » Par moments, Mira semble absente. Puis, elle esquisse un sourire furtif, qu’elle seule peut vraiment voir et comprendre, ça s’appelle le bonheur pur, avant de se replonger dans cette chorégraphie sensuelle et nerveuse. « Dansez avec un étranger durant trois minutes, et vous aurez l’impression de le connaître complètement. » Les musiques s’enchaînent, entrecoupées par une Cortina, intermède musical léger, comme un rideau de théâtre qui tombe un moment sur cette piste improvisée, comme une pause dans les émotions des danseurs. Les couples se font et se défont. Couples étrangers, amoureux, pour un instant, ils ne sont plus qu’un, absolument enchantés. Avec, dans l’âme et le corps, cette phrase d’Astor Piazzolla, célèbre musicien et accordéoniste : « Le tango est une tristesse qui rend heureux... »
Ils partagent tous une nostalgie de l’Argentine, une fascination pour la musique de Carlos Gardel, la sensualité à fleur de peau qui en découle et cette chorégraphie ensorcelante. Charmés, « totalement dépendants » du tango, musique et danse, mais libres de leurs mouvements, ces hommes et femmes, certains ne se connaissent même pas, se retrouvent le jeudi soir pour une...